L’institution comme instance de confirmation

L’ouvrage‘ De la critique ’ retrouve la sociologie critique à partir, entre autres, de la notion d’institution pour s’affranchir très rapidement de la définition bourdieusienne. Boltanski constate une tendance à l’amalgame entre institution et social, institution et Etat et entre institution, organisation et administration. Dans cet amalgame, la sociologie critique s’est préoccupée des institutions « ‘ pour les assimiler à des instruments de dominations sociales ’ »1219, ce qui amène Boltanski à qualifier cette sociologie de « ‘ critique des institutions ’ »1220 ou de « sociologie des exploitations »1221. La sociologie pragmatique a, quant à elle, ignoré les institutions et s’est construite dans l’ambition de « ‘ se rapprocher ’ ‘ des situations concrètes dans lesquelles les personnes agissent ’ »1222 pour privilégier le sens des énoncés jamais indépendant de l’acte d’énonciation. Ainsi, la sociologie pragmatique reprochait aux autres sociologies d’être dans l’illusion d’un sens commun et d’ignorer la logique même du langage et jeu entre les objets et leurs qualifications. Mais, avec cet ouvrage, Boltanski revient à la question de l’institution, tout en se distanciant de la considération négative de l’institution par la sociologie bourdieusienne.

En instituant la possibilité au monde d’être et en considérant la réalité comme un leurre de normalité, Boltanski refuse un pouvoir absolu aux institutions du fait de l’existence de critiques. La critique prend appui sur l’incertitude et sur l’existence d’alternatives à la réalité1223. De son côté, l’institution doit sans cesse re-confirmer la réalité pour contrer et désarmer ces critiques

‘« Or, comme l’a montré notamment l’étude des formes rituelles ou cérémonielles, mais aussi celle du droit et de toutes les autres modalités de mise à la norme, les institutions sont acculées à la tâche de redire sans cesse ce qu’elles veulent dire, comme si les affirmations les plus péremptoires et, en apparence, les plus imparables étaient toujours confrontées à la menace du déni, ou encore comme si la possibilité de la critique ne pouvait jamais être complètement écartée.1224 »’

Le rôle des institutions, selon ce sociologue, est d’instituer et de protéger la relation entre formes symboliques et états de choses. L’institution est donc fortement liée au registre métapragmatique de confirmation, présenté plus haut : elle doit apaiser les inquiétudes, banaliser la relation entre les qualifications et les choses et stabiliser les interprétations. L’institution se réalise dans des épreuves de vérité, c’est-à-dire dans un déploiement de la norme, ayant une visée de cohérence et de saturation.

‘« Les épreuves de vérité sont agencées de manière à mettre en cohérence des éléments disparates.1225 »’

L’épreuve de vérité s’attache à faire tenir la réalité comme détachée de l’instance d’énonciation, en se tenant aux antipodes de l’argument1226. Il y a donc une « visée objective de la réalité [qui] s’oriente en direction de la totalité »1227 puisque « c’est seulement en se présentant à la place du tout que la réalité peut chercher à assurer sa robustesse et se défendre contre les forces qui concourent à la relativiser, c’est-à-dire à la mettre en cause »1228.

Notes
1219.

BOLTANSKI, L., « Institution et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination », ‘ Tracés ’, 8, 2008. p. 18.

1220.

BOLTANSKI, 2009, ‘ op. cit. ’ p.86.

1221.

Ibid. p.26.

1222.

Ibid.p. 18.

1223.

Ibid. p.149-150.

1224.

Ibid. p.151.

1225.

Ibid. p.167.

1226.

Ibid. p.158.

1227.

BOLTANSKI, 2009, ‘ op. cit. ’ p.140.

1228.

Ibid. p.140.