Section 1 : Des conditions de forme spécifiques

222 Les règles qui gouvernent la formation du contrat de travail s’appuient sur celles du droit général des contrats. Pourtant, on dénote quelques inflexions ou particularismes dans leur application en droit du travail, en particulier au regard de la prise en compte de la volonté du salarié. Il importe de caractériser ces nuances et de rechercher leur sens, après avoir rappelé les règles du droit commun des contrats qui demeurent constantes.

Conformément à une première règle, le contrat de travail est formé par l’acceptation ou le consentement, c’est à dire dès lors que l’offre de contrat est acceptée par son destinataire ou, dans l’hypothèse d’une promesse de contracter, s’il y a levée de l’option par le bénéficiaire et ce, sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir une phase de négociations. Le contrat de travail, comme tout contrat, suppose donc la rencontre de volontés concordantes, chaque partie ayant donné son consentement à cet effet. Le droit de travail n’apporte, à cet égard, aucune innovation caractéristique.

223 Que se passe-t-il si le bénéficiaire de l’offre émet une acceptation de principe mais assortie de réserves ou de conditions particulières ? Dans ce cas, il s’agit d’une contre- proposition qui ne forme pas le contrat mais s’analyse comme une offre nouvelle qui donnera lieu ou non à de nouvelles négociations. Si l’offre nouvelle est acceptée par l’auteur de l’offre initiale, l’employeur, la rencontre des deux volontés concordantes donnera alors naissance au contrat de travail. A défaut, le candidat sélectionné et à l’origine de l’offre nouvelle, risque fort, sauf s’il se résigne à accepter les conditions proposées en dernier lieu par l’employeur, d’être écarté au profit d’un autre candidat moins exigeant. Au surplus, face à une promesse de contracter, des contre-propositions éventuelles du bénéficiaire de l’option entraîneront proposition de modification de la promesse. Or, comme toute convention, la promesse ne peut être modifiée que par consentement mutuel des parties. A défaut, il y aurait caducité de la promesse, le promettant n’étant pas obligé par autre chose que ce qu’il a promis.

La formation du contrat de travail n’intervient donc que lorsque l’accord de volontés sur les éléments du contrat aura été constaté, au moment de l’acceptation définitive de l’offre et au lieu où elle a été formulée589, sauf dispositions contraires.

224 La seconde règle constante concerne l’expression même du consentement. Notre droit a pour principe le consensualisme, c’est à dire qu’il n’impose pas de règle particulière pour admettre l’existence des consentements, il suffit d’apporter la preuve de son existence. Le contrat de travail étant un contrat consensuel, il peut être constaté dans les formes qu’il convient aux parties contractantes590 et n’est soumis en principe à aucune forme particulière. Le consentement peut donc s’exprimer par n’importe quel moyen, par écrit bien évidemment mais aussi verbalement. L’acceptation peut être expresse, la manifestation de volonté ne laissant alors aucun doute et ne nécessitant aucun effort d’interprétation. Mais elle peut être aussi implicite ou tacite .L’essentiel est que la volonté exprimée traduise une réelle intentionnalité juridique pour qu’elle puisse produire des effets. Quant au silence, en matière contractuelle, il vaut défaut d’acceptation, refus, contrairement à l’adage « Qui ne dit mot consent ». Des exceptions existent cependant : les dérogations textuelles 591, l’offre en faveur du débiteur592, voire les usages spécifiques593. Mais de manière générale, le silence ne peut extérioriser une quelconque volonté d’acceptation, à la différence de la manifestation expresse de volonté mais aussi tacite 594. Le silence ne consiste pas seulement à ne rien dire, mais aussi à ne rien faire. Le contrat de travail, comme tout contrat, ne trouvera donc pas matière à se former dans le silence d’une des parties.

225 Le principe consensualiste, tel que nous venons rapidement d’en rappeler les grandes lignes, semble de plus en plus fréquemment mis à l’écart dans la relation individuelle du travail, au profit d’un formalisme en pleine expansion. C’est le premier infléchissement notable à un principe jusqu’alors constant du droit commun des contrats. Cette tendance n’est pas propre au droit du travail et se retrouve dans de nombreuses autres disciplines595. Elle reflète des préoccupations diverses : attirer l’attention du contractant sur la portée de son engagement, assurer la sécurité des transactions et des actes, pré-constituer la preuve…

La singularité du régime du consentement en droit du travail naît de l’essor du formalisme et du recours à l’écrit. A travers cette orientation, qui entend protéger le salarié, on observe une équipollence, un lien étroit entre manifestation de volonté et formalisme (§1). En outre, l’exigence de formalités à respecter vise à sécuriser le lien contractuel (§2).

Notes
589.

V. Cass.Soc. 03/03/1965 Bull.civ. V n°184 . Cass.Soc. 21/01/1970 Bull.civ.V n°31.

590.

V.art. L.1121-1 du code du travail. Dès lors qu’il y a échange de volontés , le contrat de travail est formé, peu importe que le travail ait commencé ou non d’être exécuté. Si le salarié renonce à occuper le poste, il peut voir sa responsabilité civile engagée ( Cass soc 29/03/95 Sem. Soc. Lamy 1995 n° 748 p 8 ).

591.

Notamment lorsque la loi présume irréfragablement que le silence gardé vaut acceptation.

592.

Une offre fait par l’employeur proposant à son employé l’intéressement dans les profits de l’entreprise , est acceptée par le silence de ce dernier qui n’avait aucune raison de la refuser (Cass. Soc.15/12/1970,JCP 1971 IV, 24). Toutefois, cette décision déjà ancienne ne devrait plus aujourd’hui, selon nous, trouvée à s’appliquer sans l’accord du salarié, en raison de la jurisprudence sur la modification du contrat de travail (v.infra Partie II, Titre II).

593.

On retiendra aussi la tacite reconduction telle qu’elle peut être fixée par une clause d’un contrat prévoyant que faute par l’une des parties de déclarer expressément qu’elle n’entend pas continuer le contrat après son expiration, celui-ci sera reconduit, c’est à dire prolongé pour une nouvelle période. Le silence crée donc un nouveau contrat. Pour empêcher cette reconduction automatique, des délais de prévenance doivent être mis en place et un devoir de renseignement préalable du créancier envers son débiteur a même été récemment affirmé. On peut citer aussi les relations d’affaires qui permettent de considérer que le silence du client habituel vaut acceptation, dès lors bien évidemment que l’existence d’une série de rapports contractuels de même nature peut être apportée dans le temps. Les prévisions contractuelles peuvent aussi, pour certains contrats, permettre de considérer que le silence gardé pendant le délai prévu par les parties vaut acceptation de l’offre. V. notamment sur ces questions : B. Starck, H.Roland, L.Boyer , traité préc. « Droit civil. Les obligations.2 . Contrat », p 63 et suiv..

594.

Même si, en droit du travail, la notion d’acceptation tacite est une notion restreinte, voire même souvent déniée concernant la manifestation de volonté du salarié.

595.

Notamment en droit de la consommation.