226 Classiquement, manifestation de volonté et formalisme sont deux notions totalement distinctes qui ne recouvrent pas les mêmes finalités. Si le formalisme peut être défini comme « la tendance générale, dans une législation, à multiplier, les formalités dans la formation des actes juridiques ou l’exercice de droits, soit à des fins de preuve, soit à des fins de publicité, soit à peine de nullité » 596, la manifestation de volonté est, quant à elle ,« tout comportement actif ou passif, qui permet de conclure à l’existence d’une certaine volonté», selon la formule de A. Rieg597 .
Or, en droit du travail, on relève l’existence d’une sorte d’équivalence entre formalisme et manifestation de volonté. Le formalisme peut, en effet, se situer sur le terrain de l’expression de la volonté, c’est à dire essentiellement lorsqu’un écrit est la base de la reconnaissance et de l’acte juridique et de la volonté qui l’a créé598. Ce phénomène d’assimilation s’explique de diverses façons.
De manière générale, il apparaît comme la conséquence de l’approche traditionnellement prudente du droit du travail à l’égard de la volonté du salarié, avec la protection normative dont celle-ci fait l’objet. Partant, l’extériorisation de la volonté du salarié, nécessaire pour lui permettre de jouer un rôle sur le plan juridique, doit elle-même être protégée. La garantie la plus sûre que le droit oppose pour protéger cette manifestation de volonté tend alors à se porter sur l’exigence d’un écrit. Dès lors, l’écrit sert à caractériser la double existence du contrat de travail et de la volonté du salarié 599.
227 Au surplus, le législateur impose souvent, outre l’exigence d’un écrit, la précision de certaines mentions dans le contrat de travail. Celles-ci ont pour but d’instruire les contractants sur leurs droits et obligations et de certifier la règle légale applicable dans le cadre de l’engagement souscrit. C’est ainsi que, mis à part l’embauche à durée indéterminée à temps complet et sous certaines réserves600, la loi a imposé la rédaction d’un contrat écrit pour formaliser la rencontre des volontés dans certaines situations contractuelles spécifiques601. Il importe alors que « le salarié soit parfaitement informé de la portée de son engagement » 602 . Ces contrats doivent, par ailleurs, contenir obligatoirement les mentions prévues par le code du travail et être signés par les parties.
Un tel formalisme légal semble d’autant plus justifié que les contrats en cause dérogent au droit commun des contrats à durée indéterminée. Il est indéniable aussi qu’ils renvoient à une relation de travail de type « réglementaire », sur laquelle la volonté du salarié et celle de l’employeur ont en réalité peu de marge de manœuvre. L’exigence d’écrit apparaît alors comme la marque caractéristique du contrat de travail dans son rôle social, c’est à dire lorsqu’il est saisi comme outil juridique au service d’objectifs collectifs définis par les pouvoirs publics ou comme objet de régulation des rapports de travail, dans des situations où justement la volonté individuelle ne s’exerce que dans l’adhésion.
228 Au demeurant, l’écrit sert également un objectif d’ information et de protection du salarié, il permet d’attirer l’attention des parties sur l’importance et la portée de leur engagement, de prendre connaissance des termes et obligations, de mûrir la réflexion et d’arrêter une décision dans les meilleures conditions possibles. « Les exigences légales de forme permettent de marquer nettement le passage du projet à l’acte, de l’intention au consentement » 603 . L’exigence de l’écrit participe donc largement aussi au respect de l’obligation générale d’information entre cocontractants604, obligation d’autant plus nécessaire que les parties en présence sont en position d’inégalité effective.
« Le souci de protection juridique et judiciaire de l’emploi » 605 justifie aussi le retour du formalisme et l’exigence accrue de l’écrit, qu’il s’agisse de constituer la preuve de l’engagement, d’assurer le respect des conditions de validité posées par la loi, de répondre à la pratique quotidienne qui fait que les contractants se satisfont de moins en moins de la parole donnée. Dans cette perspective, le formalisme de l’écrit répond à une nécessité de sécurisation du rapport contractuel. Dès lors, l’affranchissement des formes s’avère difficile, d’autant plus que leur non-respect est généralement sévèrement sanctionné.
229 La sanction est d’ailleurs multiple. L’écrit est-il exigé comme condition de validité, rien ne peut alors remplacer l’absence d’écrit. L’acte est donc en principe nul. Toutefois, le juge et le législateurprivilégient la requalification du contrat particulier en un contrat à durée indéterminée plutôt que de tirer les conséquences d’une nullité absolue de la convention606, laquelle effacerait les effets de l’acte.Lorsque l’écrit est nécessaire essentiellement à titre probatoire, l’absence d’écrit n’empêche pas l’existence de l’acte juridique qui peut être prouvé par tout moyen607.En droit du travail, ceci se traduit par la requalification du contrat en contrat de droit commun à durée indéterminée, sanction généralement prévue par le législateur lui-même et appliqué strictement par les juges 608. Lorsqu’unedisposition légale impose un certain formalisme sans prévoir la sanction de l’inobservation de ces formalités, il revient alors au juge de déterminer celle qu’il estime adéquate. Le plus souvent, il optera pour la requalification du contrat en contrat de travail de droit commun, conformément aux dispositions de l’article 12 du Code de Procédure civile609.Cette requalification semble la sanction la plus satisfaisante, compte-tenu des conséquences rattachées à la nullité 610 et dans un souci de protection au profit du salarié. La requalification apparaît ainsi comme une opération d’appréciation de la nature objective des choses ou des faits et permet de déterminer leur nature juridique exacte.
230 Le formalismea donc plusieurs fonctions et plusieurs figures dont on vient ici de tracer les caractéristiques principales611. Justifié généralement par la nécessité de protéger le salarié en l’informant mieux et plus complètement, il sert aussi à renforcer la sécurité juridique du lien contractuel comme à certifier la règle applicable au salarié. Mais transparaît également dans le regain de formalisme en droit du travail, l’idée d’une équivalence entre la forme et la manifestation de volonté. La forme parvient à un résultat donné, identique, similaire à celui de la volonté. Le consentement ne suffit plus à lui seul à former le contrat et le formalisme devient en quelque sorte le garant de l’expression de la volonté du salarié.
Outre l’exigence d’un écrit, l’impact du formalisme en droit du travail se retrouve dans le recours de plus en plus fréquent à des formalités à caractère administratif soit préalables à la formation du contrat soit postérieures à celle-ci.
G. Cornu, Vocabulaire juridique .
« Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit civil français et allemand », LGDJ 1961. « Rapport sur les modes non formels d’expression de la volonté en droit civil français » , D.1972 p 40, spec n°3 p 43.
N. Damas, « La volonté dans la formation de l’acte juridique en droit du travail ». Thèse 2001.Université de Nancy 2.
Le pouvoir de l’écrit en droit du travail est d’ailleurs tel qu’il tend aussi très fréquemment, comme nous le verrons plus loin ( infra Titre II et Titre III ) à assimiler la manifestation expresse de volonté du salarié à la manifestation écrite.
Si l’embauche à durée indéterminée peut demeurer verbale, certaines conventions collectives rendent obligatoire la rédaction du contrat de travail et la formalisation de l’acceptation des deux parties. De plus, la directive européenne du 14/10/1991 précise les éléments essentiels du contrat qui doivent être donnés au salarié. Ainsi, la loi impose à l’employeur de remettre au salarié un document écrit reprenant les informations contenues dans la déclaration préalable à l’embauche adressée à l’URSSAF compétente (ou à la MSA). Il en est de même en cas de recours au Titre emploi entreprise ou chèque emploi pour les très petites entreprises (TPE), dispositifs unifiés à compter du 15/04/2009, sous le Titre Emploi Service Entreprises (TESE).
Il en est ainsi pour les contrats à durée déterminée, contrats à temps partiel, contrats à durée indéterminée intermittents, contrats de travail temporaire, contrats d’apprentissage, contrats d’insertion en alternance ou de professionnalisation, contrats spécifiques prévus pour les personnes en difficulté, contrats conclus avec des groupements d’employeurs,….
M.Véricel, « Le formalisme dans le contrat de travail », Dr. Soc. 1993 p 818.
F. Terré, Ph Simler, Y. Lequette, traité préc. « Droit Civil – Les obligations »,p 189 et suiv.
Si la validité d’un contrat de travail n’est pas en principe subordonnée à la rédaction d’un écrit, l’employeur est toutefois tenu, selon la directive CEE n° 91-553 du 14/10/91, de porter à la connaissance du salarié les éléments essentiels du contrat de travail deux mois au plus tard après le début du travail. V. B. Lardy-Pelissier, « L’information du salarié » in Etudes offertes à J.Pelissier, Dalloz 2004 p 331 et suiv.
P. Lyon-Caen, avis, Cass.Soc. 30/04/2003, Dr. Soc.2003, p 712.
Concernant le contrat d’apprentissage, il doit être passé par écrit (art. L.6222-4 du code du travail) et faire l’objet d’un enregistrement (art. L.6224-1 du code du travail). La formalité de l’enregistrement est essentielle, elle conditionne l’existence du contrat. Un contrat non enregistré est considéré comme nul. Le jeune peut alors demandé à ce que sa relation de travail soit requalifiée en contrat à durée indéterminée, le Tribunal qui constate que le contrat d’apprentissage n’a pas été enregistré devant conclure obligatoirement à sa nullité en tant que contrat d’apprentissage ( Cass.Soc. 21/03/2000).
Notamment, par le bulletin de paie.
En matière de contrat à durée déterminée (art. L.1245-2 du code du travail, ancien art. L.122-3-13 ), le défaut de respect du formalisme prévu entraîne une présomption irréfragable de contrat à durée indéterminée, n’autorisant pas l’employeur à apporter la preuve contraire. Qui plus est, cette requalification est accompagnée du paiement d’une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire, sans préjudice de l’application éventuelle des dispositions relatives aux régles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée (Cass.Soc. 03/06/09, Liais. Soc. 06/07/09, jp n°142/2009). Cette action en requalification-sanction ne peut être invoquée que par le salarié. Elle ne doit pas être confondue avec la requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée du seul fait de la poursuite de la relation contractuelle après échéance du terme, en application de l’article L.1243-11 du code du travail (dans ce cas, le salarié ne peut prétendre à une indemnité, v. Cass.Soc. 20/09/2006, Dr.Soc. 2006, p 1184,obs. C.Rpy Loustaunau). Concernant le non- respect du formalisme prévu en matière de contrat de travail à temps partiel, l’employeur peut faire la preuve par tout moyen de la durée réelle de travail du salarié, il s’agit alors d’une présomption simple de contrat à durée indéterminée à temps plein. Cependant, les juges se montrent exigeants s’agissant de la preuve contraire. (v. Cass soc 26/03/1997, RJS 5/97, n°627, Cass.Soc. 09/07/2003, RJS 11/ 2003, n° 1175 )
« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée…. »
V.V.M Vericel, art.préc. « Le formalisme dans le contrat de travail », p 818 et suiv.
V. pour une étude approfondie, S.Fernandez, « L’écrit dans le rapport d’emploi », Thèse 2006, Université Lumière Lyon 2 .