§2- La procéduralisation en support de la faculté de choix du salarié

302 C’est sans nul doute dans le domaine de la réglementation de la durée du travail, plus particulièrement, des modalités d’aménagement du temps de travail, largement soumises au pouvoir de direction de l’employeur, que le législateur tend à affirmer une certaine faculté de choix et de décision du salarié. Cette orientation se dessine dans le cadre d’une procéduralisation légale de la proposition de modification initiée par l’employeur. Car, force est de reconnaître que l’organisation du cycle de travail et de production est fréquemment propre à générer des contraintes particulières pour le salarié. A telle enseigne que des normes légales ont été nécessaires pour réguler les évolutions possibles du rapport contractuel de travail et garantir une faculté de décision du salarié dans ces contextes particuliers.

Cette procéduralisation784 légale implique de respecter un certain nombre d’actes ou conditions préalables à la modification envisagée par l’employeur, afin de garantir le libre choix des salariés dont l’accord est impératif en vertu de la loi. C’est une façon aussi de contenir l’exercice du pouvoir de l’employeur qui peut se cacher derrière le contrat785.

303 Ainsi, songe-t-on à la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001 qui prévoit un dispositif 786 spécifique applicable au travail de nuit et en particulier un certain nombre de conditions nouvelles et de garanties en faveur du salarié. Outre la définition du travail de nuit et du travailleur de nuit, l’objectif de la loi est aussi d’investir le salarié, en tant que cocontractant, d’une certaine capacité d’action et de choix, voire de refus face à la décision unilatérale de l’employeur. En outre, la mise en place du travail de nuit ou son extension suppose la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord collectif 787.

Il est évident que le travail de nuit est une organisation du travail qui perturbe par sa nature même le mode de vie personnel et familial du salarié en cause. Dans ces conditions, selon la jurisprudence précédemment examinée, le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit, est considéré, compte-tenu des contraintes qu’il entraîne, comme une modification du contrat de travail exigeant l’accord du salarié. La loi institutionnalise donc la faculté pour un salarié de refuser le passage au travail de nuit sans s’exposer à une sanction ou un licenciement, s’il justifie d’obligations familiales impérieuses788, telles que la garde d’un enfant ou le prise en charge d’une personne dépendante, incompatibles avec le travail de nuit789, Prolongeant ces dispositions, il est admis qu’un travailleur de nuit puisse aussi demander son affectation sur un poste de jour s’il justifie des mêmes obligations familiales impérieuses que celles énoncées plus haut790. Il s’agit alors pour le salarié d’un droit auquel s’ajoute791une priorité d’emploi pour occuper ou reprendre un poste de jour ou vice-versa, sur un poste ressortissant de sa catégorie professionnelle ou d’un emploi équivalent792 .

304 D’autres situations relèvent également de la démarche de procéduralisation légale de la modification. Le passage d’un horaire collectif à un horaire à temps partiel peut, à nouveau, servir d’illustration793. La procéduralisation légale implique ici, au préalable, l’existence d’une convention ou d’un accord collectif prévoyant le dispositif du temps partiel ou la consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel ou encore, en l’absence de représentation du personnel, une initiative de l’employeur ou du salarié après information de l’inspection du travail. L’accord individuel et personnel du salarié est ensuite obligatoirement sollicité et doit être formalisé par un écrit comportant des mentions obligatoires794. Nul doute que la démarche de procéduralisation légale de la modification reste empreinte de l’objectif de régulation et de protection en faveur du salarié, précédemment souligné.

La mise en œuvre du forfait annuel en heures ou en jours795 témoigne de cette même orientation. En effet, le législateur impose ici une double contractualisation par le recours à la norme conventionnelle négociée et signée par les syndicats représentatifs et la sollicitation de la volonté individuelle de chaque salarié concerné. Ainsi, les conditions d’application des forfaits annuels en heures ou en jours doivent obligatoirement être déterminées en amont par convention ou accord collectif. A défaut, de tels forfaits ne peuvent être mis en œuvre, même avec l’accord du cadre concerné.

De plus, conformément à la jurisprudence, le salarié qui se voit proposer un forfait annuel en jours ou en heures, doit nécessairement donner son accord personnel et signer à cet effet, une convention individuelle de forfait. Tout salarié concerné bénéficie, dans cette hypothèse, d’une faculté de choix. Il peut accepter ou refuser le forfait annuel, sans que sa décision puisse faire l’objet de sanction ou d’une mesure de licenciement. On peut même estimer que la volonté du salarié est renforcée puisqu’elle est recueillie à un double titre : d’une part, par l’intermédiaire des organisations syndicales représentatives censées défendre l’intérêt collectif et, d’autre part, directement par la manifestation personnelle de son accord. A tout le moins, la procéduralisation légale du passage au forfait annuel prétend-t-elle étendre l’espace d’exercice de la faculté de choix du salarié cadre, en tant que cocontractant796.

305 On retiendra des observations qui précédent que le législateur lui-même libère une faculté de choix au profit du salarié, lorsque celui-ci se trouve confronté à des modifications contractuelles initiées par l’employeur dans le cadre d’un dispositif légal. Ce mouvement tend à confirmer que le salarié est un sujet de droit à part entière qui doit pouvoir décider librement de l’évolution du rapport contractuel et qu’il ne peut être réduit à un « matériel humain » soumis aux seules nécessités, même justifiées, de l’entreprise.

En revanche, le droit prend garde à ce que la situation de modification du contrat de travail ne soit pas l’occasion d’une renonciation individuelle du salarié à ses droits ou, du moins, à ce que la renonciation demeure circonscrite.

Notes
784.

Sur cette notion, v. notamment T.Grumbach, « Procéduralisation et processualisation en droit du travail » in Etudes offertes à J. Pélissier, Dalloz 2004, p 253 et suiv. V. aussi X. Lagarde, « La procéduralisation en droit privé » in Les évolutions du droit (contractualisation et procéduralisation), Université d’été du Barreau de Rouen, publication de l’Université de Rouen, 1er trimestre 2004, p 141 et suiv. .

785.

Infra Partie II, Titre I, Chapitre préliminaire, Section 2, §2.

786.

Par ailleurs, rappelons que la loi du 09/05/01 a levé l’interdiction de travail de nuit des femmes dans l’industrie, qui figurait encore dans notre code du travail en infraction à la législation européenne.

787.

Art. L.3122-23 du code du travail.

788.

Art. L.3122-37 du code du travail .

789.

Même si la loi cible le territoire de la capacité de refus du salarié, on peut toutefois supposer que les précédents jurisprudentiels continuent de s’appliquer Ce qui semble l’orientation prise. V. notamment Cass.Soc. 13/12/2006, arrêt préc.

790.

Art. L. 3122-44 du code du travail.

791.

On retrouve ici une disposition similaire à l’esprit de la priorité d’emploi à temps plein pour les salariés à temps partiel.

792.

Art. L. 3122-43 du code du travail.

793.

Art. L.3123-2 du code du travail.

794.

V. infra section 3 du présent chapitre.

795.

Art. L.3121-40 du code du travail complété et modifié par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.

796.

Nous verrons que la situation est différente lorsque, en application de la loi du 20/08/2008, le salarié volontaire demande à travailler plus, au-delà du forfait annuel jours. Il renonce ainsi à une partie de ses jours de repos (v.infra §3 de la présente section et Partie II, Titre II, Chapitre I, Section 2).