365 Le renforcement de la légitimité de l’accord collectif contribue à consolider la qualité normative de ce dernier et à assurer une assise plus solide à l’effet erga omnes. La «modernisation» du dialogue social, en déployant l’idée majoritaire, puis « la rénovation de la démocratie sociale », en revisitant la notion de représentativité940, ont progressivement revu notre système de relations professionnelles et les conditions de conclusion des accords collectifs.
Au demeurant, l’accord collectif n’a jamais complètement privé d’intérêt ni le contrat individuel de travail, ni la volonté individuelle. Outre l’espace de stipulations laissé à la volonté commune des parties au contrat, le législateur, le juge et souvent les acteurs de la négociation collective eux-mêmes prennent appui sur la volonté individuelle pour permettrel’application de certaines dispositions prévues par accord collectif. Cette pratique contribue à nouer un lien entre des normes de sources différentes, entre des dispositions conventionnelles émanant de la volonté collective et le contrat de travail, support de la volonté individuelle du salarié. Il y a là une évidente intention d’associer les parties au contrat de travail, en particulier les salariés, à la production normative des partenaires sociaux, plus précisément d’impliquer leur volonté individuelle dans l’applicabilité des normes conventionnelles. C’est l’adhésion des salariés aux objectifs poursuivis par l’acte collectif qui est alors visée. Mais sous un autre angle, par la double contractualisation, c’est l’accord individuel du salarié qui est recherché. En effet, certaines sujétions ou obligations ne peuvent en aucun cas résulter uniquement de la convention ou l’accord collectif, sans que le salarié ait pu donner son consentement exprès.
366 On peut trouver plusieurs illustrations de cette orientation. Ainsi, une clause de dédit -formation prévue par une convention ou un accord collectif ne peut être applicable directement au salarié, sans en appeler à son accord individuel. A telle enseigne que la Cour de cassation précise qu’une clause de dédit -formation « doit, pour être valable, faire l’objet d’une convention particulière conclue avant le début de la formation et qui précise la date, la nature, la durée de la formation et son coût réel pour l’employeur ainsi que les modalités de remboursement à la charge du salarié » 941 . C’est donc le juge qui arbitre ici la nécessité d’une double contractualisation. Si la convention ou l’accord collectif peut réglementer ce type de clause en définissant notamment les conditions et les modalités de l’obligation du salarié, il ne peut imposer le respect d’une telle obligation au salarié qui n’y a pas expressément consenti. Une convention particulière doit être signée entre les parties au contrat de travail. Au demeurant, une telle clause de dédit-formation peut être introduite par contrat de travail même en l’absence d’une disposition conventionnelle en prévoyant le principe942. Cette solution prônant la double contractualisation pourrait d’ailleurs être étendue à toutes les obligations conventionnelles dont s’empare la norme collective, dès lors qu’elles font partie du territoire du contrat de travail et de l’espace réservé au consentement du salarié.
367 De la même manière, le législateur prévoit que certaines sujétions ou obligations à la charge du salarié sont mises en œuvre par accord collectif, à la condition d’obtenir l’accord du salarié, formalisé par contrat de travail ou avenant.Tel est le cas, nous l’avons vu, des forfaits annuels en heures ou en jours qui constituent des modalités spécifiques de décompte du temps de travail permettant d’écarter certaines contraintes légales sur la durée du travail, pour les salariés ayant la qualité de cadre ou certains non-cadres943. Ces dispositifs ne peuvent être mis en place que s’ils ont été préalablement prévus par accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou à défaut, par accord collectif de branche et s’ils ont été par ailleurs acceptés par le salarié concerné. Une convention de forfait doit être obligatoirement signée entre les parties au contrat de travail. A défaut de convention ou d’accord collectif, employeur et salarié ne sont pas autorisés à signer une convention de forfait annuel944 . La même logique préside désormais pour la période d’essai945.
Il y a donc là une distribution des rôles entre la négociation collective et le contrat de travail946. Les partenaires sociaux fixent les modalités de mise en œuvre de la sujétion qui doit ensuite être acceptée dans son principe par le salarié.Une double contractualisation est donc exigée: un accord collectif d’une part et un contrat individuel d’autre part.La double contractualisation est ici requise en raison de la contrainte supplémentaire imposée au salarié. A ce titre, il doit donner son assentiment personnel947.
368 Le recours à la volonté individuelle du salarié, en complément d’un accord collectif prévoyant telle ou telle obligation à sa charge, n’est pas propre au législateur. Les partenaires sociaux eux-mêmes peuvent conditionner l’application de telle ou telle dispositionconventionnelle au consentement du salarié, en dehors de toute exigence de caractère légal. Ainsi, certains accords collectifs, dans le cadre de l’application de la loi du 9 mai 2001 sur le travail de nuit948, ont-ils dépassé les effets classiques d’impérativité et d’automaticité des dispositions conventionnelles, pour préférer une approche fondée sur l’adhésion et le consentement du salarié. Tel est le cas d’un accord collectif qui stipule que « l’affectation à un poste de nuit entraînant la qualification de travailleur de nuit d’un salarié occupé sur un poste de jour, est soumise à l’accord exprès du salarié » 949 . Les partenairessociaux vont au-delà du texte de loi, pour associer le salarié, en tant que partie volontaire, à une mise en œuvre personnelle de la norme négociée collectivement. La double contractualisation s’impose ici pour rééquilibrer les effets contraignants de la loi et de la norme collective à l’égard du salarié.
369 On peut aller plus loin et faire référence à l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail950. Celui-ci ayant un caractère normatif, a vocation à s’appliquer directement dans toutes les entreprises. Pourtant, il n’en a pas moins privilégié le caractère essentiellement volontaire du télétravail pour le salarié, comme pour l’employeur, formalisé par le contrat de travail ou un avenant à celui-ci. Le recours à la volonté individuelle et au contrat de travail, prévu par l’accord collectif, apparaît d’autant plus nécessaire que le travail est exporté de l’entreprise vers le domicile privé du salarié, avec les risques qui peuvent en découler et que le juge s’est déjà efforcé de circonscrire951. Toute personne ayant droit au respect de sa vie privée et familiale, le domicile étant au surplus « le lieu de l’intimité de la vie privée et familiale », l’accord individuel et personnel du salarié s’avère alors impératif, nonobstant les normes collectives existantes.
370 S’il apparaît que la volonté du salarié peut, par le relais du contrat de travail, résister à certaines normes collectives, il n’en demeure pas moins vrai que cette capacité est encore toute relative. Elle pourrait en particulier être renforcée si l’analyse se plaçait directement sur le terrain de la modification du contrat de travail et du principe de la force obligatoire du contrat. D’ores et déjà, la recherche de l’accord individuel du salarié et le recours au contrat de travail, dans le cadre de la mise en œuvre d’un accord collectif, s’affirment en droit positif. Il serait malaisé d’accorder à cette appréciation une « valeur exclusivement positive ou négative du point de vue des intérêts des travailleurs» 952 . On a pu percevoir, au travers de l’analyse, que si la volonté individuelle du salarié est sollicitée, ce qui constitue une évolution positive, c’est essentiellement lors de la mise en œuvre d’une contrainte ou d’une sujétion décidée par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, sur le fondement d’une norme collective négociée qui en prévoit le principe et en fixe les modalités. Un tel contexte peut constituer alors plus un recul qu’une amélioration pour le salarié. N’est-on pas face à une « mystification » de la volonté individuelle du salarié dans le champ de l’accord collectif ? Assurément, la place effective de cette volonté n’est pas aisée à trouver entre la normativité de l’acte collectif et l’unilatéralisme du pouvoir.
Dans le prolongement des développements qui précèdent, une autre interrogation se profile. Le salarié peut-il résister à la dénonciation ou l’arrivée du terme953 d’un accord collectif, comme à la mise en cause de son application consécutivement à untransfert, une fusion, une cession d’entreprise, voire un changement d’activité ?
V. supra Titre I, Chapitre I, Section 1 §2 .
Cass.Soc.04/02/2004 , arrêt préc.
V. supra Titre 1 Chapitre 1 Section 2, §1 B.
V. art.L.3121-40 du code du travail modifié par la loi du 20 août 2008.
Seule une convention de forfait hebdomadaire ou mensuel peut être signée par les parties au contrat de travail, à défaut de convention ou d’accord collectif portant sur le forfait annuel.
V. supra Titre I,Chapitre I, Section 2, §1 B.
X.Carsin, « La convention collective, source de sujétions pour le salarié »- JCP 16/01/2007 p 9 et suiv.
La même finalité et la même articulation se retrouvent dans le dispositif dit des « heures choisies » prévu par la loi du 31 mars 2005 (JO du 01/04/2005) qui a été supprimé par la loi du 20/08/2009. Un accord collectif devait prévoir le principe et les modalités de recours à ces heures choisies, c’est à dire à des heures supplémentaires partiellement soustraites au régime légal. Mais le salarié devait consentir individuellement et par écrit à ce dispositif. Sa suppression ne valant que pour l’avenir, les accords collectifs conclus dans le cadre de la loi antérieure à celle de 2008 continuent de s’appliquer sans limite de durée.
V. supra Titre II, Chapitre I, Section 2.
Article 6-1 alinéa 2 de l’Accord d’entreprise sur le travail de nuit du 02/07/2002 COFIROUTE ( Liais. Soc. 06/09/2002, Conventions collectives et accords n° 223).
ANI transposant l’accord-cadre européen du 16/07/2002. V. Liais. Soc. n°350 du 15/11/2005.
V. notamment Cass.Soc. 02/10/2001, arrêt préc.
A.Jeammaud , art. préc. « La place du salarié individu dans le droit français du travail », p 347 et suiv.
On parlera de dénonciation s’il s’agit d’une convention collective à durée indéterminée ou d’arrivée du terme s’il s ‘agit d’une convention collective à durée déterminée.