390 Les contrats à durée indéterminée peuvent faire l’objet, à tout moment, d’une résiliation unilatérale. L’article L.1231-1 du code du travail le rappelle expressément s’agissant du contrat de travail conclu sans détermination de durée, c’est à dire d’un contrat à exécution successive pour lequel aucun terme n’a été stipulé992. Cette règle consacrée par la jurisprudence est présentée comme un corollaire de la prohibition des engagements perpétuels qui vise à sauvegarder les libertés individuelles993. Elle est d’ordre public, toute clause contraire étant nulle.
Dès lors, le droit de la résiliation unilatérale du salarié ne peut être restreint par des clauses contractuelles prévues par les parties, si ce n’est dans les limites fixées par l’article L.1121-1 du code du travail et sans pouvoir parvenir à priver totalement le salarié de la possibilité de rompre le contrat de travail994.
C’est la préservation de la liberté du travail qui fonde, plus spécifiquement, le droit de résiliation unilatérale des contrats de travail à durée indéterminée. Ainsi, aucun salarié ne peut être indéfiniment lié par un contrat et astreint contre sa volonté à un travail sous l’autorité d’autrui. Cette liberté postule bien évidemment l’interdiction du travail forcé et justifie aussi que le salarié puisse rompre le lien contractuel de travail qui le lie à son employeur. Le droit de démission accordé à tout salarié engagé à durée indéterminée lui offre la faculté, malgré l’engagement contracté, de reprendre sa liberté pour l’avenir et ainsi de ne pas travailler ou de travailler pour une autre personne ou encore pour son propre compte.
La démission est donc un acte juridique de rupture résultant d’une manifestation unilatérale de volonté d’une personne, le salarié, investie par la loi du droit de rompre le lien contractuel qui l’unit à son cocontractant, l’employeur. Ainsi, la volonté de rupture unilatérale n’est pas souveraine mais conditionnée par la loi qui en détermine les conditions. Toutefois, contrairement à la rupture unilatérale du contrat de travail à l’initiative de l’employeur 995, ces conditions apparaissent peu contraignantes. La démission du salarié est seulement subordonnée à l’obligation de respecter un préavis résultant de la convention collective applicable ou des usages de la profession 996 . Elle n’est limitée que par la notion d’abus du droit, le code du travail visant même la sanction de la démission abusive997. En outre, la démission, contrairement au licenciement, n’a pas à être « causée », justifiée998. Il suffit que le salarié exprime une volonté non équivoque de sortir du lien contractuel qui l’unit à l’employeur. Dès lors, la volonté de l’auteur de la démission est suffisante pour produire l’effet juridique attendu.
Ainsi, s’agissant du contrat de travail, le caractère réciproque du droit de rupture unilatérale apparaît-il fortement tempéré.
391 Pour autant, on observe une vraie suspicion du droit positif à l’encontre de la volonté du salarié de démissionner, suspicion justifiée par la prise en compte de la situation spécifique du salarié doublement engagé dans le lien contractuel, en tant que débiteur et en tant que subordonné (Section1).A telle enseigne que la jurisprudence se montre singulièrement vigilante, imposant des exigences particulières à la manifestation de volonté du salarié de démissionner et une conception très restrictive de la démission.
Dans le même temps, en raison de l’inégalité des parties ou de la place modeste de la démission, le salarié dispose aujourd’hui d’un éventail plus large de possibilités de ruptures que l’employeur999. Ainsi, le salarié peut-il invoquer le fait que l’employeur n’exécute pas ses obligations pour se libérer des siennes en décidant unilatéralement de prendre acte d’une rupture qu’il impute à l’employeur. La rupture emportera alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’une démission selon que les faits invoqués par le salarié justifiaient ou non la rupture. Le salarié peut aussi saisir le juge prud’homal pour lui demander de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur. Ces modes de rupture à l’initiative du salarié tendent indéniablement à reconnaître un certain pouvoir à la volonté du salarié, sans exclure une prise de risques évidente mais au demeurant maîtrisée par le juge (Section 2).
Concernant les contrats à durée déterminée, c’est à dire les contrats à exécution successive assortis d’un terme, ceux-ci ne peuvent, en principe, être l’objet d’une cessation anticipée résultant d’une manifestation unilatérale de volonté, sauf cas prévus par le législateur. Ainsi, les contrats de travail à durée déterminée ne peuvent être résiliés avant leur terme que pour des cas précisément définis par le législateur : force majeure, faute grave ou accord des parties (art. L.1243-1 du code du travail). Le salarié sous contrat à durée déterminée (comme l’employeur ) ne peut donc pas rompre le contrat de sa seule volonté, à défaut de quoi il sera redevable envers son cocontractant du paiement de dommages intérêts. La démission n’est pas un mode de rupture du contrat de travail à durée déterminée (Cass.Soc. 28/03/2001 n°99-41.900).En conséquence, la clause de résiliation unilatérale avant l’échéance du terme par l’une ou l’autre partie doit être considérée comme nulle, sans pour autant entraîner la requalification du contrat en CDI, la Cour de cassation rejetant toute recherche de l’intention des parties ( Cass. Soc 17/10/2000 n°98-41.815 inédit ). On notera toutefois que la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 dite loi de modernisation sociale, a introduit un assouplissement à ces principes et permet au salarié de rompre son contrat à durée déterminée sous réserve de justifier d’une embauche sous contrat à durée indéterminée. Sauf accord des parties, le salarié est tenu de respecter une période de préavis, permettant à son cocontractant de faire face à la situation. Ainsi, le salarié sous contrat à durée déterminée recouvre partiellement sa liberté de démissionner avant l’arrivée du terme, lorsqu’il peut invoquer la liberté de travailler pour le compte d’un autre employeur lui proposant un contrat de travail à durée indéterminée, donc un engagement plus favorable. Toutefois, cette nouvelle possibilité de rupture anticipée à l’initiative du salarié ne peut juridiquement être qualifiée de démission.
Le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle à cette règle. Cons.Const.09/11/1999, n°99-419 DC, D.2000, somm.p424, obs.Garneri.
V. notamment les incidences des clauses de non concurrence, de dédit –formation,… Supra Partie I, chapitre I, Section 2 .
On sait, en effet, que la loi, dans le souci de protéger le contractant le plus vulnérable, a encadré fortement la rupture unilatérale du contrat à l’initiative de l’employeur, qui a été progressivement soumise à des limitations et des contraintes, notamment procédurales. S’agissant même des salariés protégés, la loi a purement et simplement supprimé le droit de l’employeur de mettre fin unilatéralement au contrat de travail , puisqu’il doit au préalable se soumettre à une procédure consultative et administrative spéciale ( art. L. 2411-5 du code du travail ).
V. art. L.1237-1 du code du travail.A cet égard, il faut souligner la position de la Cour de cassation précisant qu’en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles, la durée du préavis de démission ne peut résulter que des usages pratiqués dans la localité ou la profession et non du seul contrat de travail ( Cass. Soc 03/02/98, RJS 3/98 n° 309 ).
V. art.L.1237-2 du code du travail. En effet, le droit de démissionner- comme les autres droits- est susceptible d’abus pouvant engager la responsabilité civile de son auteur, en l’occurrence le versement à l’employeur de dommages-intérêts. La conception retenue par le juge est toutefois restrictive et trouve à s’appliquer en particulier lorsque le comportement du salarié révèle une intention de nuire envers l’employeur.
Cass. Soc 22/06/94, RJS 8-9/94 n° 968.
En effet, pour l’employeur, la rupture prend essentiellement la forme du licenciement, mais on en connaît le poids et les effets juridiques.