§ 1- L’application adaptée et différenciée du régime des vices du consentement

235 La volonté des parties au contrat doit être exempte de vices, c’est à dire d’imperfections pouvant entraîner par leurs conséquences l’annulation du contrat souscrit. Il n’entre pas dans l’objet de cette étude de reprendre l’ensemble du régime des vices du consentement, tel qu’il résulte de l’article 1109 du code civil618, mais de rechercher comment le droit du travail s’en est saisi pour protéger le consentement du salarié dans la formation du contrat et quellestendances peuvent être soulignées.

Au préalable, rappelons que le droit ne se contente pas de n’importe quel consentement, « il exige une volonté éclairée, c’est à dire exempte d’erreur ou de dol, et libre, c’est à dire privée de toute violence » 619. Le régime des vices du consentement est donc une protection a posteriori qui nécessite une action en justice.A cet égard, force est de remarquer que le contrat de travail donne rarement lieu à des recours judiciaires sur le fondement des vices du consentement, en raison de la nature de la relation de travail, mais aussi compte-tenu des conséquences juridiques qui y sont classiquement attachées. En effet, conformément au droit commun, le contrat de travail est nul si le consentement de l’une des parties est vicié. Or, il faut reconnaître d’une part, une réticence certaine des juridictions du travail dans l’application du régime des nullités qui privent le salarié des garanties afférentes à la qualification de licenciement et d’autre part, une autre réticence provenant des salariés eux-mêmes qui sont victimes d’un vice du consentement et demandent rarement l’annulation de l’acte incriminé 620.L’employeur, quant à lui, peut être tenté de recourir à une action en annulation pour vice de consentement, notamment en invoquant l’erreur ou le dol. En effet, une telle action peut parfois éviter ou justifier621 une rupture du contrat de travail à la charge de l’employeur. Mais c’est sans compter sur la réticence des juges à reconnaître l’existence d’un vice du consentement au détriment de l’employeur qui le subit622.

236 Selon la trilogie classique des vices du consentement, la volonté des parties au contrat peut être altérée par l’erreur, le dol ou la violence.L’existence d’un vice du consentement doit s’apprécier en principe au moment de la conclusion du contrat de travail.L’erreur suppose que le contrat ait été conclu sous l’effet d’une opinion contraire à la réalité ; l’un des contractants au moins s’est trompé sur un élément de l’opération623. Conformément à l’article 1110 du code civil, l’erreur n’est cause de nullité du contrat de travail que lorsqu’elle porte sur «  la substance même de la chose qui en est l’objet ». Selon la position de la jurisprudence, fondée sur une conception subjective de la substance, l’erreur portant sur la substance est une erreur de telle nature que sans elle l’une des parties n’aurait pas contracté624. Au demeurant, l’erreur «n’est point une cause de nullité, lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a l’intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention » 625. Ceci suppose donc que le contrat contienne de « l’intuitus personae ». A ce titre, l’erreur sur la personne du salarié lors de la formation du contrat de travail a pu parfois être invoquée par l’employeur.

237 Mais, c’est sans doute le dol qui est le vice du consentement le plus invoqué dans les rapports contractuels de travail. L’article 1116 du code civil définit le dol comme « une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté » . Le dol apparaît donc comme une ruse, une tromperie, une manœuvre employée pour induire une personne en erreur et la déterminer à contracter. Ainsi, celui qui est victime d’un dol ne s’est pas trompé, on l’a trompé. Il y a un rapport entre le dol et l’erreur : le dol n’atteint ses fins qu’en créant une erreur, c’est en ce sens qu’il vicie le consentement. Le dol est donc constitué d’un élément matériel, la manœuvre, le mensonge, voire même la réticence et d’un élément psychologique, c’est à dire l’intention de nuire à l’autre partie. Il est invoqué généralement lors de la formation du contrat mais peut exister lors d’une modification ultérieure de ce dernier.

238 Aux deux précédents vices du consentement s’ajoute la violence, définie aux articles 1111 et suivants du code civil, comme consistant en des comportements qui contraignent une partie à contracter, soit par la violence physique directe, soit au moyen de menaces sur la personne de l’intéressé, contre ses biens ou des tiers. Il faut que la violence soit suffisamment importante pour impressionner une personne « raisonnable ». Elle doit être injuste, illégitime.

L’étude de la jurisprudence sociale626 permet de rendre compte d’une logique originale ou pour le moins spécifique, au regard de l’application du régime des vices du consentement dans le droit général des contrats. Le juge apprécie les vices du consentement en procédant à une analyse « in concreto »  des parties concernées par l’acte, de celui qui s’est trompé (erreur) ou a été trompé (dol) ou encore de celui qui a subi une violence.Le régime des vices du consentement supporte donc, au contact du rapport contractuel de travail, une application adaptée et différenciée selon l’auteur de la volonté et la victime du vice invoqué. Pour rendre compte de ce constat, on prendra appui essentiellement sur le vice du consentement induit par le dol, qui a donné lieu à quelques décisions significatives de la jurisprudence sociale.

Le caractère déterminant du dol supporte d’abord une individualisation selon la partie qui s’en prétend victime (A). Ce premier aspect se double d’une prise en considération plus forte de la réticence dolosive (B). Ces deux approches semblent traduire le souci d’assurer une protection spécifique au profit du salarié, en tant que contractant en situation d’infériorité.

Notes
618.

« Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par le dol » .

619.

B. Starck- H. Roland-L.Boyer, traité préc. " Droit civil - Les obligations - 2. Contrat » ,p 166.

620.

En effet, la sanction des vices du consentement est une nullité relative du contrat à la demande de celui qui invoque le vice. Ainsi, le demandeur peut renoncer à faire tomber le contrat et se contenter de demander des dommages-intérêts .

621.

Cass. Soc 30/03/99, Dict. Perm. Soc. jp sociale 2000.

622.

V. notamment, concernant le dol, Cass.soc.21/09/2005, D. 3006 n°3, note de G.Loiseau.

623.

J. Carbonnier traité préc. « Droit civil, les obligations », p 98 et suiv.

624.

F.Terré ; PH Simler ; Y. Lequette, traité préc. « Droit Civil – Les obligations », p 200.

625.

Art.1110 alinéa 2 du code civil.

626.

A l’instar de celle portant sur le droit de la consommation.