De cette interrogation issue de la réflexion sur la rumeur, nous retrouvons une réflexion abordée dans le chapitre III ‘ : L’information-people peut-elle accéder au statut d’évènement par ses seules propriétés ? ’ Une hypothèse émergeait alors :
‘ La presse people, focalisée sur des personnages qu’elle confine dans les mondes domestique et de l’opinion et légitimée par le caractère révélatoire de sa ligne éditoriale l’empêchant de représenter un « non savoir radical » 1123 , réduit au minimum le potentiel évènementiel de certaines informations-people.’La couverture de ces trois évènements montre que l’information ‘ a priori ’people découvre une faille de la représentation dans une politisation de l’information. Ce qui laisse interdit dans les récits sur l’accouchement de Rachida Dati, ce sont la possibilité d’être mère et femme politique et l’exemple donné par la garde des Sceaux qui questionnent alors la légitimité du congé maternité. Ce qui laisse interdit dans le traitement des rumeurs et dans le mariage de Nicolas Sarkozy, ce sont le commérage n°2 et le scandale n°2 et la visibilité du mariage, qui dénoncent l’intrusion du monde domestique par le monde de l’opinion dans le monde civique. Y a-t-il évènement sans un déplacement dans le monde civique ?
L’évènement bouleverse l’ordre établi. Dans le cas du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, deux ordres semblent bouleversés : celui du monde civique et celui du monde domestique. Le mariage est une cérémonie marquée par une nouvelle distribution des états de grandeur. L’ordre des grandeurs est alors modifié mais n’est pas pour autant bouleversé. Nicolas Sarkozy conserve son statut de père et d’époux, seule sa femme change. Il n’y a pas d’aporie du savoir produit par le bouleversement de l’ordre établi. Pourtant, la rhétorique du secret et de la révélation et les effets de fiction dans la presse people produisent cette impression. L’aporie du savoir est aussitôt comblée par le narrateur du récit qui se débraye dans un ‘ savoir-dire ’ légitimant alors son énonciation. Par ailleurs, elle est de l’ordre du monde domestique et de l’intime. Or, « ‘ l’évènement est une rupture qui conduirait à ruiner l’ordre et l’équilibre sur lequel ’[la société]‘ est fondée ’ »1124. La rupture de l’ordre domestique au travers d’une modification des grandeurs au sein d’une famille ne constitue donc pas un évènement. Dans ‘ Libération ’ et ‘ L’Humanité ’, la mise en visibilité du mariage est dévoilée comme un opposant : elle favorise le mariage comme cérémonie, épreuve du monde domestique, au détriment du pouvoir d’achat, objet du monde civique. Ces journaux déplacent le mariage dans le monde civique ou plutôt le désignent comme hors du monde civique ; ils créent une di-vision de l’information et remettent en cause ce qui s’est produit : un mariage, symbole d’un amour, ou une monstration tendant à être interprété comme une manipulation. Ils créent une brèche en installant des suspensions et des intelligibilités de l’information : l’évènement peut alors émerger. L’incertitude quant à la rupture occasionne alors « ‘ des décalages d’interprétation ’»1125. Or l’aporie du savoir ne peut se fonder que sur une incertitude de ‘ ce qu’il en est de ce qu’il est ’. Ici, nous approchons précisément le propos de notre conclusion, qui s’attachera à comprendre comment la peopolisation se construit à partir d’une incertitude que la presse écrite tente de résoudre ou au contraire institue par la critique et par une division entre la réalité et le monde où la peopolisation n’est pas. Dans le cas du traitement médiatique de l’accouchement de Rachida Dati, on constate que cette incertitude réside dans la possibilité d’être mère et femme politique en même temps. Cette contradiction des êtres divise la mère et la femme politique. Avant l’arrangement ou la dénonciation, se posent plusieurs questions : Est-ce que Rachida Dati peut être mère dans le monde civique ? Est-ce que Rachida Dati peut-être femme politique dans le monde domestique ? Est-ce que cette (im)possibilité est celle du monde de l’opinion ? Les réponses sont multiples selon les postures éditoriales des journaux ou des hebdomadaires.
Mais, par ailleurs, n’est-ce pas la mobilisation d’une « ‘ mémoire sociale, politique et historique ’ »1126, objet du monde civique, qui participe à l’évènementialisation de cette information en revenant sur le combat des femmes pour le congé maternité ? Dans le cas des rumeurs, l’évènement nait dans la politisation de l’affaire, au moment où la rumeur puis le commérage, médiats confinés dans le monde domestique et le monde de l’opinion, sont projetés dans le monde civique et entrent dans la phase du scandale, puis de l’Affaire.
Le monde civique semble ainsi recéler le potentiel évènementiel de l’information. Pourtant, au début de ce chapitre, nous traitions du décès de Gregory Lemarchal comme un évènement-people. Dans quelle mesure, y a t-il de l’évènement dans ce décès ? L’expression « évènement-people » n’est-elle pas un oxymore qui n’a de l’évènement que le nom ? Si les autres médias se sont saisis de la mort du jeune chanteur, la presse quotidienne nationale évoque sa disparition à la manière d’un faire-part de décès. Les cinq journaux de notre corpus évoquent, ainsi, la date de la disparition, l’âge du chanteur, la cause de la mort et enfin les raisons de sa célébrité1127. Ce traitement court et descriptif (jamais plus de 200 mots) interdit de considérer ce décès comme un évènement. Le rubriquage le confirme : l’information apparaît dans les rubriques « ‘ Variété ’ »1128, « ‘ Culture ’»1129, « ‘ Médias/Télé ’ »1130 et « ‘ Carnets ’»1131. L’écart entre le numéro spécial de ‘ Public ’, publié deux jours avant la parution régulière de l’hebdomadaire et consacrant un dossier de plus de dix pages à la mort du jeune chanteur et les faire-parts de décès dans la presse quotidienne nationale, démontre que ce qui fait évènement dans la presse people ne tient pas de l’évènement pour une presse plus sérieuse ou selon la définition scientifique. Ainsi, considérer la mort de Gregory Lemarchal comme un évènement-people fait de cette notion un oxymore. Les logiques du récit people montrent que les récits restent confinés dans le monde domestique et le monde de l’opinion, comme si, finalement, ils relevaient et demeuraient dans la phase du commérage. La non-évènementialisation de l’information-people ébranle l’expression de « presse à scandales ».
‘« Parler à son propos de « presse à scandale » paraît bien excessif.1132 »’Cette presse ne peut construire le scandale par elle-même. Le scandale consiste en la dénonciation depuis le monde civique du monde domestique, mise en accusation, plus loin, par le monde de l’opinion – (3/1)/21133. La première dénonciation émerge donc du monde civique. Or, les évènements investigués soulignent que ce monde, s’il est mobilisé, n’est atteint, dans la presse people, qu’au travers de déplacement dans le monde domestique et de l’opinion et ne peut exister sans eux dans ce genre. En ce sens, le lieu de déploiement des révélations et des mises en accusations de la presse people est réservé au monde domestique et au monde de l’opinion. L’évènement et le scandale ne peuvent émerger, même s’ils reposent sur des faits apportés par le genre people ; ils nécessitent un réinvestissement par la presse dite « sérieuse ». Plus encore, ces trois évènements, déplacés et construits dans le monde civique par la presse quotidienne nationale, sont maintenus, après leur évènementialisation, dans le monde domestique et de l’opinion par la presse people. La presse quotidienne nationale s’est saisie du discours de Carla Bruni, lors des rumeurs d’infidélités, pour transformer le scandale en Affaire – (3/1)/(2-1) – procédant d’un double déplacement dans le monde civique, l’investissant doublement dans l’ordre politique et sociétal. La presse people réinscrit, quant à elle, le discours de Carla Bruni dans les mondes de l’opinion et domestique, et l’institue comme révélateur d’inimitiés et de jalousie entre les deux femmes, effaçant la prise du monde civique, comme si l’identité de cette presse l’obligeait à l’éviter. Dans le confinement du genre people, il n’y a d’évènement ni en amont ni en aval.
TETU, 2008‘ , op. cit ’. p. 22.
TETU, 2008‘ , op. cit ’. p. 22.
GARCIN-MARROU, 1996,‘ op. cit. ’ p. 55.
Ibid. p. 49.
‘ La Croix ’ et ‘ Le Figaro ’installent, en plus, dans cette annonce, le parcours thématique du courage.
Libération du 02/05/07
Le Figaro du 04/05/07, La Croix du 02/05/07
L’Humanité du 04/05/07
Le Monde du 04/05/07.
DELPORTE, C., « Des échos mondains du 19ème siècle à ‘ Voici ’ », ‘ Médiamorphoses ’, 8, 2003, p. 72.
Cette formule rend compte de la double dénonciation contenu au sein du terme « scandale », Cf. Chap. IV-2-2-1.