§1- Une volonté claire, sérieuse et non équivoque

393 La première exigence jurisprudentielle consiste à caractériser les traits d’une manifestation effective de volonté du salarié de démissionner : la clarté, le sérieux et l’absence d’équivoque1003. Car, selon la formule désormais classique, la démission « ne se présume pas ».Il appartient à celui qui s’en prévaut d’apporter la preuve de la manifestation de volonté qui la sous-tend. Les juges de fond sont donc amenés à apprécier, au vu des éléments de fait et des circonstances, la réalité de la volonté de l’auteur de la rupture unilatérale. Rappelons que, contrairement au licenciement, son « faux symétrique », 1004 la démission ne donne lieu, sauf dispositions conventionnelles spécifiques, ni à un formalisme particulier ni à une procédure légale obligatoire1005 ni même à un délai de réflexion qui pourrait cependant être fort utile. Toutefois, la jurisprudence privilégie notoirement une manifestation expresse de la volonté du salarié de mettre fin à son contrat de travail, c’est à dire une démission formulée par écrit mais aussi susceptible d’être donnée verbalement. 

L’écrit est nettement privilégié pour des raisons probatoires ou parce qu’il est imposé par la convention collective applicable. Dès lors, le contenu de la lettre de démission doit être dénué d'ambiguïté et les circonstances de sa rédaction doivent laisser penser avec certitude que la volonté qu’il exprime est bien claire, sérieuse et non équivoque. Ainsi, dans la situation d’un salarié ne sachant ni lire ni écrire le français, même s’il est supposé avoir signé la lettre de démission, la Cour de cassation a considéré qu’il n’était pas certain que le salarié ait pu en saisir le sens et la portée, de sorte que sa volonté de démissionner était équivoque1006. Le doute entre la volonté déclarée et la volonté réelle du salarié de donner sa démission exclut la reconnaissance juridique de cette dernière. Il appartient alors au juge de restituer à la rupture unilatérale sa qualification juridique exacte.

Pourtant, à défaut d’exigence d’un écrit prévue par la convention collective, la démission peut être aussi donnée verbalement par le salarié1007. Dans cette hypothèse, les juges sont amenés alors à apprécier le comportement corrélatif du salarié, lequel doit démontrer une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail1008, et à vérifier les circonstances entourant la déclaration de démission.

394 Mais la volonté de démissionner peut-elle s’exprimer exclusivement par un comportement ou une attitude du salarié ? Autrement dit, une démission tacite du salarié est-elle juridiquement valable ?

A cette question, la Cour de Cassation répond en substance, par la négative. Dans la mesure où la volonté du salarié de démissionner ne se présume pas, l’employeur ne peut donc pas la déduire du seul comportement fautif de ce dernier, tel que l’ abandon de son poste 1009.  Par exception à ce principe, la jurisprudence avait précédemment admis que la démission tacite d’un salarié absent, pouvait être prouvée par des indices graves, précis et concordants, traduisant la volonté non équivoque de démissionner. Toutefois, la charge et surtout le risque de la preuve pesaient alors sur l’employeur qui devait démontrer que la démission dont il se prévalait correspondait bien à une volonté claire et non équivoque du salarié et qu’elle n’avait pas été présumée à tort. Ainsi, les juges avaient-ils considéré qu’un salarié avait manifesté une volonté réelle et non équivoque de démissionner dans un contexte où, après avoir cessé de se présenter sur son lieu de travail, il avait réclamé à son employeur un formulaire de démission qu’il avait rempli et remis pour transmission au service du personnel, en précisant qu’il démissionnait car il travaillait pour une autre société 1010. Le comportement du salarié avait été considéré comme le révélateur fidèle de la volonté réelle du salarié de rompre le contrat de travail. Or, cette marge d’appréciation du juge était particulièrement délicate, bornée par le respect du principe selon lequel une démission ne peut se présumer. Elle est devenue désormais inopérante suite à la jurisprudence relative à la prise d’acte de la rupture1011 .

395 La Cour de Cassation condamne, en effet, toute possibilité pour l’employeur de prendre acte de la démission tacite du salarié, quel que soit le comportement de ce dernier. A défaut, la prise d’acte de la rupture par l’employeur s’analysera comme un licenciement qui, prononcé sans énonciation de motifs, se trouvera ipso facto dépourvu de cause réelle et sérieuse1012, sans que le juge ait d’ailleurs à rechercher si les faits reprochés au salarié étaient ou non fondés1013. Ainsi, l’abandon de poste du salarié n’emportera-t-il pas en lui-même rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié, qu’il s’agisse d’une absence prolongée ou d’un refus de reprendre son poste suite à une demande de l’employeur. Une démission ne peut être présumée ni actée à partir d’un comportement qui ne caractérise pas en soi une volonté claire, sérieuse et non équivoque en ce sens, hormis, semble-t-il, quelques rares exceptions démontrant une démarche volontaire indiscutable du salarié dans le processus de résiliation du contrat de travail1014. Dès lors, l’absence d’un salarié à l’issue d’une période de congés1015 ou l’absence de reprise du travail ou le silence du salarié à la fin d’une période de suspension du contrat de travail telle qu’un congé parental1016ou un congé de maternité1017, ne caractérisent pas en soi une volonté claire et non équivoque de démissionner.

Ces évolutions jurisprudentielles ferment purement et simplement à l’employeur la voie de la prise d’acte de la rupture, en procédant à un recentrage du droit de la rupture sur le licenciement. Il en découle que l’employeur ne peut prendre acte de la rupture du salarié, pour quelle que cause que ce soit : il doit mettre en œuvre la procédure de licenciement. Il est vrai que le comportement du salarié dans ces situations d’abandon de poste ou d’absences injustifiées est de nature à caractériser un manquement à la discipline, un comportement fautif, éventuellement grave, ou un motif réel et sérieux de licenciement. Il revient alors au juge d’apprécier la réalité et la gravité de la faute reprochée au salarié 1018.

396 Reste une dernière interrogation. Une volonté claire et non équivoque de démissionner du salarié peut-elle être caractérisée lorsque la lettre de rupture émanant du salarié invoque l’inexécution par l’employeur de ses obligations ?

Présenter une démission en invoquant des fautes de l’employeur entraîne les mêmes conséquences que prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de celui-ci,1019 c’est à dire que la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient. S’agira-t-il également d’une prise d’acte si un salarié impute la rupture à l’employeur, alors que sa lettre de démission ne contient pas de reproches à l’adresse de ce dernier ?

Consciente des difficultés de qualification qui peuvent naître, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a procédé, dans des arrêts en date du 9 mai 20071020, à une double analyse à la fois pédagogique et éclairante sur cette épineuse question de qualification. Au préalable, elle s’est attachée à recadrer la démission dans une situation juridique précise : « La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ».

Une fois rappelé le principe, somme toute classique, la Haute Juridiction met en avant un premier cas de mise en cause de la démission par le salarié, lorsque celui-ci invoque un « vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission ». Le salarié peut en effet toujours faire valoir a posteriori devant le juge un vice du consentement ayant altéré la qualité de la manifestation de sa volonté et demander ainsi l’annulation de l’acte.

397 Poursuivant son raisonnement, la Cour introduit alors un second cas de mise en cause a posteriori de la démission par le salarié « en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur ». Dans cette situation qui nous intéresse plus spécifiquement, la Chambre sociale invite les juges du fond à procéder à une analyse en deux temps.

En premier lieu, ceux-ci devront caractériser l’acte de rupture unilatérale : une démission, définie selon les termes rappelés par la Cour, ou une « prise d’acte ». Pour ce faire, les juges devront procéder à l’analyse des « circonstances antérieures ou contemporaines de la démission ». S’il résulte, au vu de cet examen, « qu’à la date à laquelle la démission a été donnée, celle-ci était équivoque », alors l’acte unilatéral du salarié n’est pas une démission mais « doit être analysé en une prise d’acte » que les juges devront ensuite examiner sur la base des faits et griefs reprochés à l’employeur pour définir le régime juridique applicable à la rupture1021 .

En revanche, les juges du fond conserveront à l’acte unilatéral de rupture du salarié la qualification juridique de démission, en particulier lorsqu’il apparaît « que la lettre de démission ne comportait aucune réserve, que le salarié, qui ne justifiait d’aucun litige antérieur ou contemporain de celle-ci avec son employeur, n’avait contesté les conditions de rupture du contrat de travail que plusieurs mois plus tard, ce dont il résultait que rien ne permettait de remettre en cause la manifestation claire et non équivoque de démissionner » 1022 .

398 Ce nouveau tournant de la jurisprudence traduit-il la volonté judiciaire de redonner à la démission une dimension perdue, un champ d’exercice plus effectif ? On peut le soutenir, les juges reprenant la main sur la qualification de la démission par rapport à la prise d’acte. Cette jurisprudence rétablit « la démission dans sa singularité et sa spécificité comme mode autonome et distinct de la prise d’acte » 1023 .

Mais il faut bien encore admettre à ce jour que seuls des indices sûrs et probants autorisent les juges à retenir une manifestation claire et non équivoque de la volonté du salarié de démissionner. La règle selon laquelle « la démission ne se présume pas » n’est pas simplement une règle probatoire, mais une règle d’interprétation de la volonté exigeant des juges qu’ils caractérisent l’intention certaine du salarié de quitter l’entreprise1024.

De même, convient-il de souligner que le juge est particulièrement attentif à vérifier l’intégrité de la volonté exprimée par le salarié.

Notes
1003.

Ces exigences ont d’ailleurs servi de base à d’autres manifestations de volonté du salarié, notamment comme nous l’avons vu au regard de la modification du contrat de travail ( v. supra Titre 2 Section 3 )

1004.

Selon l’expression du Professeur J-E Ray, « Démissions réelles ou virtuelles », Liais. Soc. magazine, sept. 2002 p 64-65.

1005.

Excepté le respect d’un délai de préavis considéré, comme le souligne la jurisprudence, à la fois comme une obligation pour le salarié démissionnaire et comme un droit pour l’employeur (Cass. Soc. 16/07/1987 Bull.civ. V n° 493). Le salarié qui, sans justification, décide de se libérer immédiatement et de ne pas exécuter son préavis est redevable envers l’employeur d’une indemnité compensatrice, quelle que soit l’importance du préjudice subi par l’employeur. Mais la brusque rupture par le salarié ne confère pas nécessairement à la démission un caractère abusif pour lequel la Cour de cassation opère un contrôle étroit de la notion (v. notamment S.Moracchini-Zeindenberg ,« L’abus du salarié » ,JCP S mai 2006 n° 1376 ).

1006.

Cass. Soc 19/12/2000, Liais. Soc., jp n° 698 du 03/01/01

1007.

La preuve de la démission étant donnée par tous moyens, notamment par d’éventuels témoignages. Toutefois, une confirmation écrite est toujours fortement préférable.

1008.

Une démarche volontariste du salarié doit apparaître, soit en demandant à l’employeur un reçu pour solde de tout compte ou en formalisant librement sa décision de démissionner. Dans une décision du 13 juin 2001 (Cass.Soc. 13/06/2001 juris-data n° 2001- 010283), la Chambre sociale avait même admis la démission d’un salarié dans une contexte qui pourtant laisse dubitatif. En effet, le salarié avait manifesté à plusieurs reprises son souhait d’être licencié et, devant le refus de l’employeur, il avait adopté une attitude agressive et violente et n’avait pas obéi à une mise en demeure de reprendre le travail.

1009.

Cass.Soc. 10/07/1996, Juris-data 1996-003361. Cass.Soc 10/08/1998, Juris-data 1998-002832.

1010.

Cass. Soc 27/02/2001, Liais. Soc. jp n° 709 du 12/03/01,Bull.civ. V n° 63.

1011.

V. infra Section 2 §1.

1012.

Cass.Soc. 11/02/2004, Juris-data n°2004 -022288. Cass.Soc. 13/01/2004 , Juris-data n° 2004-021802.

1013.

Cass.Soc. 20/04/2005, RJS 7/2005 n° 717.

1014.

Par exemple, lorsque le salarié s’est engagé chez un autre employeur alors que le précédent n’avait manqué à aucune de ses obligations ( Cass.Soc. 02/12/2003 RJS 2/2004 n° 178).

1015.

Cass. Soc 20/10/98, juris -data n° 1998-004105 (dans le même sens, v. Cass. Soc 30/05/2000) .

1016.

Cass. Soc 30/04/2002 Juris-data n° 2002- 014247.

1017.

Cass. Soc 12/03/2002, Liais. Soc. 25/03/02 jp n°761.

1018.

Cass.Soc. 10/07/2002, RJS 11/2002 n° 1210. De la même manière, rappelons que l’employeur ne peut considérer comme démissionnaire un salarié qui refuse une modification de son contrat de travail, voire un changement des conditions de travail. Au surplus, suite à une modification dans la situation juridique de l’employeur au sens de l’article L.1224-1 du code du travail, le salarié qui refuse de poursuivre la relation de travail avec le nouvel employeur, en l’absence de toute modification de son contrat, ne pourra être présumé démissionnaire, en l’absence de volonté claire et non équivoque en ce sens mais il pourra faire l’objet d’un licenciement pour faute grave (v. supra Titre II, Chapitre I, Section 2, §3 c.

1019.

D’ailleurs, le salarié peut aussi, dans ces hypothèses, prendre acte de la rupture du contrat de travail en l’imputant à l’employeur ( sur la prise d’acte, v. infra Section 2, §1, notamment Cass.Soc. 15/03/2006. Cass.Soc. 13/12/2006).

1020.

Cass. Soc. 09/05/2007 n° 05-40.315, 05-42.301, 05-40.518 et 05-41. 324 et 325, RJS 7/07 n° 823 (5 espèces) ; Liais. Soc. 14/05/2997 n° 14870; JCP S. 15/05/2007 Act 248.

1021.

V. infra Section 2 §1 sur la prise d’acte.

1022.

Cass.Soc. 09/05/2007 n° 05-40.518, seule décision sur les quatre ayant conservé la qualification juridique de démission. Les autres arrêts ont considéré que la volonté de démission du salarié étant équivoque, compte –tenu des circonstances antérieures et contemporaines, l’acte de rupture devait être analysé comme une prise d’acte et non une démission.

1023.

J-Y Frouin, « Les ruptures à l’initiative du salarié et le droit de la rupture du contrat de travail », JCP S n°1407 du 15/07/2008.

1024.

J. M Bouly commentaires sur Cass .Soc. 22/02/2000, Dr. Soc. 2000 p 441.