§2-La capacité de résistance eu égard à l’intégration contractuelle des avantages conventionnels

380 La question qui se pose sur le terrain juridique est de savoir s’il résulte une « cristallisation » irréversible de ces avantages individuels acquis au profit des salariés.

En remarque préliminaire, soulignons que la conservation de l’avantage n’est pas garantie aux salariés, comme elle aurait pu l’être avec la thèse de la conservation légale. Au moment où le support collectif disparaît, l’avantage est recueilli par le contrat individuel de travail : il « s’incorpore au contrat ». Changeant de support juridique, les avantages ainsi conservés n’ont plus de lien avec l’acte collectif dont ils sont initialement issus, mais désormais avec le contrat de travail. Pour autant, cette mutation n’a pas pour finalité « d’anéantir la possibilité des partenaires sociaux de renégocier des avantages maintenus après le délai d’un an » 985 . Cette faculté leur est toujours ouverte.

381 En réalité, la conversation des avantages individuels acquis apparaît comme une technique juridique de protection en faveur des salariés quand la convention ou l’accord collectif ne peut plus être appliqué dans son intégralité. En ce sens, l’article L.2261-13 du code du travail est un « fossile » de la conception purement acquisitive de la convention collective. Investie d’un objectif de rééquilibrage du rapport contractuel au profit de la partie la plus démunie, la norme collective s’entendait, selon cette conception, comme créatrice d’avantages pour le salarié. Dès lors que celle-ci est dénoncée et non remplacée dans les délais impartis, les avantages individuels acquis par le salarié sont maintenus, par intervention de la loi. Ces avantages perdurent également lorsque l’accord conclu en vue de remplacer un accord dénoncé a été annulé et non remplacé, l’annulation dudit accord équivaut alors à une absence d’accord de substitution986.

382 Evidemment, changeant de support juridique, les avantages en cause changent de nature. Ils deviennent des éléments du contrat de travail. Les salariés continueront donc d’en bénéficier tant que leurs contrats seront eux-mêmes en cours ou ne feront pas l’objet d’une modification. Dans cette dernière éventualité, on sait que le salarié bénéficie d’une capacité de résistance et de défense renforcée. Si l’employeur envisage ultérieurement de modifier ou supprimer un avantage individuel acquis de source conventionnelle qui est incorporé au contrat de travail, il devra proposer aux salariés concernés unemodification de leur contrat de travail. L’accord du salarié sera alors requis, dans le cadre du régime juridique de la modification du contrat de travail987. Il convient de rappeler toutefois que cette capacité de refus ne pourra pas être exercée par le salarié pendant la période de maintien transitoire d’applicationde la convention collective 988 .

Mais quel serait le sort des avantages acquis incorporés au contrat de travail si une convention collective était conclue après la mise en œuvre de l’article L.2261-13 du code du travail ?On peut estimer qu’une fois les avantages incorporés dans le contrat de travail, ils ne pourront plus être modifiés par un accord collectif, grâce au double mécanisme de l’article L.2254-1 du code du travail et de l’article 1134 du code civil989.

383 Ainsi, peut-on estimer que l’article L.2261-13 du code du travail met en place un pur procédé de technique juridique, essentiellement destiné à corriger la déstabilisation du rapport de travail, qui peut résulter de la mise en cause ou de la dénonciation d’une conventioncollective non remplacée. Il est fait appel alors au contrat de travail, qui devient le nouveau support des avantages individuels acquis à titre personnel par le salarié, en dépit de leur acte initial de naissance. Incorporés à ce dernier, ces avantages entrent dans le giron de la volonté du salarié, en tant que cocontractant. Celui-ci bénéficie alors d’une capacité de résistance face à toute suppression ou modification, qui pourrait survenir par décision unilatérale de l’employeur ou par la signature d’un nouvel accord.

Toutefois, il ne faudrait pas se méprendre sur l’étendue de cette incursion du contrat de travail et de la volonté individuelle du salarié dans le domaine de la norme collective : elle  demeure encore parfaitement circonscrite par la primauté de cette dernière.

Notes
985.

S.Yannakourou, thèse préc. « L’Etat, l’autonomie collective et les travailleurs », p 285 à 295.

986.

Cass.Soc. 9/11/2005,Liai. Soc. 21/11/2005, jp n° 931.

987.

V. supra Titre II, Chapitre I.

988.

Puisque pendant cette période de un an , les salariés ne conservent pas les avantages individuels acquis.

989.

V. supra Section 1. En ce sens, G.Borenfreund, « L’articulation du contrat de travail et des normes collectives », Dr.ouv. 1997, p 514 et suiv. E.Dockès, art.préc.« La réciprocité des dispositions dans la convention collective », p 503 et suiv.