Section 2 : Le risque de la prise d’acte et de la résiliation judiciaire

405 Le processus d’extériorisation de volonté suppose l’initiative du sujet sous forme d’une décision. De l’accomplissement de l’acte voulu naît la responsabilité de son auteur qui doit en assumer les conséquences directes ou indirectes.

L’article L.1231-1 du code du travail dispose, à cet égard, que « le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ». Dans le schéma classique, induit de ce texte1039, la qualification juridique de la rupture du contrat à durée indéterminée dépend donc de l’identité de la partie à ce contrat qui prend l’initiative de la rupture unilatérale1040. Dès lors, l’initiative la plus significative du salarié serait sans nul doute la démission. Encore faut-il - nous venons de le voir- que la volonté de démissionner soit claire, sérieuse et non équivoque. L’initiative apparaît ainsi de l’ordre de l’action ou de la décision consciente et réfléchie. Or, parce que dans certaines situations complexes, il devient incohérent d’assimiler systématiquement l’auteur de la rupture, à la partie au contrat qui a pris l’initiative de le rompre, la Cour de cassation a procédé à la distinction entre initiative et imputabilité de la rupture1041.

L’imputabilité est l’aptitude d’une personne à assumer les conséquences d’un acte ou d’une situation qu’elle a eu la volonté et la conscience d’accomplir ou de créer. Il en résulte que la qualification juridique de la rupture dépend de celui à qui elle est imputable et non de l’identité de celui qui a pris l’initiative de la rupture. Ainsi, ne peut-il y avoir démission si le salarié, bien qu’à l’initiative de la rupture du contrat de travail, n’entend pas en assumer la responsabilité,1042 en raison des griefs qu’il formule à l’encontre de son employeur et qui constituent les motifs de ladite rupture. Une telle situation a ouvert la voie de la prise d’acte.

406 Après plusieurs épisodes jurisprudentiels mouvementés, la prise d’acte continue de susciter de nombreux questionnements. Notamment, ce mode de rupture autonome à l’initiative exclusive du salarié semble provoquer une fracture singulière entre ce qui est de l’ordre de l’initiative et de l’imputabilité de la rupture (§1). Cette singularité est accentuée par le fait que la prise d’acte rompt le contrat de travail, quelle que soit l’issue de la démarche engagée par le salarié.

En cas d’inexécution par l’employeur de ses obligations contractuelles, le salarié a aussi la faculté de saisir la juridiction prud’homale aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat. Dans cette hypothèse, l’initiative prise par le salarié de saisir le juge d’une demande de résiliation ne rompt pas le contrat de travail. Seule la décision du juge aura éventuellement cet effet en donnant la qualification juridique de la rupture. La résiliation judiciaire entre dans la fonction classique de régulation du juge.

Or, prise d’acte et action en résiliation judiciaire sont très souvent combinées, sans pouvoir cependant être confondues. L’analyse se portera ici essentiellement sur le degré d’autonomie de ces modes de rupture, eu égard à la succession dans le temps d’actes juridiques exprimant une volonté de mettre fin au contrat de travail (§2). En d’autres termes, on s’attachera aux effets et conséquences du concours de volontés de rupture.

Notes
1039.

Article inspiré lui-même de l’article 1780 du code civil. Il est désormais complété par la mention « ou d’un commun accord… » introduite par la loi du 25 juin 2008 sur la modernisation du marché du travail.

1040.

V.G.H Camerlynck, « De la conception civiliste du droit contractuel de la résiliation unilatérale à la conception statutaire du licenciement », JCP G 1958 I 1425. G.Couturier « Les techniques civilistes et le droit du travail », D. 1975 chron. p 151. J. Pelissier « Droit Civil et contrat individuel de travail », Dr. Soc. 1988 p 387.

1041.

Cass.Soc. 24/10/1979, Bull.civ. V n° 779 « L’initiative de la rupture est distincte de l’imputabilité ».

1042.

Sauf éventuellement à établir postérieurement, comme nous l’avons vu, soit que sa volonté n’a pas été libre ou qu’elle a été altérée, soit qu’il s’agit d’une prise d’acte aux torts de l’employeur.