A l’origine du mélange des mondes et de sa mise en scène étaient les personnages politiques.

L’analyse des rumeurs d’infidélités a souligné l’intérêt porté à l’identification de l’auteur de la diffusion d’une rumeur, permettant au porte-parole de se désolidariser du groupe des propagateurs1198.

‘« Pour les médias, la rumeur est toujours l'information de l'autre, l'information qu'on ne peut pas donner, et une information probablement fausse. 1199 »’

Cet intérêt est très présent dans notre corpus ; de nombreux porte-parole identifient les autres comme à l’origine du mélange des mondes et de sa mise en scène. Cet autre est majoritairement l’homme politique, qui cherche à toucher l’opinion publique. Rappelons qu’un compromis est envisageable entre monde civique et monde de l’opinion à partir de l’acception d’« opinion publique », tenue par l’ambiguïté du terme « public » inhérente à ces deux mondes1200. Cette ambiguïté devient un compromis lorsque l’ambition de « toucher l’opinion publique » est soumise non seulement à « ‘ l’enrôlement pour une cause dans le monde civique » ’mais aussi à‘ « la captation des regards dans le monde de l’opinion ’ »1201. Deux mouvements sont ici possibles. Soit le compromis est maintenu, soit une critique émerge de cette ambiguïté quand le porte-parole indique que le compromis n’est pas réalisé du fait d’un abandon, par l’homme politique, de la juste cause alors qu’il maintient la recherche de captation des regards. La dénonciation repose alors sur un désintérêt quant au principe supérieur commun du monde civique. Nous retrouvons ces deux mouvements au travers des deux identités médiatiques de Nicolas Sarkozy. Le premier est celui de Paris-Match, qui maintient le compromis1202, tandis que les autres titres construisent la figure du manipulateur. Dans ce dernier mouvement, le monde de l’opinion est dénoncé en tant qu’il ne sert pas à des objets du monde civique mais reste restreint à ses propres objets : il n’est pas un point de passage mais la finalité. La question laissée en suspens dans le chapitre V, à propos du positionnement politique de Voici et de sa ligne éditoriale fondée sur une critique constante du personnage de Nicolas Sarkozy, retrouve son intérêt1203. Au travers de récits anti-sarkozystes, ‘ Voici ’ rejoint une attitude critique de la presse quotidienne nationale énoncée depuis le monde civique à l’encontre du monde de l’opinion ; c’est aussi la position de VSD et Gala 1204 dans la traduction de l’identité médiatique du candidat UMP. L’homme politique se joue du public, il est celui à l’origine du mélange des mondes et de sa mise en scène, les porte-parole se positionnent alors comme ceux qui rendent compte et dénoncent cette manipulation.

Un même mouvement est repérable lors du traitement médiatique de la maternité de Rachida Dati. Voici produit une énonciation critique depuis le monde domestique, accusant Rachida Dati de carriérisme et d’arrivisme nuisant non seulement à sa maternité mais aussi à son enfant. Ce narrateur dévoile l’impossibilité d’être, à la fois, mère et ministre et construit la figure d’une femme carriériste en même temps que celle de la mauvaise mère qui échange sa fille contre son travail, malgré les risques psychologiques que cela peut occasionner1205. Voici émet, ainsi, une critique depuis le monde domestique, ignorant les conséquences dans le monde civique et privilégiant la question de l’harmonie dans le monde domestique. Cette dénonciation prend une autre forme pour ‘ Libération ’et‘ Le Monde. ’Ces journaux déplacent la figure de la mauvaise mère vers le monde civique pour éprouver la figure du mauvais exemple, niant les avancées sociales des femmes pour le congé maternité. Quel que soit le lieu de déploiement de la critique, monde civique pour les quotidiens ou monde domestique pour Voici, ces porte-parole identifient, au préalable, un Destinateur du mélange des mondes et de la mise en scène, ce qui leur permet de supposer un mélange non-obligatoire et donc de sanctionner l’identité composite de Rachida Dati.

Dans les récits sur les rumeurs d’infidélités, Le Monde, L’Humanité et Libération retournent l’accusation dans le scandale n°2 et permettent à l’affaire de prendre forme. Le public devient à la fois témoin et victime de l’affaire. Les amitiés et les inimitiés des personnages de la rumeur s’opposent au public qui est celui du monde civique : les électeurs ou les citoyens. Le retournement de situation et la naissance de l’Affaire prennent sens dans l’indignation des petits face aux pratiques des grands. Une fois encore, ces journaux identifient les Destinateurs du mélange des mondes et de sa médiatisation. Les porte-parole s’affranchissent, ici, de manière franche, du groupe des politiques désignés comme les Destinateurs. Ils se débrayent, eux-mêmes, dans les programmes narratifs comme des opposants à la rumeur, par une explicitation de leur refus à la considérer, à diffuser ce qu’elle dit et à participer à son élaboration. Cette désolidarisation est aussi celle de ‘ Voici ’ et ‘ Closer ’qui, dans des encarts, mettent en scène sa diffusion sur Internet ou dans la presse étrangère, deux groupes auxquels ils n’appartiennent pas. En revanche, les médias peuvent être aussi qualifiés, dans d’autres récits, comme les Destinateurs du mélange des mondes et de sa mise en scène.

Notes
1198.

Cf. Chap. VII. 1. 4. 1.

1199.

TAIEB, 2005, op. cit, p. 5.

1200.

Cf. Chap. IV. 2. 2. 1.

1201.

BOLTANSKI & THEVENOT, 1991, op. cit. p. 386.

1202.

Nous reviendrons sur ce compromis lors de la troisième posture de mise en scène du mélange des mondes.

1203.

Cf. Chap. V. 3. 2. 1.

1204.

Malgré une ligne paradoxale de cet hebdomadaire, soulignée chap. VI. 4. 3. 2.

1205.

Ces risques psychologiques sont installés dans le récit à partir du discours d’un expert. Cf. Chap. VII. 1. 3. 2.