A l’origine du mélange des mondes et de sa mise en scène étaient les médias.

Dans les récits sur les rumeurs d’infidélités du Figaro 1206, la figure de la victime est incarnée par Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, ce qui empêche de les considérer comme les Destinateurs ; la figure du bourreau est remplie alors par celui qui incarne le rôle de l’accusateur : la rumeur. Ce n’est qu’au travers des citations qu’émerge un coupable plus précis : Internet. Cette posture de dénonciation indique que le porte-parole parle au nom du couple, sujet du monde domestique ; il les plaint, en soulignant leurs souffrances et les dommages qu’ils subissent. Cette attitude est aussi celle d’Ici-Paris et ‘ France-Dimanche, ’lors de la médiatisation de l’accouchement de Rachida Dati, pour le premier1207, ou à la suite du décès de Gregory Lemarchal, pour le second1208. Ces hebdomadaires s’associent à la ministre pour partager son bonheur ou à la famille du jeune chanteur pour partager sa douleur tout en se désolidarisant des autres titres peoples et médias et en dénonçant une surmédiatisation nuisibles aux personnages qu’ils plaignent dont les Destinateurs sont leurs concurrents. Il y a un écart entre deux incarnations du monde de l’opinion. La première installe le monde de l’opinion comme actant de narration, et plus précisément, comme un opposant au couple, à la mère ou à l’harmonie dans le foyer domestique tandis que la seconde entretient, au niveau de l’énonciation, la médiatisation des évènements.

C’est une variante de cette posture que nous observons dans les journaux ‘ Libération ’ et l’‘ Humanité ’ lors du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni. Ces journaux ne rendent pas visible l’évènement mais questionnent sa visibilité. Ils s’éloignent donc de la pratique pour la réfléchir. Ils mettent en confrontation la réalité et le monde. Ainsi, en février 2008, quand ‘ Libération ’ titre « Le divorce », il oppose la réalité de la visibilité du mariage de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni au monde où un autre objet serait rendu visible : le problème du pouvoir d’achat des Français. De la même façon, ‘ L’Humanité ’énonce dans l’article « A Carla et Nicolas » :

‘« Vous avez alors choisi un mariage tout simple, discret, avec quelques amis seulement. Et voilà pourtant que tout le monde en parle. Vous auriez voulu que cette discrétion soit reconnue et saluée par tous, qu'elle fût connue en tous lieux, que sonnent les trompettes de la modestie après celles de la renommée, qu'il n'en aurait pas été autrement. C'est une bien belle histoire que vous offrez aux Français, savez-vous, en ces temps cruels d'argent fou, de pouvoir d'achat en berne et de baisse dans les sondages à l'approche des élections municipales, face aux promesses non tenues, au clinquant ou aux manipulations comme celle de la ratification du traité de Lisbonne. Oui, une bien belle histoire. » ’

Cette réponse revient finalement à accuser l’objet « people » de détourner l’individu des vrais problèmes et dénonce « ‘ une idéologie au sens le plus marxien du terme, soit une entreprise de travestissement de la réalité ’ ». Cela rejoint – comme l’indique Dakhlia – une des critiques les plus virulentes contre la peopolisation la désignant comme une mise en danger de la démocratie1209. Le narrateur se positionne comme un destinateur-judicateur sanctionnant les autres acteurs de la médiatisation – autant les acteurs politiques que les autres médias – pour n’avoir pas rendu visible le bon sujet, ici l’anti-sujet : le pouvoir d’achat.

Ces énoncés se placent dans une logique de remise en cause de la réalité en tant qu’ils mettent en avant un possible et qu’ils réfléchissent le rapport entre les formes symboliques et les états de choses. Ils nous présentent un monde, une alternative à la réalité, où les objets du monde domestique ne remplaceraient pas ceux issus du monde civique, où le monde de l’opinion ne nuirait pas à l’harmonie dans le monde domestique. Le mélange des mondes et sa mise en scène sont, avant tout, dans cette optique, le résultat d’une action dans le monde de l’opinion.

Notes
1206.

Cf. Chap. VII. 1. 4. 2.

1207.

Cf. Chap. VII. 1. 3. 1.

1208.

Cf. Chap. VII. 1. 1.

1209.

DAKHLIA, 2008, op. cit. p. 88.