295 Les évolutions législatives successives ont contribué à une diversification des contrats de travail en tant que dispositifs juridiques, en particulier sous forme de contrats dits atypiques, dérogatoires au droit commun incarné par le contrat à durée indéterminée à temps plein. Initiés originairement pour répondre à une demande spécifique du marché, dont il convenait de canaliser les effets, ou à des objectifs sociaux,770ces contrats atypiques conjuguent de strictes conditions de recours et de contenu et des garanties particulières pour les salariés. L’intervention normative du droit étatique en matière de travail à temps partiel apparaît exemplaire d’une telle démarche.
En augmentation constante, ce mode d’organisation du temps de travail, censé distribuer plus équitablement vie professionnelle et vie familiale, affecte majoritairement l’emploi des femmes. On le retrouve aussi très fréquemment dans l’accès à l’insertion dans le travail ou a contrario, dans la cessation progressive d’activité771.
La réglementation du travail à temps partiel s’inscrit dans une construction normative menée aussi bien au plan international 772 que communautaire773.Au demeurant, c’est sur le plan du droit interne que se portera l’analyse, même si, fort logiquement, celui-ci est largement pénétré par ces différentes normes externes.
A cet égard, la loi n° 2000- 37 du 19 janvier 2000 s’est attachée d’une part, à intégrer dans le droit positif la jurisprudence de la Cour de cassation et les dispositions des directives communautaires en la matière, d’autre part à mettre en place un dispositif normatif en vue d’accroître la faculté de choix du salarié face aux modifications proposées par l’employeur.
296 En premier lieu, la loi a construit le socle objectif et impératif du contrat de travail à temps partiel. Et c’est la détermination légale des éléments du contrat à temps partiel qui a contribué à renforcer simultanément la faculté de choix du salarié en situation de modifications du contrat. L’article L. 3123-14 du code du travail énonce, précisément, les mentions obligatoires du contrat de travail à temps partiel: la qualification, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Ainsi, ces éléments sont légalement considérés comme des éléments du contrat de travail à temps partiel. Ils doivent obligatoirement être fixés dans ce contrat 774et ne peuvent être modifiés sans l’accord du salarié.
On retrouve ici la jurisprudence désormais classique de la Cour de Cassation. Certes, compte -tenu de la particularité du temps partiel, temps inférieur à la durée légale ou conventionnelle de travail, c’est en matière de durée du travail que les principes du consensualisme sont éminemment mis en relief. Ainsi, la réduction (ou l’augmentation) du temps de travail hebdomadaire (ou mensuel) d’un salarié à temps partiel constitue nécessairement une modification du contrat de travail que le salarié est en droit de refuser,775 sans que cette manifestation de volonté puisse être considérée comme une faute de sa part.
297 De même, la répartition de la durée du travail constitue un élément du contrat de travail à temps partiel qui ne peut être modifié sans l’accord du salarié. L’article L.3123-14 du code du travail, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Cassation776, rappelle que le contrat de travail doit prévoir, dès l’origine, le principe d’une modification éventuelle de la répartition du travail, ainsi que les cas et la nature de cette dernière, pour pouvoir être envisageable par l’employeur et opposable au salarié. Enfin, toute modification projetée, conformément au contrat, est notifiée au salarié sept jours au moins avant la date à laquelle celle-ci doit intervenir, sauf délai dérogatoire conventionnel777. A défaut de ces précisions contractuelles, aucune modification ne pourra être imposée par l’employeur sans l’accord du salarié, le refus de ce dernier d’accepter le changement ne pouvant pas constituer une faute ou un motif de licenciement.
A l’inverse, le refus du salarié d’accepter la modification de la répartition de son temps de travail, dans les conditions et selon les modalités précisées dans le contrat de travail, devrait être considéré comme fautif. Au regard de la jurisprudence actuelle, il s’agit, en effet, d’un simple changement des conditions de travail initialement prévues. En outre, l’application bilatérale du principe du consensualisme oblige le salarié à temps partiel à ne pas modifier unilatéralement la répartition de son temps de travail, sans l’accord de son employeur778.
L’espace d’exercice de la faculté de choix du salarié à temps partiel en cas de modifications, recouvre donc indubitablement l’ensemble des éléments du contrat de travail à temps partiel, tels que légalement déterminés.
298 En outre, la loi organise un élargissement de la notion même de modification du contrat de travail à temps partiel. Ainsi, contrairement aux heures supplémentaires779 qui peuvent, sous certaines réserves, être imposées aux salariés à temps plein sur demande de l’employeur, le recours aux heures complémentaires pour les salariés à temps partiel, est fortement encadré780 et traduit par principe une modification de la durée contractuelle de travail à temps partiel. Ne pouvant dépasser un certain seuil ni avoir pour effet d’atteindre ou dépasser la durée légale du travail, le salarié à temps partiel a également la capacité de refuser de les effectuer, sans que ce refus constitue une faute ou un motif de licenciement, dès lors que le recours aux heures complémentaires n’est pas prévu dans le contrat de travail ou que les heures complémentaires proposées par l’employeur vont au-delà des limites fixées par le contrat781 ou encore lorsque le salarié est informé moins de trois jours avant la date prévue pour les effectuer. A l’inverse, le refus par le salarié d’effectuer des heures complémentaires fixées dans le contrat, selon les conditions légales et conventionnelles applicables, sera constitutif d’une faute pouvant éventuellement justifier un licenciement, en fonction de la situation de fait.
299 De plus, la loi assure des contreparties aux salariés à temps partiel lorsqu’une convention ou un accord collectif prévoit des dérogations «in pejus»: réduction du délai au cours duquel l’employeur peut annoncer une modification de la répartition de la durée du travail ou augmentation du seuil légal d’heures complémentaires jusqu’au tiers de la durée stipulée au contrat. A l’encadrement conventionnel indispensable à ces mesures s’ajoute donc une exigence légale de contreparties sous forme d’avantages négociés par voie d’accords collectifs.
300 L’action régulatrice du droit étatique s’exerce de telle sorte qu’un équilibre puisse être préservé entre contraintes professionnelles et contraintes personnelles du salarié, car en raison même de la nature du temps partiel, du temps est libéré soit pour la vie privée et familiale soit pour l’exercice d’une autre activité professionnelle complémentaire. Dès lors, pour tenir compte des motifs relevant de la vie personnelle du salarié ou d’engagements contractuels extérieurs, le législateur permet au salarié de refuser une modification de la répartition de son temps de travail, même prévue dans le contrat de travail selon les exigences de la loi. Ainsi, un salarié qui justifie soit d’obligations familiales impérieuses, soit du suivi d’un enseignement scolaire ou supérieur, soit encore d’une période d’activité fixée chez un autre employeur ou une activité professionnelle non salariée, possède un véritable droit au refussans qu’une faute ou un motif de licenciement puisse être invoqué à son encontre. Au demeurant, l’exercice de ce droit n’est pas laissé à l’initiative pleine et entière du salarié, puisqu’il fait l’objet d’un encadrement légal et doit être justifié par des motifs limitativement énoncés.
301 L’intervention du législateur ne se limite pas à renforcer la faculté de décision du salarié à temps partiel, elle crée aussi de véritables prérogatives individuelles à son bénéfice durant l’exécution du travail782. Ces droits nouveaux seront évoqués plus tard sous un autre angle783, celui de l’émancipation progressive de la volonté du salarié face au pouvoir. Au stade de notre étude, il faut surtout retenir que l’ordre juridique intervient de manière impérative, pour imposer une sécurisation juridique conforme à l’intérêt du contractant le plus faible. Mais au-delà, le droit confère à ce dernier des moyens juridiques propres à lui assurer une meilleure expression de sa volonté contractuelle face à des modifications initiées par l’employeur.
De plus en plus fréquemment, le législateur intervient aussi pour favoriser directement le recours à l’accord individuel du salarié dans certaines situations de travail impliquant des modifications contractuelles. Ce recours s’inscrit dans une véritable démarche de procéduralisation légale de la modification envisagée en vue de renforcer la faculté de choix du salarié.
V. supra Titre I,Chapitre 1,Section 2, §1 A.
V. notamment le bilan contrasté du temps partiel analysé par le professeur F. Favennec-Hery, « Le travail à temps partiel », LITEC, Pratique Sociale 1997.
V. convention 175 concernant le temps partiel . Recommandation 182 du 24 juin 1994.
On rappelera ici,notamment, la directive du Conseil de l’Union Européenne 97/81 du 15/12/97.
La loi impose ici un écrit comme fondement de reconnaissance de l’acte juridique et de la volonté qui l’a créé.V.supra Chapitre II, Section 1 §1 .
Rappelons en ce sens la décision de la Cour de cassation du 07/07/98, RJS 10/98 n° 1183.
Pour mémoire, citons les arrêts suivants: Cass. Soc 07/07/98, Bull. civ. V n° 373 ;Cass. Soc . 06/04/99 Liais. Soc. 31/05/99, jp n°633 -
Art. L.3123-21 du code du travail.
Cass. Soc . 07/07/98, RJS 10/98 n° 1183.
V. toutefois nos remarques précédentes (supra Section 1§2 du présent Chapitre) concernant l’incidence de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes.
Art. L.3123-17 et suiv. du code du travail. V. aussi l’application spécifique qui est faite par la loi du 21/08/2007 dite Loi TEPA concernant l’exonération de charges sociales salariales des heures complémentaires des salariés à temps partiel.
S’agissant des heures complémentaires, la loi prévoit un seuil de10 % de la durée contractuelle fixée au contrat, pouvant être porté au tiers de la durée contractuelle par accord collectif de branche étendu.
V.infra Partie II, Titre II, Chapitre I, Section 2, §1.
V.infra Partie II, Titre II, Chapitre I, Section 2, §1.