Raconter le mélange des mondes…

Une première mise en scène du mélange des mondes consiste en une médiatisation, d’êtres ou d’objets à la croisée des mondes, qui fait comme si le mélange et sa narration allait de soi : les conditions et la légitimité de l’acte d’énonciation et de mise en scène de l’agencement composite sont instituées comme ce qui tombe sous le sens de l’activité du porte-parole et de la réalité, sans que cela ne soit explicité.

Plusieurs logiques découvertes lors de nos analyses correspondent à cette mise en scène. Elles sont, par exemple, celles de la presse quotidienne nationale lors du décès de Gregory Lemarchal. Par de brèves annonces, les journaux rendent comptent de la mort du jeune chanteur sans pour autant mettre en scène une quelconque aporie du savoir quant à l’évènement traité1194. Le récit met en scène un « ça s’est passé » sans questionner ou réfléchir ce qui s’est passé. C’est aussi le cas des journaux La Croix et Le Monde lors du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni1195. Le passage du monde domestique au monde civique n’est pas incarné par un objet du monde de l’opinion et n’est pas justifié. Le narrateur permet ce passage en neutralisant le monde de l’opinion afin d’ignorer un questionnement sur l’activité de médiatisation. Le monde de l’opinion n’est impliqué que dans le support du récit mais n’est ni actant ni action de narration et n’est pas contenu dans une mise en abîme ; sa seule incarnation est dans l’énonciation et apparait évidente.

Du côté de la presse people, cette mise en scène mérite de rappeler l’essence même de la presse people ; une presse qui met en lumière des faits ou des êtres issus du monde de l’opinion ou du monde domestique. Pourtant, les êtres de papier de cette étude sont aussi pris dans le monde civique. La place de ce monde rend compte de deux pratiques de mise en visibilité, sans que celles-ci ne soient investies ou réfléchies.

La première mise en visibilité est celle de la presse people faiblement médiatisante, lors de la campagne présidentielle. La mise en scène du monde civique l’investit comme un critère de qualification du personnage politique ; un critère qui ne permet pas la grandeur des êtres dans ce type de presse. Le monde civique est donc envisagé au travers du monde de l’opinion, au travers de personnages jugés plus digne d’intérêts. Une telle mise en scène n’est jamais explicitée par France-Dimanche, Ici-Paris, Point de Vue et Public 1196 ; elle s’impose comme « normale » : les hommes politiques ne sont pas des peoples, il faut des peoples pour parler des hommes politiques 1197. La présence d’un intermédiaire-médiatisant permet de pouvoir-dire et de savoir-dire sans réfléchir le vouloir-dire ou le devoir-dire. Dans la logique de la sémiotique du discontinu de Greimas, cette mise en scène correspond, au niveau de l’énonciation-énoncée, à la manifestation de compétences actualisantes sans celle de compétences virtualisantes.

Mais le monde civique peut être, par ailleurs, neutralisé dans l’énoncé-énoncé, c'est-à-dire en tant qu’espace de narration. Lors de la maternité de Rachida Dati, la presse people s’attarde sur la cérémonie de la mise au monde, sur le bonheur qu’il peut susciter pour la mère ou sur l’identité du père. Lors des rumeurs d’infidélités, la presse people se saisit de l’évènement dans le confinement du bonheur ou des tensions dans le couple ou autour de l’amitié ou de l’inimitié de Rachida Dati et de Carla Bruni. Les hebdomadaires peoples ignorent, ainsi, les scandales autour des évènements et les replient vers des objets du monde domestique ou de l’opinion.

Ainsi, dans cette première mise en scène, la presse people néglige le monde civique ou ne le traite que comme un facteur de notoriété et, donc, comme déjà pris dans le monde de l’opinion. La retraite des objets civiques, déployés par la presse people, n’est pas questionnée, comme si cela tombait sous le sens que ce type de presse ignore les retombées politiques ou sociales de ces évènements. La presse quotidienne nationale, quant à elle, neutralise le monde de l’opinion. L’absence de réflexivité évite de rendre problématique la relation entre la qualification et les objets : elle élude ainsi le questionnement quant au mélange des mondes et à la légitimité de le mettre en scène.

Notes
1194.

Cf. Chap. VII. 1.1.

1195.

Cf. Chap. VII. 1.2.2.

1196.

Bien que Voici ne mette en scène les hommes politiques que par l’intermédiaire de people, la particularité de son énonciation humoristique le place dans une autre posture, plus critique, dont nous rendrons compte un peu plus loin.

1197.

Ou des personnes ordinaires dans le cas de France-Dimanche.