La peopolisation

Ce qu’elle est : proposition de définition.

Dans notre corpus, la réalité de la peopolisation s’impose comme une interdépendance naturelle des trois mondes dont le journaliste se doit de rendre compte, tout aussi naturellement, de manière objective du fait de son statut extérieur à la hiérarchie des grandeurs dans le monde de l’opinion. Pourtant, une des postures initiales de Boltanski consiste à rejeter la réalité qui irait de soi pour la comprendre comme construite et comme un leurre de normalité. Notre posture scientifique nous oblige donc à réinterroger la définition de la peopolisation telle qu’elle est inscrite dans le registre métapragmatique de confirmation et donc par l’institution, pour la considérer comme une action. Mais la peopolisation n’est pas simple action, elle est une action discursive : elle n’existe que dans une énonciation qui fait exister ensemble, dans le discours, les espaces hétérogènes. Plus encore, elle est une action discursive médiatique puisque sa réussite est soumise à la visibilité du discours qui la fait. Elle est, ainsi, nécessairement supportée par le monde de l’opinion. En outre, c’est une action discursive médiatique qui s’attache à décrire un sujet, un objet, une action à partir de trois mondes : monde civique, monde domestique et monde de l’opinion. Mais, plus que les mobiliser comme espaces de signification, elle les sépare pour se constituer dans leurs rapprochements. Le cas de la maternité de Rachida Dati montre bien ce mouvement. Tous les récits, quelle que soit leur posture, ont d’abord différencié la mère de la femme politique pour enfin la réunir comme une seule et même personne ou souligner l’incompatibilité entre les êtres1255. L’identité médiatique de Ségolène Royal est construite, de la même façon, sur l’ambivalence de plusieurs mondes que les narrateurs séparent au préalable pour pouvoir construire leurs récits dans l’association1256. En se constituant dans le rapprochement d’espaces distincts, la peopolisation est une action discursive médiatique qui résout la différenciation des espaces qu’elle construit et impose, par là, une compatibilité entre les mondes. L’exemple le plus flagrant est celui de l’identité médiatique de François Bayrou, qui confirme la possibilité de rester le même tout au long de ses déplacements1257.

Ainsi, en résumant ces différents éléments, nous pouvons proposer une définition de la peopolisation comme suit :

‘En se constituant dans le rapprochement des mondes domestique, civique et de l’opinion qu’elle sépare, la peopolisation est une action discursive médiatique dont l’enjeu est de résoudre la différenciation des espaces qu’elle construit. ’

Cette définition maintient une ouverture pour différents mouvements que la peopolisation supporte. Dans son dernier ouvrage, Mythologie de la peopolisation, Dakhlia montre que la peopolisation est un empilement de trois sens :

‘« L’appropriation du discours people par les responsables politiques ou par leur entourage (…)  La conformation de l’ensemble des médias aux modèles et aux pratiques de la presse people (…) Le resserrement entre politiques et vedettes.1258 »’

Notre définition de la peopolisation permet ainsi de concevoir différents mouvements en son sein selon l’acteur. Dans notre recherche, le politique n’est jamais l’acteur, ou du moins seulement dans l’énoncé-énoncé et donc au travers du dire du porte-parole incarné par les médias. S’ouvre ici tout l’intérêt de continuer cette recherche afin de voir comment, dans leur discours ou sur leur site Internet, blog ou profil facebook, les politiques performent la peopolisation.

Enfin, la définition de la peopolisation retrouve la théorie du « portrait du roi » de Marin, en imposant cette omniprésence de l’image, iconique ou textuelle, comme fondatrice et fédératrice de l’échange entre les mondes. La peopolisation émerge dans une mise en abîme du monde de l’opinion.

‘« Le roi n’est vraiment roi, c'est-à-dire monarque, que dans les images. Elles sont sa présence réelle (…) [et] sa réalité royale.1259 »’

Seul mot en suspens dans notre répertoire des mondes, la peopolisation est le résultat d’un mouvement au creux de ce terme, formulable comme : ((1-2)-(3-2)-2)-21260. Elle est le fruit d’un compromis entre monde civique, monde domestique et monde de l’opinion, lui-même en situation de compromis avec le monde de l’opinion, puisqu’il est le support incontournable pour sa réalisation. Par ailleurs, les mondes civique et domestique n’ont aucune réalité propre dans la peopolisation ; ils sont eux-mêmes le résultat d’un discours. La performance de peopolisation ne résout jamais, par exemple, la différenciation entre l’être-mère et l’être-femme politique de Ségolène Royal, mais résout la différenciation entre la figure de la mère et la figure de la femme politique de Ségolène Royal. La peopolisation joue avec les figures qu’elle crée. Mais ces figures sont avant tout médiatiques et donc le fruit, elles aussi, d’un compromis entre monde civique ou monde domestique et monde de l’opinion (justifiant les formules intégrées (1-2) et (2-3). Ainsi, nous complétons la définition proposée plus tôt :

‘En se constituant dans le rapprochement des mondes domestique, civique et de l’opinion qu’elle sépare, la peopolisation est une action discursive médiatique dont l’enjeu est de résoudre la différenciation des espaces qu’elle construit toujours dans la négociation avec le monde de l’opinion.’

A partir des analyses narratives, reconsidérées au prisme de la théorie de la critique de Boltanski, le changement de focale a permis de penser la peopolisation comme une action et de dégager une définition de celle-ci. Par cette définition, la peopolisation est considérée par ce qu’elle est. Mais la peopolisation est une action ancrée dans un temps historique et social. En observant la campagne présidentielle mais aussi la période qui l’a suivie, notre conclusion ne peut s’arrêter là. Le compromis que porte la peopolisation implique de considérer ce qu’il en est de ce qu’elle est, c’est-à-dire de conclure sur sa forme et sa place actuelle dans l’espace public français.

Notes
1255.

Cf. Chap. 1. 3.

1256.

Cf. Chap. VI. 3.

1257.

Une « vérité » de l’être sanctionnée positivement dans tous les titres de la presse people. Cf. Chap. VI. 2. 3.

1258.

DAKHLIA, J., Mythologie de la peopolisation, Paris : Le cavalier bleu, 2010, p. 20-21.

1259.

MARIN, 1981, op. cit. p. 12-13.

1260.

Le tiret manifeste un compromis. Cf. Chap/ IV. 1.2.3.