Conclusion Sur ce qu’il en est de ce qu’il est : La Peopolisation

Synthèse des chapitres précédents

Notre thèse est née d’un intérêt et d’un questionnement autour des nouvelles formes de médiatisation des hommes politiques, dans une période qui précédait un temps politique fort –l’élection présidentielle de 2007 – et où semblait émerger un phénomène – la peopolisation. Nous l’avons confronté, très vite, à une intuition théorique et empirique :

Pour saisir un phénomène à la fois narratif et social, il nous faut l’investir dans une posture interdisciplinaire permettant d’étudier sa manifestation dans les discours et sa construction dans l’espace social.
La campagne présidentielle de 2007, moment fort de l’agenda politique, signe l’installation du processus de peopolisation, mettant fin alors aux questionnements sur sa légitimité ou sa validité, ce qui permet donc de le définir et de l’inscrire dans l’espace public français.

En effet, la peopolisation a un mode d’existence discursif : elle renverse le principe austinien qui devient ainsi : quand faire, c’est dire. La particularité de la peopolisation pose alors deux acceptions : la peopolisation est une action, la peopolisation est un récit1182. Par ailleurs, nous souhaitions appréhender un phénomène en train de se faire ; il était donc impossible de le définir a priori. Il nous fallait l’observer dans son mouvement sans postuler de sa consistance. Dès le début de notre recherche, deux pôles théoriques nous ont paru pertinents pour résoudre ces tensions : la sociologie pragmatique et la sémiotique narrative. Une lecture approfondie de ces auteurs a alors suscité un nouvel intérêt : celui de prouver la possibilité et la pertinence de l’association des deux courants théoriques pour penser les objets d’une société de communication où les espaces de socialisation sont de plus en plus conf(ond)us. Il y a donc, dans notre thèse, deux lignes directrices : la première, empirique, observe et analyse le phénomène de la peopolisation des hommes politiques dans l’espace public français et la seconde, théorique, éprouve une manière interdisciplinaire d’orienter notre regard et de penser un phénomène médiatique. Résumons désormais les différents résultats et réflexions qui ont guidé notre propos pour, enfin, proposer de saisir la peopolisation comme une action et définir ce phénomène.

Le premier chapitre de cette thèse est guidé par une hypothèse théorique :

Si la sémiotique a permis de « refaire de la sociologie », la sociologie pragmatique permet de refaire de la sémiotique pour considérer un phénomène médiatique en train de se faire et une tension linguistique en train de se défaire et pour, finalement, dépasser l’horizon indépassable du texte.

D’un côté, la sémiotique du discontinu porte son intérêt sur la mise en discours d’actions dans des récits ; l’élucidation de ces récits dévoile l’être du sens dans sa génération. D’ un autre côté, la sociologie pragmatique cherche à décrire l’action en train de se faire, à partir des ressources utilisées par l’acteur ; l’acteur n’étant personne en dehors de son action. La logique immanente et l’intérêt porté à l’action sont au cœur de ces deux pôles théoriques. Le déroulement du fil de leur compatibilité au travers de la notion d’action (et des éléments qu’elle contient : actant, axiologie, épreuve, compétence, etc.) précise la possibilité de cette approche interdisciplinaire en interrogeant sa pertinence. La peopolisation est un processus ; elle est en train de se faire. Il apparait évident de devoir rejeter une définition a priori du phénomène pour partir d’une incertitude que nos observations résoudraient. La notion de controverse, proposée par Latour, en tant qu’elle est ce qui résout l’incertitude, considère les récits comme détenant un pouvoir performatif de structuration du monde et de la société, s’ils s’installent, sont reconnus et repris. Dans cette logique, le récit participe à la structuration du monde et du processus de peopolisation ; récit dans lequel émergent les règles de construction et d’organisation du phénomène saisissables à partir d’une analyse narrative. Une confrontation entre la sémiotique greimassienne et la pensée ricoeurienne, mobilisée par les auteurs de la sociologie pragmatique, dévoile un résidu en suspens au cœur de notre posture interdisciplinaire : le sens de l’être du récit. Dans la sémiotique du discontinu, la question de l’énonciation est confinée dans l’énoncé même. Or, dans ce résidu, se tient la pertinence de l’interdisciplinarité qui projette le récit hors de son lieu de déploiement tout en respectant la logique immanente commune aux deux pôles théoriques mobilisés. Saisir le récit, non pas seulement comme une narration, mais aussi comme un fragment d’une action installe l’énonciateur comme un acteur qui donne une forme et une consistance à la peopolisation, en proposant sa propre théorie sur celle-ci, en dévoilant une de ses formes d’existence et ses effets et en s’engageant dans la critique d’autres formes et d’autres théories.

Le second chapitre poursuit la visée théorique pour envisager l’axe du mouvement et de l’espace. La peopolisation est en train de se faire, elle est un procès ; il y a donc mouvement mais aussi des espaces entre lesquels le mouvement se produit. Prendre le parti des forces plutôt que des places implique de refuser, à nouveau, une définition a priori puisque le mouvement se conçoit dans la possibilité d’un changement et donc à partir de l’incertitude. Quatre mouvements cohabitent dans notre recherche. Le mouvement de la narrativité consiste en la génération de l’être du sens du récit. Le mouvement de traduction considère le journaliste comme un énonciateur qui porte et déplace les paroles. Le mouvement du chercheur focalise ses regards et ses réflexions, lui-même traducteur de la parole de sa recherche comme des êtres et des objets qui s’y meuvent. Enfin, le mouvement de la narration est celui des êtres de papier au sein de l’énoncé. Mais, prendre le parti du mouvement plutôt que des espaces s’avère aussi salvateur pour la considération de notre objet, celui-ci se construisant dans la confusion des espaces. Cette approche par le mouvement évite le piège de l’impossible localisation d’un objet en train de se faire pour revenir à un processus produisant ses propres espaces pour s’y installer. Cependant, pour considérer un objet, il nous faut le reconnaître. L’incertitude absolue comme degré zéro d’une étude apparaît impossible. Etudier la peopolisation oblige donc à identifier certains traits fondateurs de son identité : la notion de quiddité permet de proposer une définition minimale du phénomène de peopolisation, et ainsi le reconnaître sans postuler sa consistance et sa contenance. L’irréductibilité du phénomène tient dans l’hétérogénéité des êtres qui le construisent et dans la difficulté de qualifier leur cohabitation : une hétérogénéité identifiable à partir de la dialectique privé/public dont le dépassement est précisément l’espace d’émergence de la peopolisation. Ainsi, des définitions des espaces privé et public, d’un état des lieux de la littérature existante sur le sujet et de l’adaptation de ces définitions à notre objet, la dyade privé/public s’ouvre à une triade de mondes domestique/civique/de l’opinion. Ces espaces de signification dévoilent un principe de structuration interne à notre objet et permettent de le reconnaitre, de l’identifier et de le différencier d’autres. Trois mondes sont présents, mais, c’est la manière dont on fait tenir le tout qui nous intéresse : nous étudions « la colle » et la composition du collage ; les espaces révélateurs de la quiddité du phénomène de peopolisation devenant des espaces de significations.

Le troisième chapitre quitte pour un temps l’objet de notre investigation pour se préoccuper des espaces producteurs de l’analyse. Ils sont au nombre de quatre : la campagne présidentielle, l’espace médiatique, l’espace de la notoriété et enfin, la presse people. Par la littérature existante et l’observation de 1395 Unes peoples, nous définissons ces espaces pour saisir leurs influences sur notre objet et nos questionnements. Mais, plus loin, ce propos permet de définir les logiques du récit people et deux modes de visibilité opérant une distinction entre les titres de ce genre, pour, enfin, considérer le personnage typique de cette presse. Les êtres de papier sont installés dans les récits à partir d’actions narrativisées et personnifiées ; le potentiel évènementiel de l’information-people ouvre, parallèlement, plusieurs pistes de réflexion quant à notre corpus. Plus encore, parce que ces espaces du récit engagent l’identité des êtres de papier vers une incarnation particulière – celle du re-nom –, ils questionnent l’identité médiatique de personnages ayant une existence exogène aux récits. Le nom, le re-nom, et l’idéologie de la célébrité posent les fondements de l’identité médiatique des personnages de notre étude, et plus particulièrement celle des douze candidats à l’élection présidentielle. L’identité médiatique, définie dans la convergence d’une prise en compte immanentiste et de l’axe – mouvement et espace –, est le produit de la traduction d’un ou plusieurs porte-parole, le résultat d’une énonciation relative à un actant. Chaque énoncé, conçu séparément, dévoile une identité de cet actant comme résultat des procédures d’anaphorisation qui nous permettent de saisir la consistance d’un parcours au croisement d’un axe paradigmatique, illustrant ses différents modes d’existence, et d’un axe syntagmatique, figurant son existence narrative1183. L’ensemble de ces identités, dont la considération s’élargit, alors, aux rapports qu’elles entretiennent entre elles et avec leur instance d’énonciation, constitue l’identité médiatique. Cet élargissement déploie l’identité non plus, seulement, comme le produit d’une narration mais aussi comme le produit d’une traduction. Différents corpus et différents questionnements émergent alors pour considérer la médiatisation des hommes politiques, investie dans les quatre chapitres suivants.

Dans le quatrième chapitre, la mise en œuvre des mondes domestiques, civique et de l’opinion comme paradigmes considère non seulement leur place dans l’identité médiatique mais aussi leur fondement dans une analyse sémantique. L’être du sens des récits – le mouvement de la narrativité – est exploré par l’élaboration d’un répertoire établi à partir de ces trois mondes comme espaces de signification ou, plus précisément, comme isotopies sémantiques. Chacun des termes de notre corpus est alors observé dans son installation sur l’axe syntagmatique pour identifier sa mobilisation. Le répertoire permet de repérer les termes révélateurs de chacun des mondes mais, aussi, les termes manifestés dans la confusion et le mouvement, désignés alors comme termes complexes. L’analyse approfondie de ces termes complexes fait apparaître trois variables de divergences entre les mondes : l’incarnation, le relationnel et la communication. Par ailleurs, cette investigation sémantique questionne la variable de l’actualité, du fait de sa multiple manifestation selon les mondes. Enfin, une étude de néologismes élargit notre considération des mondes comme espaces de signification et revient sur la place du nom propre dans notre recherche. S’il est une marque, objet typique du monde de l’opinion, la fiction des deux corps du roi perturbe cette qualification.

Dans le cinquième chapitre, le corpus constitué de récits issus de la presse people à propos d’au moins un candidat à l’élection présidentielle est observé sous l’angle du porte-parole, à partir de deux questions fédératrices :

Comment la parole de la campagne présidentielle est portée par le genre people ?
Comment la parole des êtres de papier est portée par le genre people ?

Emergent, alors, deux manifestations de la campagne présidentielle : une manifestation comme période et une autre comme contexte, retrouvant la question de l’actualité. La première dévoile une particularité de la presse people – les « immortelles » – et se tient dans un rapport étroit avec la logique du récit personnifié de ce type de presse. La seconde n’est pas mobilisée par tous les titres et opère une distinction dans l’attribution de la grandeur des personnages politiques et de leur légitimité à être médiatisé dans ce type de presse. La convergence de ces investigations considère le dire, le savoir-dire et le vouloir-dire des différents titres de presse people quant à la campagne présidentielle et ses personnages. Mais les caractéristiques de l’« immortelle de campagne » construisent, par ailleurs, l’identité people de ces titres en montrant la focalisation de cette presse autour des mondes domestique et de l’opinion, à partir de récits astrologique, morphopsychologiques, graphologiques – sur le passé des candidats ou sur le soutien de peoples ou de leurs proches –, qui permettent l’attribution de traits psychologiques et de compétences. Finalement, l’ensemble des énoncés de chaque titre distingue les porte-parole et les lignes éditoriales quant à la campagne présidentielle et l’information politique. Par une plus forte mise en scène de ce qui survient dans la campagne électorale,‘ VSD ’ et ‘ Paris-Match ’ portent la parole autant du monde civique que des autres mondes. A l’inverse, ‘ Gala ’ et ‘ Closer ’ confinent les candidats dans les mondes domestique et de l’opinion. Closer rejoint par ailleurs ‘ Voici ’ dans la manifestation d’une position politique forte, pro-Royal pour ‘ Closer ’, anti-Sarkozy pour ‘ Voici ’. De leur côté, ‘ France-Dimanche ’, ‘ Point de Vue ’, ‘ Ici-Paris ’ et ‘ Public ’ refusent aux candidats la légitimité d’apparaître dans les récits sans « intermédiaire-médiatisant » à qui ils délèguent le ‘ savoir-dire ’ et le ‘ pouvoir-dire ’.

Dans le sixième chapitre, notre regard se tourne sur l’ensemble des énoncés à propos d’un candidat pour mettre à jour son identité médiatique dans le genre people. La visibilité suit la grandeur des candidats dans le monde civique et le monde de l’opinion à partir de leur potentiel électif et médiatique. Seul José Bové est doté d’une identité médiatique épaisse parmi les huit petits candidats et ce, grâce à Gala. Sa médiatisation rejoint la posture particulière de cet hebdomadaire, fondée sur un compromis entre monde domestique et monde de l’opinion, à partir des figures de la simplicité, de l’humilité et de la sincérité. Ce compromis est opéré par tous les titres pour François Bayrou1184 offrant une figure de cohérence de l’identité médiatique et installant ce candidat sur l’axe des contraires du carré véridictoire, c'est-à-dire comme un homme « vrai ». La médiatisation de Jean-Marie Le Pen, de son côté, est contradictoire. Sa mise en visibilité aux côtés des trois principaux candidats lui octroie un ‘ pouvoir-faire, ’ nié dans les récits à partir des figures et compétences qui lui sont attribuées. Pour Ségolène Royal, la figure de la mère, de la femme et de la politique construisent une identité entre isolement/indépendance et union. L’identité médiatique de Ségolène Royal est le fruit d’un paradoxe au cœur d’une seule identité médiatique, impliquant sensibilité et dévouement mais aussi indépendance, autorité et ambitions. A l’inverse, l’identité médiatique de Nicolas Sarkozy se saisit dans la cohabitation de deux postures éditoriales divergentes ; ce qui nous oblige à évoquer deux identités médiatiques pour un même candidat. Tous les titres de presse people s’accordent pour lui attribuer une dépendance par rapport à ses proches, proposant alors un contrat de lecture de son identité particulier se révélant plus dans l’identité médiatique de ceux qui l’entourent et dans les rapports qu’il entretient avec eux. La présentation d’un entourage pris dans la confusion des mondes, pour ce candidat, découvre deux mouvements qui distinguent les titres : une dénonciation, depuis le monde civique, des influences et des jeux de paraître et un agencement, depuis le monde domestique, désamorçant les dénonciations possibles depuis les autres mondes. Enfin, nous déplaçons notre regard de la presse people vers des portraits de la presse quotidienne nationale pour observer que les éléments révélateurs de l’identité médiatique de chacun des candidats dans le genre people se retrouvent dans ces portraits.

Dans le septième et dernier chapitre, c’est un dépassement de la période de la campagne présidentielle, à partir de deux corpus secondaire qui ouvre notre regard vers l’évolution de la médiatisation des politiques. Un premier corpus est composé de récits à propos de trois évènements traités, à la fois, dans la presse people et la presse quotidienne nationale. Les récits à propos du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni s’organisent autour de la question de la visibilité du mariage, en tant que cérémonie et en tant qu’évènement médiatique. Si la presse people cherche à montrer le mariage comme cérémonie, la presse quotidienne en rend compte mais questionne surtout son évènementialisation. Pour le cas de l’accouchement de Rachida Dati, la brièveté de son congé maternité déplace l’évènement de la naissance à la possibilité d’être femme et politique, ce qui reprend la question de l’incarnation. Enfin, l’itinéraire des rumeurs d’infidélités de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni en mars-avril 2010 retrouve l’isotopie de la communication, apparue au chapitre III. De l’acte d’énonciation au discours des actants de narration, les espaces de déploiement de la parole transforment la communication et découvrent les concepts de rumeurs, commérage, scandale, complot et Affaire. Le potentiel événementiel des informations people est révélé dans la confrontation des mouvements entre presse people et presse quotidienne nationale : les logiques du récit people enferment les informations dans le confinement des mondes de l’opinion et domestique et empêchent ces informations de faire évènement. Enfin, un dernier corpus, quantitatif cette fois, composé de 1395 Unes observe la politisation des titres peoples et permet d’observer une réduction des disparités découvertes lors de la campagne. Plus encore, ce corpus confirme la prédominance du personnage féminin dans cette presse mais nuance notre hypothèse empirique principale. La campagne présidentielle ne signe pas le processus de peopolisation, son évolution à la suite de cette période montre qu’il était encore largement en cours de construction.

Ainsi, ces chapitres ont permis de comprendre ce qu’il en était de la médiatisation des personnages politiques dans la presse écrite française lors de la campagne présidentielle et de ce qu’il en est aujourd’hui1185. Mais un dernier mouvement est nécessaire, en conclusion de cette thèse, pour réunir ces différents chapitres et les ouvrir à l’intérêt vecteur de notre propos et de nos analyses : la définition de la peopolisation et de sa forme actuelle.

Notes
1182.

Particularité mais non originalité, d’autres objets conviennent à ce mode d’existence ou le confrontent : il y a là justement tout un horizon de recherche et d’approfondissement.

1183.

Cette définition a été investie en détail lors du chapitre III.3.3.

1184.

A l’exception de ‘ France-Dimanche ’et ‘ Point de Vue ’ qui ne médiatisent pas le candidat UDF.

1185.

Ou du moins au moment où nous concluons cette recherche et où son corpus se clôt (30 avril 2010).