VII.2.3.1. La femme, un personnage emblématique de la presse people ?

La question du genre comme critère fondateur dans l’identité des personnages typiques de la presse people est apparus dans nos analyses précédentes, l’analyse quantitative et le test du χ² confirme cette tendance. Sur les cinq personnages les plus visibles, quatre sont des femmes. Le genre du personnage politique influence sa visibilité. Sur les 57 personnages présents dans notre corpus, 25 sont des femmes mais 63,2% des apparitions en Une sont féminines : moins de femmes mais plus visibles.

A l’exception de ‘ VSD ’, tous les titres distribuent les apparitions des personnages politiques féminins de manière majoritaire. Si l’on compare la répartition des apparitions des personnages politiques selon le genre, on constate une fois encore que notre catégorisation des titres de presse people résiste à l’analyse quantitative des Unes. Le test du χ² souscrit à une dépendance forte entre les titres et le genre des personnages politique que les titres soient isolés, regroupés par deux ou selon le mode de visibilité sur lequel est construit leur ligne éditoriale. Ainsi, les femmes sont, de façon très forte, plus visibles que les hommes dans le mode mimétique bas ; la répartition étant plus nuancée dans le mode mimétique haut. Dans ce dernier, ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’ont une ligne éditoriale proche de l’égalité des sexes de la couverture journalistique ; une égalité qui disparaît dans le mode mimétique bas1152.

[Tri croisé 3 : Visibilité des femmes selon leur visibilité et leur statut / Titres]
[Tri croisé 3 : Visibilité des femmes selon leur visibilité et leur statut / Titres]

Trois types de femmes sont présents dans notre corpus de personnages médiatiques : les femmes politiques, les femmes des hommes politiques et les filles et les mères des hommes politiques. Il est intéressant de remarquer que ces dernières n’apparaissent que dans les titres du mode mimétique haut1153. Si l’on distingue les femmes politiques des épouses d’hommes politiques, la logique voudrait que les femmes politiques soient plus apparentes dans les titres ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’. Et pourtant, c’est dans le mode mimétique bas que les femmes politiques ont une visibilité plus forte par rapport aux femmes des politiques et ce, plus particulièrement, sur les Unes de ‘ Voici ’ et ‘ Closer ’ qui accordent, respectivement, 46,2% et 44,4% des apparitions

[Tableau 12 : Visibilité des femmes selon les titres]
[Tableau 12 : Visibilité des femmes selon les titres]

de personnages politiques féminins à une femme politique1154. Il semble donc utile de poser la question de la visibilité de ces femmes selon leurs statuts. Si ‘ Closer ’et ‘ Voici ’médiatisent largement des femmes politiques, ces femmes sont-elles les mêmes que celles mises en scène dans ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’ou dans les autres titres ? Pour vérifier cela, nous construisons quatre catégories : les femmes politiques et les femmes d’hommes politiques, issues des dix personnages les plus visibles, d’un côté, et les femmes politiques et les femmes d’hommes politiques, non-issues des dix personnages les plus visibles. La différence de visibilité de ces types de femmes (figurée par les écarts dans le graphique ci-dessus1155) permet de remarquer que ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’tendent à rendre visibles des femmes qui ne le sont pas dans les autres titres, tandis que ‘ Voici ’ et ‘ Closer ’ mettent en scène essentiellement les femmes qui font parties des dix personnages les plus visibles de notre corpus. La forte médiatisation des femmes politiques dans ces deux derniers titres ne concerne que Ségolène Royal et Rachida Dati (et Rama Yade une seule fois pour chacun). La concentration des femmes politiques

autour des deux plus visibles pour ces titres issus du mode mimétique bas se confronte à la disparité des femmes politiques proposée par ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’dans le mode mimétique haut.

Ce tableau souligne clairement la concentration des femmes peu visibles dans les titres du mode mimétique haut, plus particulièrement pour ‘ Paris-Match ’et ‘ VSD ’. Quand ‘ Gala ’ et ‘ Point de Vue ’mettent en scène des personnages politique féminins à faible visibilité, ce sont essentiellement des membres de la famille d’hommes politiques.

[Tableau 13 : la visibilité des 5 plus visibles contre tous les autres]
[Tableau 13 : la visibilité des 5 plus visibles contre tous les autres]

Pour résumer, ‘ Paris-Match ’et ‘ VSD ’ sont plus enclins à médiatiser des femmes à faible visibilité. ‘ Gala ’ et ‘ Point de Vue ’, quant à eux, se concentrent sur les épouses des hommes politiques ou les membres de leur famille mais ouvrent cette visibilité à des femmes peu visibles dans les titres du mode mimétique bas, ce qui n’est pas le cas pour ‘ France-Dimanche ’et ‘ Ici-Paris ’qui consacrent leur Unes politiques aux cinq femmes les plus visibles avec une prédilection pour Carla Bruni et Cécilia Sarkozy, particulièrement pour ‘ France-Dimanche ’. Enfin, ‘ Closer ’et ‘ Voici ’ montrent, de manière presque égale (respectivement 53/47% et 54,5/45,5%) les épouses d’hommes politiques et les femmes politiques mais en privilégiant, de façon massive, les quatre personnages féminins les plus visibles : Carla Bruni, Cécilia Sarkozy, Ségolène Royal et Rachida Dati. Le faible nombre d’apparitions de personnages politiques féminins chez ‘ Public ’ empêche de conclure sur une tendance de cet hebdomadaire1156.

Dans les personnages les plus visibles, il y a cinq femmes et cinq hommes. Pourtant, le genre apparaît comme une variable heuristique dans l’analyse de la presse people et dans l’observation plus précise de la médiatisation des personnages politiques dans la presse people. Si l’on compare la visibilité des cinq femmes les plus visibles avec tous les autres y compris les 5 hommes les plus visibles, celle-ci détiennent 60% des apparitions des personnages politiques (soit un effectif de 413 apparitions sur 688), une tendance qui s’inverse si l’on opère la même comparaison pour les cinq hommes les plus visibles. Cinq femmes sont donc omniprésentes dans les Unes politiques de la presse people entre le 14 mai 2007 et 30 avril 2010.

Plusieurs hypothèses de regroupements s’imposent pour saisir le traitement journalistique de ces femmes. Une première étape nous amène à dresser un podium de visibilité pour chacune de ces femmes selon chaque titre de presse people1157.

[Tableau 14 : Podium de visibilités selon les titres pour les 5 femmes les plus visibles]
[Tableau 14 : Podium de visibilités selon les titres pour les 5 femmes les plus visibles]

Carla Bruni, Cécilia Sarkozy et Rachida Dati se disputent les trois premières places de visibilité. Il est intéressant de noter l’omniprésence de Cécilia Sarkozy. Elle a été l’épouse de Nicolas Sarkozy et la première dame de France durant quelques mois. Carla Bruni, troisième épouse de Nicolas Sarkozy arrive fin 2007 dans notre corpus. Si elle est un personnage relevant du monde artistique avant cette date, après sa rencontre avec le président de la République, elle perd ce statut au profit de sa relation avec le chef de l’Etat ; sa visibilité passe alors par l’intermédiaire de l’homme politique. Son arrivée n’efface pas pour autant Cécilia Sarkozy des Unes de Presse People : celle-ci conserve sa médiatisation (même si elle s’étiole à partir du 3ème trimestre 20081158), passant du statut de première dame à ex-femme du chef de l’Etat.

La confrontation entre ces deux personnages selon les titres ou le mode de visibilité n’est pas jugé pertinente par le test du χ²1159 : nous ne sommes donc pas en mesure de parler de presse pro-Cécilia ou pro-Carla malgré un « match » pour la visibilité entre ces personnages politiques hautement médiatiques. C’est au travers d’un autre regroupement que leurs médiatisations peuvent être distinguées : parmi ces cinq femmes, trois sont des femmes seules (Rachida Dati, Ségolène Royal et Cécilia Sarkozy), les deux autres sont des first-ladies en couple. La figure de la femme seule oscille entre différentes modalités volitives qui offrent aux récits de la presse people de nombreuses figures.

[Figure 53 : Carré Sémiotique de la femme seule.]
[Figure 53 : Carré Sémiotique de la femme seule.]

Si l’on observe de nombreuses Unes consacrées à Cécilia Sarkozy après son divorce, sa solitude devient une pâte à récits pour les titres du mode mimétique bas qui multiplient les récits sur ses blessures, son aigreur ou ses désirs de vengeance1160. La médiatisation de Ségolène Royal, séparée de François Hollande après l’élection présidentielle ou de Rachida Dati, qui expérimente une grossesse seule, va décliner, dans la même logique, les figures de la femme seule1161. Le regroupement de ces femmes seules, confronté à celui de Michèle Obama et Carla Bruni, first-ladies en couple1162, montre une surmédiatisation des premières dans le mode mimétique bas et ‘ VSD ’ par rapport aux secondes plus visibles sur les Unes de ‘ Gala ’, ‘ Point de Vue ’, ‘ Paris-Match ’et ‘ Public1163. On note que, à 47, 5%, la visibilité de Ségolène Royal est mise en scène par les hebdomadaire ‘ Closer ’ et ‘ Voici ’, 29,7% chez ‘ VSD ; ’tandis qu’il n’y a aucune visibilité‘ ’dans ‘ Point de Vue ’et ‘ Public 1164 .

Pour Cécilia Sarkozy, le mode mimétique haut participe le plus à sa visibilité, à hauteur de 54% contre 46%. On constate que 55,2% de la visibilité de Cécilia Sarkozy dans le mode mimétique haut relèvent de 2007. En 2008 et 2009, ce sont les titres du mode mimétique bas qui la médiatisent le plus : ils sont à l’origine de 53,4% de sa médiatisation en 2008 et de 90% de celle-ci en 20091165.

[Tri croisé 4 : Visibilités des 5 femmes les plus visibles (Femmes politiques VS épouses de politiques) selon les titres assemblé par 2.]
[Tri croisé 4 : Visibilités des 5 femmes les plus visibles (Femmes politiques VS épouses de politiques) selon les titres assemblé par 2.]

La femme divorcée intéresse le mode mimétique bas ; la first lady, le mode mimétique haut. Cette logique est d’autant plus vraie pour ‘ Paris-Match ’qui n’accorde aucune citation ou photographie en Une à Cécilia Sarkozy après son divorce. Enfin, notons que 64,9% des Unes de 2007 du mode mimétique haut sont parues avant la séparation de Nicolas et Cécilia Sarkozy. Le cas Rachida Dati est plus complexe. Le test du χ² infirme une dépendance entre le croisement des modes de visibilité ou des titres isolés et deux périodes de médiatisation (avant et après l’annonce de sa grossesse) ou trois (avant l’annonce de la grossesse – après l’annonce jusqu’à l’accouchement – après l’accouchement)1166. Ce n’est donc pas tant son actualité people (grossesse, mystère de l’identité du père de son enfant et accouchement) que sa « narratogénie »1167 qui motive sa médiatisation dans cette presse. Elle est un personnage à « talent narratif » dont l’identité médiatique favorise la médiatisation, sans nécessairement recourir à une actualité, à ce qui survient.

Une dernière étape dans la considération de ces cinq femmes nous invite à considérer d’un côté Ségolène Royal et Rachida Dati, femmes politiques, et de l’autre, Carla Bruni, Cécilia Sarkozy et Michèle Obama, femmes d’hommes politiques1168. Le croisement de ces deux catégories de femmes et des titres assemblés par deux, rend compte d’une forte dépendance, malgré une plus forte médiatisation des femmes d’hommes politiques. L’écart entre les médiatisations produit la dépendance et ouvre notre réflexion à la considération de deux titres dans chacun des modes de visibilité plus enclins à médiatiser les femmes politiques : ‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’pour le mode mimétique haut et ‘ Voici ’ et ‘ Closer ’ pour le mode mimétique bas. Nous retrouvons, ainsi, les tendances observées quand nous considérions toutes les femmes de notre corpus selon leur statut. De la distinction entre la femme seule et la femme en couple et celle de la femme politique et de la femme d’homme politique, naissent deux catégories de titres people, transversales au mode de visibilité, pour considérer la politisation de la presse people.

Dans une dernière partie, nous tenterons de réunir nos diverses analyses quantitatives pour penser l’évolution de la médiatisation des personnages politiques dans la presse people.

Notes
1152.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°15 et 16.

1153.

Voir Annexes D. 4. Tableau n°2.

1154.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°17.

1155.

Le dernier graphique représente les écarts à l’indépendance pour chaque cellule.

1156.

Nous reviendrons sur ce dernier lorsque nous étudierons son cas spécifique.

1157.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°19.

1158.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°21 et Figure 1.

1159.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°22 et 23.

1160.

Voir Annexes D. 4. Figure n°2.

1161.

Voir Annexes D. 4. Figure n°2 et 3.

1162.

Voir Annexes D. 4. Figure n°4.

1163.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°24, 25 et 26.

1164.

Voir Annexes D. 4. Tableau n°4.

1165.

Voir Annexes D. 4. Tableau n°5.

1166.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°27.

1167.

DUBIED, 2008, op. cit.p. 150.

1168.

Voir Annexes D. 4. Tri-croisé n°28 et 29.