VII. 1. 4. Itinéraire d’une rumeur d’infidélités au complot politique.

Il y a eu la rumeur, puis la rumeur sur la rumeur. Il y a les accusés de la première rumeur qui deviennent les accusateurs dans la seconde, puis les accusés de la seconde qui accusent les premiers. Les différents niveaux et les différentes branches des rumeurs occasionnent une confusion et une cacophonie que la presse va largement mettre en scène. Notre travail d’analyse s’est avéré complexe du fait de cette multitude de performances, de personnages et cette redéfinition constante de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont. Avant d’en rendre compte, il nous semble inévitable de dresser un portrait – le plus clair possible, tentons-nous – de ces rumeurs et de ses personnages1076.

Phase de la rumeur n°1.
Fin janvier 2010 : une rumeur circulerait dans les salles de rédactions des différents organes de presse selon laquelle Carla Bruni et Nicolas Sarkozy auraient tous deux une relation extraconjugale.
Fin février, début mars : la rumeur est rendue publique sur des blogs et Twitter : elle met en scène Carla Bruni, Benjamin Biolay et Nicolas Sarkozy.
6 mars : Interview de Carla-Bruni par une journaliste britannique de Skynews. La journaliste l’interroge sur les rumeurs d’infidélité concernant son mari, Carla Bruni nie.
7 mars : La rumeur est évoquée sous la forme d’une allusion cryptée sur la chaîne I-Télé dans un commentaire sur les victoires de la Musique.
9 mars : La rumeur est explicitement mise en scène sur un blog hébergé par le JDD.fr. Le nom de Chantal Jouanno apparaît pour la première fois. Elle ne reste en ligne que quelques heures et est remplacée par l’annonce suivante : « En raison du caractère gravement attentatoire à la vie privée des propos tenus, la rédaction du JDD.fr a décidé de supprimer ce post . »
France Info évoque une rumeur sans autre précision et signale que les utilisateurs de Twitter peuvent se voir poursuivis pour diffamation.
10 mars : Plus de 700 sites relaient l’information. La presse internationale se saisit de l’information et la publie en Une.
12 mars : Nicolas Sarkozy est interrogé sur les rumeurs, qu’il qualifie d’ « élucubrations »
13 et 15 mars : Première apparition dans la presse people en Une de Voici (le 13 mars) puis en Une de Closer (le 15 mars).
Phase du commérage n°2.
22 mars : Le groupe Lagardère (propriétaire du JDD.fr) annonce la démission du directeur des opérations du groupe Newsweb et de l’auteur du post sur le JDD.fr : « Le 21 mars, le Directeur Général des opérations de la société Newsweb, filiale de Lagardère Active et prestataire de services du JDD.fr, a reconnu qu’un de ses collaborateurs non journaliste était l’auteur du blog. La démission de l’un et de l’autre ont été acceptées. »
28 mars : Le Nouvel Observateur révèle que le groupe Lagardère a déposé plainte contre X, le 25 mars.
31 mars : Le Canard Enchainé révèle que Rachida Dati se serait vue privée de voiture de fonction et de gardes du corps par Nicolas Sarkozy car elle ferait partie de ceux qui auraient diffusé les rumeurs. La semaine suivante, Claude Guéant reconnaîtra avoir donné cette information au Canard Enchaîné.
VSD évoque la rumeur dans un article consacré à Chantal Jouanno.
3 avril : Première évocation de la rumeur dans le journal Le Monde.
Phase du scandale n°2.
4 avril : Le site Rue 89 publie une interview de Pierre Charon, conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, dénonçant « un complot organisé » : il évoque l’existence d’une enquête.
Rachida Dati publie un communiqué dans lequel elle « proteste avec indignation contre les allégations de certains organes de presse lui prêtant une quelconque responsabilité  dans la propagation de rumeurs absurdes et inadmissibles sur la vie privée du couple présidentiel » et « se réserve le droit d'agir en diffamation contre ceux qui reprendraient cette allégation dénuée de tout fondement et la reliant de surcroît à la suppression naturelle de sa protection policière, présentée comme une sanction ».
5 avril : Libération évoque la rumeur, pour la première fois, dans la rubrique « en bref ».
6 avril : Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy, annonce sur RTL que cette rumeur « n'est certainement pas neutre » et que « quelqu’un est derrière la propagation de ces rumeurs ».
Le reste de la presse quotidienne nationale et Point de Vue s’emparent du sujet.
7 avril : Carla Bruni répond à la rumeur sur Europe 1 : elle nie la rumeur, le complot, l’enquête et la responsabilité de Rachida Dati.
Le même jour, Bernard Squarcini, directeur de la direction centrale du renseignement intérieur contredit Carla Bruni en confirmant l’existence d’une enquête.
14 et 16 avril : Gala et Public traitent de l’affaire.
Notes
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Par les numéros des rumeurs, commérages ou scandale, nous distinguons les contenus des différents médiats. La rumeur est dite n°1 tandis que le commérage ou le scandale sont dits n°2 parce que, comme nous le verrons, le contenu de ces médiats n’est plus le même : les infidélités pour les médiats n°1, l’identité des propagateurs de la rumeur pour les médiats n°2.