38 Deux voies d’investigation pouvaient être empruntées. La première consistait à déployer l’analyse à partir des principales manifestations de volonté du salarié, le consentement et le refus, le risque étant alors de se cantonner à la volonté contractuelle et de ne pas investir l’ensemble des formes d’expression volontaire du salarié. La seconde voie autorisait une analyse plus systématique qui traquerait, dans toutes leurs diversités, les figures volontaires du salarié dans le rapport de travail.
Bien que cette dernière approche, ne soit pas non plus exempte de risques, en particulier celui d’une certaine austérité, au moins en apparence, elle est apparue plus opportune, au regard des objectifs d’exhaustivité et de clarté poursuivis. Le choix opéré amène ainsi à apprécier la volonté du salarié au regard successivement de la dimension contractuelle et de la relation de pouvoir, contenues dans le rapport d’emploi, sans oublier de saisir le salarié en tant que membre de la collectivité du personnel.
39 Chercher à identifier des changements requiert nécessairement une claire perception de la configuration de l’objet de cette transformation. Dès lors, rien de surprenant à ce que la démarche s’appuie sur une analyse descriptive du droit positif, tout en cherchant à dégager et évaluer les différents courants ou évolutions susceptibles de participer au renforcement de la volonté du salarié. Corrélativement, une telle approche permet de mettre en exergue les freins qui subsistent à l’expression de la volonté du salarié. Elle prétend participer également à une meilleure appréhension de cette branche du droit qu’est le droit du travail et contribuer, autant que faire ce peut, à tracer quelques perspectives.
40 Parce que volonté et acte juridique entretiennent, par définition, un lien privilégié, l’étude de la volonté du salarié exige d’être conduite tout d’abord sur le terrain du contrat de travail (Première Partie).
Cette investigation apparaît d’autant plus nécessaire qu’on assiste, depuis quelques années, à ce qui est convenu d’appeler, le « renouveau » du contrat de travail, phénomène allant de pair avec la réactivation jurisprudentielle de la force obligatoire du contrat, sur le fondement de l’article 1134 du code civil. Ces deux orientations complémentaires mais distinctes donnent-elles naissance à de nouveaux et véritables espaces d’exercice de la volonté du salarié cocontractant ? L’affermissement de celle-ci, qui n’est sans doute donc pas dénué d’ambiguïté, ne se heurte-t-il pas à des résistances inattendues ?
41 Ces questions s’imposent d’autant plus que la volonté du salarié ne saurait être uniquement saisie au travers du contrat. Elle exige également d’être confrontée au pouvoir de l’employeur (Seconde Partie).
Sur ce terrain marqué par la soumission de l’assujetti au pouvoir, il importe aussi de rendre compte de certaines évolutions. Les unes touchent directement, ou par ricochet, le pouvoir del’employeur dont on pronostique, sinon l’intensification56, du moins les métamorphoses57. Les autres empruntent des voies et moyens favorisant la progression de l’expression de la volonté du salarié sur le terrain même du pouvoir, ou encore comme membre de la collectivité du personnel.
On l’aura compris, cerner la place et le rôle de la volonté du salarié dans le rapport de travail pourrait s’avérer d’autant plus fécond aujourd’hui que, parmi les transformations qui affectent le droit du travail, la redistribution des rôles respectifs du contrat et du pouvoir tient une place majeure58. Cette redistribution n’est pas dénuée d’incidences sur la manière de saisir la volonté du salarié.
42 Mais d’autres enjeux ne pourront pas manquer de surgir au fil de cette recherche. Car le cheminement conduira inévitablement à s’interroger sur les causes et les finalités d’une mise en avant de la volonté individuelle dans le rapport de travail. Cherche-t-on véritablement à sortir le salarié de son état classique de « tutelle » en lui donnant les moyens d’acquérir une réelle autonomie qui le placerait alors dans une position plus égalitaire face au pouvoir de l’employeur ? S’agit-il d’un mouvement plus large de valorisation de la volonté du salarié, en tant que celui-ci serait le plus apte à connaître et définir ses intérêts et le mieux placé pour les défendre ? L’affermissement de la volonté individuelle du salarié aurait ainsi un impact sur les places respectives de la législation d’ordre public et des normes collectives. On entrevoit que ces interrogations touchent non seulement à la configuration du rapport d’emploi tel qu’envisagé jusqu’à maintenant, mais aux fondements même du droit du travail.
Première Partie : La volonté du salarié dans le contrat de travail
Seconde Partie : La volonté du salarié confrontée au pouvoir de l’employeur
E.Dockès, art. préc.« Le pouvoir dans les rapports de travail», p 620 et suiv.
A. Supiot, « Homo Juridicus- Essai sur la fonction antropologique du droit », Seuil 2005 p 255 et suiv.
V. notamment sur ce point : J-M Béraud, «Les interactions entre le pouvoir unilatéral du chef d’entreprise et le contrat de travail », Dr. Ouv. 1997 p 529 et suiv.