29 Dans le cadre du travail subordonné, le conducteur de la volonté n’apparaît pas être le salarié mais l’employeur. Il faut donc appréhender le mécanisme juridique qui sous-tend cette subordination et s’attacher plus particulièrement à l’acte juridique générateur du rapport d’emploi liant tout salarié à son employeur, le contrat de travail.
Fortlogiquement, la définition du contrat de travail construite par la jurisprudence et mise en relief par les auteurs, s’appuie essentiellement mais non exclusivement sur le lien de subordination. On peut ainsi retenir que le contrat de travail est une « convention par laquelle, une personne physique, le salarié, met son activité au service (à la disposition) d’une autre personne, l’employeur, sous l’autorité de laquelle elle se place, moyennant le versement d’une rémunération » 46. Ainsi, la qualification de contrat de travail suppose la réunion de trois éléments : une prestation de travail effectuée par le salarié, une rémunération versée en contrepartie par l’employeur et un lien de subordination47. Pour autant, la subordination constitue bien le critère principal qui permet de distinguer le contrat de travail des autres contrats48.
30 Comme le souligne le professeur P.Lokiec, la subordination s’entend plus comme une opération de qualification des faits bien davantage que comme une opération d’interprétation du contrat49. Les conditions d’accomplissement effectif du travail « sous l’autorité de l’employeur » qui a le pouvoir de donner des ordres et directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner l’inexécution, donnent corps à l’identification de la subordination et, partant, au contrat de travail.
31 D’ailleurs, la Cour de Cassation rappelle régulièrement que « l’existence d’une relation de travail salarié dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs, et ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénominationqu’elles ont donnée à leur convention » 50 . La volonté des parties au contrat est donc impuissante à faire échapper à la qualification de contrat de travail telle qu’elle résulte des conditions d’exécution du travail. Le régime juridique applicable à la catégorie contrat de travail, en l’occurrence une réglementation d’ordre public, justifie une telle intransigeance.
32 Même si la subordination n’aspire pas à une réification du salarié51 ni à la création d’un droit de l’employeur sur le corps du salarié52, mais prétend caractériser les conditions d’exécution d’une prestation de travail salariée, elle n’en constitue pas moins une restriction normative à la volonté du salarié.Le contrat de travail n’est-il pas réputé instrument d’assujettissement du salarié plus que d’engagement 53 ? A telle enseigne que l’ordre juridique a compensé cette faiblesse par un « statut » social prédéterminé visant à introduire une égalité concrète. Le contrat de travail présente donc une double nature, à la fois véritable contrat et acte-condition. De cette double nature, le rapport d’emploi tire une double dimension, contractuelle et « institutionnelle »54.
33 L’originalité du rôle de la volonté du salarié, tient précisément à la double nature de ce rapport d’emploi. Or, la frontière entre les dimensions contractuelle et institutionnelle est particulièrement délicate à déterminer, quand on s’interroge sur la place de la volonté individuelle du salarié dans le rapport d’emploi. En effet, si cette volonté, à l’unisson de celle de l’employeur, est indispensable à la formation du contrat de travail, le salarié consent, dans un même élan, à l’instauration normative d’un lien de subordination envers son cocontractant, l’employeur. Il est placé, simultanément, dans une situation d’assujetti au pouvoir patronal, du seul fait de son consentement au contrat de travail ; en effet, le salarié se trouve sous l’autorité de l’employeur, lequel dispose de prérogatives reconnues par l’ordre juridique. La volonté du détenteur du pouvoir prime ainsi sur celle de l’assujetti.
A.Jeammaud, M.Le Friant, A.Lyon-Caen, « L’ordonnancement des relations du travail », D.1988, chr.p 361.
La subordination s’appréciant, selon les données objectives au regard des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur. V. notamment l’analyse de P. Lokiec («Contrat et pouvoir- Essai sur les transformations du droit privé des rapports contractuels», Thèse 2002 Nanterre).
Cette affirmation est valide, quelle que soit la position adoptée, par ailleurs, dans le débat qui converge autour de l’objet du contrat de travail. Mise à disposition du corps du salarié ou de sa personne ( notamment P.Verge-G.Vallée, « Essai sur la spécificité du droit du travail », ed.Y.Blaise inc. Le Droit Aussi 1997 ; G.Poulain, « Les conséquences de l’inégalité sur la situation juridique du travail », Dr.Soc. 1981 p 754 et suiv ; J-J Dupeyroux, « Quelques questions », Dr. Soc. 1990 p 9 et suiv.), location ou louage de la « force de travail » du salarié par l’employeur (notamment T.Revet, « La force de travail »,Thèse Montpellier 1991,Litec 1992 ; « L’objet du contrat de travail », Dr. Soc. 1992 p 859 et suiv. ;M.Fabre-Magnan, « Le contrat de travail défini par son objet » in Le travail en perspectives sous la direction de A.Supiot LGDJ 1998 p 101 et suiv. ; A.Supiot, « Critique du droit du travail », PUH 1994 ), la subordination juridique s’impose comme une nécessité quasi mécanique, comme une certaine emprise sur le corps et la volonté du salarié, certes librement consentie mais une condition requise pour répondre à l’objet du contrat de travail, ce nonobstant la reconnaissance du pouvoir de l’employeur. Elle n’en est pas moins un critère de qualification du contrat de travail permettant une opération de classification et de détermination du régime juridique de l’acte.
Les stipulations contractuelles, même si elles concourent à la qualification, ne sont pas déterminantes en elles-mêmes, puisque le contrat de travail n’a pas à être nécessairement écrit pour exister (V.notamment Cass.soc. 15/02/2006 JCP/La sem. Jur. n°13 28/03/2006).
Cass.soc. 19/12/2000, Liais. Soc. 15/01/01, jp n° 699 , Dr. Soc. 2001 p 227, obs. A. Jeammaud. Cass.Soc.09/05/2001, Dr. Soc. 2001p 798, obs. J.Savatier. Cass.Soc.17/04/1991, Dr. Soc. 1991p 516. Cass. Soc. Ass.Plé. 04/03/1983, D.1984 I R p 164, note J-M Béraud.
Même s’il peut exister un risque pour le corps du salarié ( les risques dits professionnels) .
E.Dockès, « La détermination de l’objet des obligations nées du contrat de travail », Dr. Soc.1997 p 140 et suiv.
A. Supiot, « Pourquoi un droit du travail ? », Dr. Soc. 1990, p 487. V. aussi du même auteur , « Le juge et le droit du travail », Thèse Bordeaux 1979, notamment p 115, 127. « Le juge et le droit du travail. Compte-rendu d’une recherche », Dr.Soc. 1980, p 61-62.
« Sans que ce choix terminologique vaille adhésion à la doctrine institutionnelle de l’entreprise » selon A. Jeammaud, « Les polyvalences du contrat de travail » in Etudes offertes à G. Lyon –Caen, Les transformations du droit du travail, ed. Dalloz 1989, p 301.