352 Le salarié peut-il invoquer le contrat individuel de travail pour résister aux dispositions moins favorables stipulées par accord collectif? La question se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité que des changements d’importance traversent le droit de la négociation et transfigurent les rapports entre normes collectives et volonté individuelle des salariés.
Nous avons déjà souligné la faculté de la convention collective à être source de sujétions pour les salariés, en l’absence de stipulations contractuelles particulières901. Qui plus est, l’essor de la négociation collective, encouragée par le législateur902, tend à octroyer aux partenaires sociaux une capacité accrue d’intervention et d’innovation903. Depuis 1982, une négociation de nature dérogatoire à la loi a été introduite, à laquelle s’est associée de façon récurrente une négociation de nature « légiférante »qui se traduit par un vaste pouvoir normatif délégué aux partenaires sociaux904, voirepar une participation à la production purement législative905. Une troisième voie empruntée par le législateur consiste à confier aussi aux acteurs de la négociation le soin de préciser les modalités concrètes des normes qu’il édicte, ce qui revient en quelque sorte à leur rétrocéder l’exercice d’une partie du pouvoir réglementaire.
353 En découle, logiquement, un élargissement de l’espace ouvert à la négociation collective, qui s’avère favorable à un accroissement de la production de normes collectives. Celles-ci peuvent alors entrer en concurrence défavorable avec les autres sources juridiques en présence, en particulier le contrat de travail. Un salarié peut-il refuser alors l’application d’une convention ou d’un accord collectif et se soustraire ainsi aux règles du jeu collectivement définies, a fortiori depuis que l’accord doit être majoritaire pour être valide906? Envisagé comme instrument de confrontation avec la convention ou l’accord collectif, le contrat de travail, du moins dans ses clauses les plus favorables, ouvre des perspectives, mises en relief par la jurisprudence récente et de nombreux auteurs907. Il existe donc, potentiellement, un risque d’intensification des conflits entre la convention ou l’accord collectif et le contrat individuel de travail. Ce qui nous amènera à mesurer la capacité réelle de résistance du salarié face à la norme collective (Section 1).
Sans quitter le terrain de la confrontation entre contrat et convention ou accord collectif, il convient également d’appréhender certaines situations spécifiques en cas de dénonciation totale ou partielle de la convention ou de l’accord collectif ou de mise en cause de son application à l’occasion d’un transfert d’entreprise. Ces situations ont un point commun. La convention ou l’accord collectif étant une source autonome de réglementation qui régit le contrat de travail mais ne se confond pas avec lui, lorsque cessent les effets de la convention pour motif de dénonciation ou de mise en cause, ses dispositions sont normalement anéanties, en raison de l’absence d’incorporation des avantages d’origine conventionnelle dans le contrat de travail. Or, la cessation pure et simple de ces avantages engendre indéniablement de la précarité et de l’instabilité sociale à l’égard des bénéficiaires, les salariés.
Face aux dangers d’une réduction ou d’une disparition des avantages conventionnels, la jurisprudence, la loi et les normes collectives ont prévu des mécanismes consistant à autoriser, sous certaines conditions, la «réception» des avantages de source conventionnelle dans les contrats de travail (Section 2).Ces mécanismes garantissent-ils aux salariés la capacité réelle de défendre leurs avantages conventionnels ? Quel rôle peut jouer ici le contrat de travail ?
V. supra Partie 1 Titre 1Chapitre 1 Section 1 § 2 B : L’extension à la création d’obligations directes à la charge du salarié.
V. en ce sens la loi n° 2007-130 de modernisation du dialogue social en date du 31 janvier 2007, introduisant une concertation préalable des partenaires sociaux sur tout projet de réforme envisagé par le gouvernement portant sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle. Voir aussi le Rapport Chertier remis le 21 avril 2006 au Premier Ministre, Liais.Soc. 04/07/2006 n° 38/2006 Pour une analyse du phénomène, A. Supiot, « Un faux dilemme : la loi ou le contrat ? », Dr. Soc. 2003 p 59 et suiv.
La délimitation de l’espace de négociation restant cependant du domaine du législateur en vertu de l’article 34 de la Constitution. V.Décision du Conseil Constitutionnel du 25/07/89, Dr. Soc. 1989 p 701. V. aussi l’analyse de l’orientation générale des rapports loi et convention collective par G. Borenfreund M-A Souriac , « Les rapports de la loi et de la convention collective : une mise en perspective », Dr. Soc. 2003 p 72 et suiv.
A titre d’illustration, la loi du 17/01/2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi ( JO du 18/01/2003 ) confie le soin aux partenaires sociaux de négocier et signer un accord collectif de branche étendu en vue de fixer le taux d’une partie des heures supplémentaires, la loi n’intervenant qu’à titre subsidiaire. Un seuil minimum de 10 % est toutefois imposé. L’évolution est d’importance car le taux des heures supplémentaires a toujours été l’apanage du législateur (v. F. Favennec – Héry, «Mutations dans le droit de la durée du travail », Dr. Soc. 2003 p 35 et suiv.). Cette orientation est allée en s’accentuant puisque la loi du 4 mai 2004 ouvre le champ de négociations aux accords d’entreprise, sur des dispositions légales dont la mise en œuvre dépendait auparavant des seuls accords de branche étendus.La loi du 20 août 2008 confirme ce mouvement de faveur de la négociation collective d’entreprise ou d’établissement, notamment en matière de temps de travail. La négociation collective de branche apparaît alors, de plus en plus, subsidiaire.
Cette orientation devrait même être renforcée suite à la loi du 31/01/2007 sur la modernisation du dialogue social.
V. la Loi du 20 août 2008 sur la rénovation de la Démocratie sociale qui a renforcé le mouvement entrepris par la Loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social . V. supra Titre 1-Chapitre 1 Section 1 &2A) .
Notamment G.Borenfreund, « L’articulation du contrat de travail et des normes collectives », Dr. Ouv. 1997 p 514.