458 Très fréquemment dans les relations de travail, la transaction exprime la volonté des parties au contrat de travail, suite à une rupture de ce contrat, de trouver une solution conventionnelle à une situation contentieuse1180 ou pré-contentieuse. Comme si la protection issue du droit commun des vices du consentement lui paraissait insuffisante, la Cour de Cassation a enserré la licéité de la transaction dans des règles chronologiques au regard de la date de la rupture du contrat de travail1181. A quel moment de la rupture du contrat, les parties peuvent-elles manifester leur volonté de régler le litige qui les oppose ? Cette préoccupation essentielle du juge constitue une des conditions de validité de l’accord transactionnel.
459 Longtemps, la jurisprudence a considéré que la transaction pouvait intervenir de façon concomitante1182 à la notification de la lettre de licenciement, ou même un peu antérieurement 1183. Elle a pris depuis une position beaucoup plus rigoureuse. Cherchant notamment à distinguer la résiliation conventionnelle de la transaction, la Chambre sociale a conditionné, dès 19961184, la conclusion d’une transaction à la réception préalable par le salarié de la lettre de licenciement, ce qui suppose que l’ensemble de la procédure de licenciement ait été ainsi respecté.
En effet, la transaction n’étant pas en soi un mode de rupture du contrat de travail, mais un mode de règlement par voie de concessions réciproques, d’une contestation née ou à naître résultant de la rupture du contrat, elle ne peut valablement être conclue qu’une fois la rupture effectivement intervenue et définitive1185.
Ainsi, la position du juge social se distingue-t-elle de la conception de la transaction retenue en droit civil. En effet, toute transaction peut, en principe, être conclue à n’importe quel moment, dans la mesure où elle prévient ou termine un litige par l’octroi de concessions réciproques. Cette adaptation du régime de droit commun par le droit du travail n’est pas un phénomène isolé, comme nous l’avons déjà constaté à plusieurs occasions. Elle procède essentiellement de considérations spécifiques visant à assurer la protection de la volonté et des intérêts du salarié face au pouvoir et à l’autorité de l’employeur.
Car, tant que la rupture du contrat de travail n’est pas définitive, le salarié demeure sous la subordination de l’employeur, situation qui peut porter atteinte à sa liberté de consentement, à l’expression de sa volonté réelle et non équivoque.
460 Compte-tenu de ses effets abdicatifs, la transaction nécessite indubitablement une volonté réfléchie et consciente, libre de pressions diverses. Pour être un acte libre et non équivoque, la renonciation à un droit non acquis doit ainsi se situer après la cessation des relations du travail, lorsque la subordination du salarié a pris fin. Sur le fondement de l’article L.1231-4 du code du travail, que la Cour de Cassation ne manque pas de solliciter dans la majorité de ses décisions relatives à la transaction, il est rappelé que le salarié ne peut renoncer par avance à se prévaloir des droits découlant des règles légales sur le licenciement. La transaction ayant pour objet de mettre fin au litige résultant d’un licenciement ne peut donc être valablement conclue qu’une fois la rupture intervenue et définitive. La rupture doit être clairement imputable, en l’occurrence, à l’employeur car l’existence des concessions doit s’apprécier en fonction des droits du salarié, tels qu’ils résultent du mode de rupture intervenu.
Cette solution est indissociable de celle adoptée par les juges en matière de concessions réciproques. L’importance des concessions réciproques dépend largement en fait des termes du litige, qui sont eux-mêmes fixés, selon une jurisprudence constante, par les motifs invoqués dans la lettre de licenciement1186. Dans ces conditions, le salarié doit être parfaitement informé des motifs de son licenciement par la notification du courrier prévue par la procédure légale ou conventionnelle applicable. Il peut alors, après réflexion, choisir en pleine connaissance de cause de les contester par une action en justice ou y renoncer en concluant une transaction contenant des contreparties de la part de l’employeur.
461 A l’évidence, la protection de la volonté du salarié, à la fois dans sa liberté de manifestation et dans sa capacité de délibération et de décision, est au cœur de la position du juge social1187. A l’appui de ce constat, signalons que la Cour a également affirmé que seul le salarié peut invoquer la nullité de la transaction signée avant la notification du licenciement1188, revenant ainsi sur une jurisprudence antérieure qui avait admis que la nullité pouvait être invoquée par l’une ou l’autre des parties1189 . Il s’agit ici d’une nullité relative instituée dans l’intérêt exclusif du salarié1190. Toutefois, la Chambre sociale a précisé, dans une décision en date du 10 juillet 20021191, que la nullité qui frappe une transaction conclue par un salarié protégé avant son licenciement est une nullité absolue (« visant une nullité absolue d’ordre public » 1192). Les salariés protégés ne sont donc pas seulement dans une situation contractuelle, mais aussi et surtout dans une situation statutaire1193.
La validité d’une transaction ne repose pas uniquement sur une exigence chronologique. Les limites du litige doivent être tracées et les concessions réciproques, consenties par les parties, doivent être déterminées. Dès lors, l’exigence d’un écrit prévu par l’article 2044 du code civil, ne se limite pas à constituer un moyen de preuve et à formaliser des manifestations de volontés. L’écrit permet, en outre, plus largement, l’appréciation par le juge de l’existence du litige et de concessions réciproques acceptées par les parties.
Une transaction peut intervenir lors de la phase contentieuse d’un procès, notamment lors de la tentative de conciliation. Dans ce cas, elle débouche sur un désistement d’instance ( à distinguer du désistement d’action ).
J-M Sportouch, «Transaction, rupture amiable et chronologie » in Etudes offertes à J.Pelissier, Analyse juridiques et valeurs en droit social , Dalloz 2004 p 511 et suiv.
Cass. Soc. 03/05/79, Dr. Soc.1980 p 39. Cass. Soc. 05/01/, Info rapide D. 1985 p 250.
Cass. Soc. 29/11/79, Bull.civ V 1979 n° 934 .Cass. Soc 17/01/85, Dr. Soc. 1985 p 698 ; Cass. Soc 21/11/84 , Dr. Soc. 1985 p 700.
Cass. Soc 25/05/96, D. 1997 jp p 49 note J-P. Chazal.
Lorsque la transaction fait suite à un autre mode de rupture que le licenciement, le principe reste identique. La transaction ne peut intervenir qu’après réception par l’employeur de la lettre de démission, caractérisant une volonté non équivoque de démissionner (v. supra Chapitre I, Section 1 du présent titre ), ou du départ en retraite, ou après notification au salarié de la mise à la retraite.
A cet égard, rappelons que l’absence d’énonciation des motifs dans la lettre de licenciement entraîne une présomption irréfragable d’absence de cause réelle et sérieuse. La loi du 25 juin 2008 précise désormais dans le code du travail que le licenciement doit être motivé dans les conditions définies [ par les dispositions des chapitres correspondant du code du travail]. Pour autant, la formule de la loi ne reprend pas entièrement l’article 11 de l’ANI du 11 janvier 2008 qui rappelait la jurisprudence actuelle ( « une insuffisance dans l’énonciation des motifs est assimilée à une absence de cause réelle et sérieuse de licenciement ») et annonçait en outre une réflexion sur les moyens conduisant le juge à rechercher dans ce cas la cause du licenciement et à statuer sur son caractère réel et sérieux. Cette annonce tenterait-elle de remettre en cause la jurisprudence sur la présomption irréfragable ?
G.Couturier, obs.sous Cass.Soc.12/02/1997, Dr. Soc. 1997 p 421.
Cass. Soc 28/05/2002, Dr.Soc. 2002 p 783 obs.G.Couturier ; Liais. Soc. 10/06/2002 jp n° 772. En tout état de cause, l’employeur peut invoquer la nullité de la transaction pour les autres causes (dol, erreur sur l’objet de la contestation, violence ), à l’exclusion non seulement de la cause tirée du moment de la conclusion de la transaction, mais aussi pour lésion, et en principe, erreur de droit ( art. 2052 du code civil ).
Cass. Soc 24/10/2000,Liais.Soc. jp n° 344.
Sanction que la Cour de cassation a explicitement précisé dès 1997 «Une transaction , conclue avant la notification du licenciement, est nulle » .Cass. Soc 12/11/97,Liais. Soc. jp n° 376.
Liais. Soc. 10/09/2002 jp n° 781.
Formule sans aucun doute redondante mais qui marque la volonté sans faille de la Haute juridiction de garantir la protection exceptionnelle et exorbitante de droit commun des salariés protégés, non seulement dans leur intérêt propre mais dans l’intérêt de l’ensemble des salariés qu’ils représentent.
Ce qui ne les empêche pas, rappelons-le, de convenir désormais d’une rupture conventionnelle de leur contrat de travail (contrairement aux solutions antérieures concernant la rupture amiable de droit commun pour motif non économique) , ni de prendre acte de la rupture de leur contrat ou en demander la résilitation judiciaire (v.supra Chapitre I, Section 2 et Chapitre II, Section 1).