417 La prise d’acte et la résiliation judiciaire ne peuvent désormais résulter que d’une initiative du salarié1067.Ces deux « initiatives atypiques » 1068 de rupture du salarié sont à l’origine d’un contentieux nourri et peuvent interférer, ce qui traduit souvent une recherche de clarification de la situation en cause. La difficulté tient alors au concours de volontés de rupture du contrat de travail, d’autant plus que l’employeur peut être amené à réagir de son côté.
Selon la jurisprudence, aujourd’hui fixée, la prise d’acte par le salarié est acquise du fait de la lettre de ce dernier1069, tout acte de l’employeur voulant à son tour la matérialiser, notamment par un licenciement, est donc inutile « …le contrat étant rompu par la prise d’acte du salarié, l’initiative prise ensuite par l’employeur de licencier le salarié est non avenue » 1070 . « Rupture sur rupture ne vaut »1071. Ainsi, saisi par un salarié d’une demande de dommages -intérêts en raison de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, le juge doit déterminer si les griefs allégués dans la lettre de rupture de ce dernier, étaient fondés ou non, peu important la convocation du salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement1072.
418 S’agissant de la résiliation judiciaire du contrat de travail, on sait que si les griefs sont fondés, celle-ci sera prononcée aux torts de l’employeur et produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut de manquements justifiés de l’employeur, le salarié sera débouté de sa demande sans que le juge puisse pour autant qualifier la rupture de démission, le contrat de travail se poursuivant alors 1073.
Lorsque le salarié saisit la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire mais prend ensuite acte de la rupture du contrat, la demande en résiliation judiciaire n’opère pas rupture du contrat, laquelle n’intervient qu’avec la décision du juge. Le juge n’a plus alors à se prononcer sur la résiliation judiciaire demandée, puisque la prise d’acte a entraîné la cessation immédiate du contrat de travail1074. Il doit cependant fonder sa décision sur les faits invoqués par le salarié tant à l’appui de sa prise d’acte qu’à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire, devenue sans objet. Cette solution, confirmée depuis lors,1075 est conforme à la jurisprudence qui considère que la lettre par laquelle le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige. Le salarié peut toujours prendre acte de la rupture du contrat, que ce soit en raison des faits dont il a saisi le conseil de Prud’hommes ou pour d’autres faits1076.
Inversement, le salarié peut prendre acte de la rupture et saisir ensuite le conseil des Prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire. Toutefois, la prise d’acte ayant consommé la rupture du contrat, la demande de résiliation judiciaire sera alors sans objet. Le juge appliquera le régime juridique des décisions de 2003 concernant la prise d’acte.
419 En revanche, que se passe-t-il lorsqu’une rupture à l’initiative de l’employeur est notifiée au salarié, alors que le juge n’a pas rendu sa décision sur une demande de résiliation judiciaire du contrat par le salarié ? Le juge devra d’abord rechercher si la résiliation judiciaire était justifiée puis, dans la négative, examiner les motifs de licenciement invoqués par l’employeur1077. Si le salarié agit ultérieurement devant le conseil des prud’hommes aux fins de résiliation judiciaire du contrat, alors que son licenciement lui a été précédemment notifié, l’action est alors sans objet, le licenciement ayant consommé la rupture. Toutefois, le juge doit prendre en considération les griefs invoqués par le salarié au soutien de sa demande de résiliation, dès lors qu’ils sont de nature à avoir une influence sur l’appréciation du bien-fondé du licenciement1078.
Ainsi, l’imbrication des contentieux peut-elle devenir révélatrice des enjeux des volontés des parties en matière de rupture du contrat de travail. Chaque partie tente alors de faire prévaloir sa propre perception de la situation de rupture et, surtout, de son imputabilité.
420 Parce que la prise d’acte est un véritable mode autonome de rupture du contrat à l’initiative du salarié, il est évident que ce dernier s’y engage à ses risques et périls, certainement plus qu’en recourant à une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail. En effet, s’agissant de ce dernier mode de rupture, le juge conserve un pouvoir modérateur certain et il n’est pas tenu de prononcer la résiliation demandée, le contrat pouvant en principe se poursuivre. En revanche, la prise d’acte consomme la rupture du contrat de travail, elle s’inscrit dans un véritable processus volontaire du salarié, dont l’issue traduira simplement le régime juridique applicable à ladite rupture. Dès lors, la prise d’acte apparaît bien comme une arme à double tranchant à la disposition du salarié. Un pouvoir de rupture mais à imputabilité incertaine.
Sauf dans de rares cas où un texte prévoit la possibilité pour l’employeur d’agir en résiliation judiciaire (v. notamment sur ce point P-Y Verkindt note JCP S 2006,1948).
V. P. Pochet,note.préc. « Initiatives atypiques du salarié en matière de rupture du contrat de travail ».
Au surplus, à l’instar de la démission, le salarié ne saurait valablement revenir sur la prise d’acte. La rupture étant consommée, elle ne pourrait être remise en cause par le salarié qu’avec l’acceptation de l’employeur.
Cass.Soc. 19/01/2005, Bull.civ. V 2005 n°11. Cass.Soc. 03/05/2006, JCP S 2006, 1498, note J-Y Frouin.
J- E. Ray, « Prise d’acte par le salarié (acte III) », Liais. Soc. magazine, fév. 2007 p 46-47.
Cass.Soc. 28/06/2006 Juris- Data n° 2006-034285. Cass.Soc. 16/11/2005, Bull.civ. V n°234.
Toutefois, si les faits invoqués par le salarié ne sont pas établis et qu’il a cessé le travail, la rupture lui sera imputable si l’on en croit un arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2004 ( RJS 1/2005 n° 34).
Cass.Soc. 31/10/2006, JCP S 2006, 1948, P-Y Verkindt .
Cass.Soc. 13/12/2006, RJS 2/2007 n°216.
Cass.Soc. 21/12/2006, JCP S 2007, 1172, note P-Y Verkindt.
Cass.Soc. 21/06/2006, JCP S 2006, 1780, note P-Y Verkindt.
Cass.Soc. 20/12/2006, JCP S 2007, note Verkindt.