112 Le droit du travail a inventé ses propres techniques juridiques pour faire face aux particularismes des relations qu’il régit. L’inégalité entre le travailleur et l’employeur, marque substantielle de la relation individuelle du travail, constitue sans doute le pivot de la réaction du droit. Il s’agit alors de compenser la dépendance factuelle du salarié qui empêche de voir en lui un contractant à part entière, apte à prendre des engagements, en toute parité avec un cocontractant plus puissant. Qui plus est, le salarié n’est pas un contractant ordinaire, il est aussi débiteur d’obéissance, soumis au pouvoir juridique de l’employeur, durant l’exécution du contrat de travail. Il a donc fallu « équilibrer le pouvoir par le nombre » 248 . Ce « nombre » est devenu le collectif, empruntant plusieurs figures juridiques construites par le législateur : le syndicat, la convention collective, les notions de représentativité et d’intérêt collectif de la profession.
C’est ainsi que, parallèlement à l’essor de l’interventionnisme étatique, l’autonomie collective a absorbé peu à peu l’autonomie individuelle, le groupement syndical se substituant au salarié-individu comme interlocuteur de l’employeur, la négociation collective supplantant le contrat individuel comme source de droits et d’obligations 249. Partant, échappe à la volonté et au contrat de travail individuels un ensemble de règles collectives d’origine professionnelle réglementant les conditions dans lesquelles le contrat de travail peut s’exécuter.
Ces règles sont définies par une convention ou un accord collectif doté par la loi d’un effet impératif et automatique. Elles s’imposent directement et immédiatement aux contrats de travail, sans que le consentement du salarié soit requis(A).
113 Or, les fonctions de la norme collective tendent à se diversifier et s’élargir, de sorte que le relief originel acquisitif de la convention ou l’accord collectif se modifie progressivement. Il faudra donc s’interroger sur la légitimité du retrait de la volonté individuelle face à des aggravations de la situation juridique du salarié générées par la voie du collectif. Cette question constitue aujourd’hui un enjeu essentiel pour l’avenir du dialogue social250 et la démocratie sociale251 mais aussi au regard de la hiérarchie des normes, en particulier concernant la place accordée au contrat individuel de travail.
Pour comprendre ce phénomène lié à l’extension des fonctions de la norme collective (B), on s’attachera à analyser ses effets et ses conséquences sur la volonté du salarié, en prenant appui sur l’aptitude, semble-t-il, de l’accord collectif à créer des obligations directement à la charge du salarié. Une telle faculté n’est-elle pas susceptible de faire apparaître des tensions entre les effets des accords collectifs et la volonté exprimée dans le contrat individuel de travail des salariés ?
S.Yannakourou, « L’Etat, l’autonomie collective et le travailleur », Thèse, LGDJ 1995, p 217.
P. Adam, thèse préc. « L’individualisation du droit du travail » p 318 et suiv.
Pour reprendre l’intitulé de la loi n°2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.
V. Loi n°2008-789 du 20/08/08 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Celle-ci revisite la notion de représentativité syndicale dans l’objectif d’une légitimité sociale accrue des représentants des salariés.