§2 – La sécurisation légale de la rupture conventionnelle

440 Le législateur était déjà intervenu en matière de rupture conventionnelle dans les relations de travail. Mais, jusqu’à présent, son rôle semblait s’être limité essentiellement à une opération soit d’autorisation, soit de qualification. Rappelons, en effet, que la « rupture d’un commun accord » était visée explicitement par la loi dans certains cas précis, notamment pour organiser la rupture de contrats de travail à duréedéterminée1133, ou pour régler une situation juridique de rupture inédite1134. La rupture d’un commun accord pouvait donc parfois résulter plus de la volonté du législateur que de la volonté des parties de mettre fin ensemble au contrat de travail.

Mais c’est bien pour la première fois que le législateur institue, par la loi du 25 juin 2008, un véritable « statut » de la rupture conventionnelle venant s’insérer dans le droit de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, y compris celui des salariés titulaires de mandats électifs ou syndicaux1135. Désormais, l’article L.1231-1 du code du travail énonce, dans sa nouvelle rédaction, qu’à côté de la rupture à l’initiative de l’employeur ou du salarié, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu « d’un commun accord dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre » . Les dispositions relatives à la rupture conventionnelle sont regroupées dans une nouvelle Section III1136 du Chapitre VII intitulé « Autres cas de rupture » .

441 Est-ce à dire que, hors les cas antérieurement visés par la loi et ceux inscrits à l’article L.1237-16 du code du travail expressément exclus du champ de la loi du 25 juin 20081137, toute rupture d’un commun accord doit désormais être soumise au respect de la procédure et des formalités instaurées  par la nouvelle loi ?1138

L’article L.1221-1 du code du travail rappelle que s’appliquent au contrat de travail les règles de droit commun, ce qui militerait en faveur du maintien de la faculté de rupture d’un commun accord des contrats, sur le fondement de l’article 1134 alinéa 2 du code civil. Toutefois, une telle interprétation se heurte aujourd’hui à de sérieuses réserves. D’abord à la recodification qui, bien que faite à droit constant, place désormais l’article L.1221-1 du code du travail dans le Titre II « Formation et exécution du contrat du travail », Chapitre premier « Formation du contrat de travail »1139. Les dispositions propres au droit de la rupture du contrat de travail seraient donc déterminées exclusivement par le code du travail, dans son Titre III, qui inclut désormais la rupture conventionnelle dans son chapitre VII. En outre, la « sécurisation » voulue par les partenaires sociaux et recherchée par le législateur au travers de l’institutionnalisation d’une rupture conventionnelle, est indéniablement un facteur favorable au monopole de celle-ci dans les relations de travail, exceptés, semble-t-il, les cas visés antérieurement par la loi et ceux exclus par la loi du 25 juin 2008. Qui plus est, de façon pragmatique, les garanties procédurales et sociales de la rupture conventionnelle version loi du 25 juin 2008 ne sont-elles pas susceptibles d’avoir pour effet de réduire, à l’avenir, l’intérêt de la rupture d’un commun accord « classique » des contrats de travail à durée indéterminée1140 ? La loi du 25 juin 2008 laisse planer, sur ces points, une incertitude qu’il conviendra de trancher.

442 Plus complexe, s’avère la question du périmètre de la rupture conventionnelle au regard de contextes économiques1141. La loi du 25 juin 2008 instaurant ce nouveau mode de rupture ne vise pas1142 les ruptures négociées dans un accord GPEC pour les entreprises ou les groupes d’au moins trois cent salariés ou celles prévues par un plan de sauvegarde de l’emploi qui font l’objet d’un régime autonome1143. La jurisprudence antérieure devrait donc logiquement perdurer, les concernant. Par ailleurs, l’article L.1233-3 du code du travail, dans sa nouvelle rédaction, énonce que les dispositions relatives au licenciement économique sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes prévues au premier alinéa, «à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L.1237-11 et suivants ». Dès lors, le rapprochement des deux textes fait apparaître certaines contradictions, qui laissent une ouverture à la rupture conventionnelle, en particulier dans des hypothèses de ruptures pour motif économique inférieures à dix salariés dans une période de trente jours et dans le cadre d’un accord de GPEC dont la négociation n’est pas obligatoire. La jurisprudence antérieure continue-t-elle à s’appliquer ? Ou existe-t-il désormais une dichotomie : soit le PSE ou la GPEC- soit la rupture conventionnelle de l’article L.1237-11 du code du travail 1144, le risque étant alors de contourner les garanties spécifiques prévues en matière de licenciements économiques et collectifs1145. On le voit, la rupture conventionnelle entretient « des liens ambigus » avec le licenciement pour motif économique.

443 Au demeurant, la loi du 25 juin 2008 offre une lecture nouvelle de la rupture conventionnelle. Il ne s’agit pas uniquement de constater la volonté concordante des parties mais de réglementer les conditions d’un accord dont la nature n’exclut pas l’influence du pouvoir d’une des deux parties sur l’autre. D’ailleurs, des garanties procédurales, que l’on retrouve en nombre dans les situations propres à l’exercice par l’employeur de son pouvoir,1146 sont instituées tant pour préserver la liberté de consentement et la loyauté des rapports entre les parties, que pour assurer le contrôle des actes préparatoires à l’acte juridique (A).

De surcroît, les effets de la rupture conventionnelle sont accompagnés de garanties sociales prévues par la loi, assimilables à celles résultant d’un licenciement (B). Ceci constitue une exception notable par rapport à la résiliation conventionnelle de droit commun mais suggère aussi une probable transformation du droit de la rupture du contrat de travail.

Notes
1133.

Contrat à durée déterminée et contrat d’apprentissage.

1134.

Ainsi, le contrat de travail est-il « réputé » rompu d’un commun accord par l’effet du consentement du salarié à une convention de reclassement personnalisé. Dernièrement, suivant la jurisprudence antérieure sur les anciennes convention de conversion (Cass. Soc.29/01/1992 Bull.civ. V n°52), la Cour de Cassation a reconnu au salarié ayant adhéré à une convention de reclassement personnalisé, la faculté de contester le caractère réel et sérieux du motif économique invoqué par l’employeur ainsi que l’ordre des licenciement (Cass.Soc. 05/03/2008, JCP S, 10/06/2008 n° 1334, Note F.Dumont ; Cass.Soc. 07/04/2008, 2 espèces, JCP S, 10/06/2008 n° 1335, note P-Y Verdindt).

1135.

Les salariés bénéficiant d’une protection spéciale contre le licenciement en raison de leur mandat pourront désormais envisager la rupture conventionnelle de leur contrat dans les conditions fixées par l’article L.1237-15 du code du travail. Il s’agit d’une ouverture notable qui reste cependant encadrée et devrait faire l’objet d’une attention particulière des juges.

1136.

Après les sections portant respectivement sur la rupture à l’initiative du salarié et la retraite.

1137.

Est visé la rupture résultant d’un accord collectif de gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) ou celle résultant d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

1138.

En ce sens, G.Couturier in Sem. Soc. Lamy 02/06/ 2008, p 6.

1139.

Alors que l’ancien article L.121-1 du code du travail qui énonçait alors que le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun, se trouvait situé en tête des dispositions relatives au contrat de travail.

1140.

A l’exception, des cas de rupture d’un commun accord relevant de la volonté du législateur .

1141.

V. A Favre, art.préc. « Rupture conventionnelle et champ du licenciement pour motif économique », p 653. F .Favennec-Héry, A.Mazeaud , « La rupture conventionnelle du contrat de travail : premier bilan », 1314.

1142.

Art. L.1237-16 du code du travail.

1143.

Art. L. 2242-15 et L.1233-61 du code du travail.

1144.

V..F .Favennec-Héry, A.Mazeaud , art.préc, « La rupture conventionnelle du contrat de travail : premier bilan », 1314.

1145.

V. A Favre, art.préc. « Rupture conventionnelle et champ du licenciement pour motif économique », p 653.

1146.

V. infra Partie II, Titre I, Chapitre II, Section 1.