462 La transaction doit traduire non seulement une volonté de mettre fin à un litige suite à une rupture du contrat de travail, mais encore, la volonté des parties de renoncer à un droit contre concessions. Bien que renonciation et concessions apparaissent ici indissociables, il paraît judicieux de les étudier séparément.
En transigeant, les parties renoncent à leur droit d’action, c’est à dire au droit de faire trancher par un juge le litige relatif aux prérogatives ayant fait l’objet de la transaction1194. Toute transaction emporte donc renonciation au droit d’agir en justice, elle a « autorité de la chose jugée en dernier ressort. » Toutefois, la transaction n’est pas seulement abdicative. En effet, comme nous l’avons déjà souligné, elle se réalise au moyen de concessions réciproques qui lui confèrent un caractère synallagmatique.
463 A quels droits, actions et prétentions, le salarié est-il précisément censé renoncer1195 ? La renonciation, qui est faite à tous les droits, actions et prétentions, ne peut s’entendre que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu. C’est ainsi que la question de la portée de l’objet de la transaction a été régulièrement soulevée, notamment à propos de l’exécution des clauses de non concurrence. Le juge rappelle, à cet effet, que les parties doivent avoir expressément prévu d’insérer dans la transaction la clause de non concurrence. A défaut, la renonciation à un droit ne pouvant se présumer mais devant résulter d’un acte de volonté non équivoque des parties et notamment du salarié, la clause de non - concurrence ne peut être incluse dans la transaction.1196 . Cette solution trouve sans doute son fondement dans l’article 2049 du code civil, selon lequel les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris. Selon le professeur G.Couturier1197, ce texte développe une logique simple « Par définition, la transaction a pour objet de déterminer ou de prévenir une contestation ; elle se substitue à la décision de justice qui aurait tranché ce différend ; sa portée spécifique s’inscrit dans les limites de ce différend. L’effet de la transaction ne va pas au-delà de la contestation que les parties avaient eue en vue de régler » .
464 En outre, les termes de la renonciation doivent nécessairement être contrebalancés par des concessions. Dès lors, la volonté du salarié de renoncer à son droit d’agir en justice doit trouver une juste compensation en termes de concessions offertes par l’employeur. Celui-ci doit trouver un intérêt à la transaction, qui emporte abdication du droit d’agir en justice, par rapport à une action directe auprès des tribunaux aux fins de faire valoir ses prétentions. Si la Cour de cassation requiert, de manière constante, l’existence de concessions réciproques pour valider une transaction1198, elle n’exige cependant pas que celles-ci soient d’égale importance.
Mais encore faut-il que les concessions de l’employeur ne soient ni dérisoires ni insuffisantes1199. Le juge recherchera si elles sont, à tout le moins, égales ou supérieures à celles auxquelles le salarié aurait pu prétendre, compte -tenu de sa situation juridique1200. C’est dans ces conditions, que le juge vérifiera que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales. A défaut de quoi, le salarié pourra prétendre aux droits d’un salarié licencié sans cause réelle et sérieuse. C’est donc par rapport aux droits a minima de la loi ou de la convention collective que sera appréciée l’existence de concessions réelles octroyées par l’employeur1201.
De plus, sans heurter l’autorité de la chose jugée conférée à la transaction, le juge peut restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification1202. Cependant, il n’existe pas, dans le cadre de la transaction, un contrôle juridictionnel de proportionnalité entre les sacrifices consentis par le salarié et les concessions attribuées par l’employeur, le juge se limitant à ce jour à sanctionner la contradiction des motifs et la dénaturation.
Mais, comme pour toute renonciation, la transaction requiert une volonté réelle et non équivoque du salarié renonçant. Et, si l’article 2052 du code civil n’autorise l’annulation de la transaction ni pour lésion, ni en principe pour erreur de droit,1203 la possibilité subsiste d’invoquer le dol1204, l’erreur sur l’objet de la contestation1205 et la violence1206, comme vices susceptibles d’entacher la validité du consentement du salarié, qui doit être libre et éclairé.
465 En droit du travail, la transaction est donc « sous haute surveillance judiciaire»1207. L’idée d’un règlement amiable et commun d’un litige opposant employeur et salarié demeure suspecte. L’inégalité des parties, la subordination du salarié sont les raisons traditionnellement invoquées pour expliquer cette défiance à l’encontre d’accords qui privilégient la liberté des parties dont celle de renoncer au droit d’agir en justice.
La Cour de Cassation invite donc à un encadrement rigoureux de l’accord transactionnel, sans priver toutefois les parties au contrat de travail de la faculté de recourir à cette figure juridique. Protégée par les effets de cet encadrement judiciaire, la volonté du salarié dans le processus de négociation transactionnelle n’en est pas moins reconnue et renforcée dans ses conditions d’expression. Plus encore, la transaction peut même être parfois la seule « sortie » honorable d’une relation de travail conflictuelle et n’est plus l’apanage des cadres de haut niveau de responsabilités. Cette tendance traduit sans doute un changement dans la relation individuelle du travail.
L. Boyer, Encyclopédie Dalloz 5ème « Transaction » n°104.
G. Couturier, obs. sous Cass.Soc. 04/07/1997, Dr. Soc. 1997 p 978-980.
Cass. Soc 12/10/99, Liais. Soc. jp n° 653. Cass. Soc 06/05/98,Bull. civ V n° 228.
V. art. préc. sous Cass.Soc. 04/07/1997, p 979.
V. notamment Cass.Soc.13/10/1988- Bull.civ. V n° 516.
Cass. Soc 18/05/99, Dr. Soc. 1999 p 749n, obs. B. Gauriau.
Cass . Soc 18/02/98, Dr. Soc.1998 p 402.
Cass. Soc 23/01/2001, RJS 4 /01 n° 440.
Cass. Soc 27/03/96, Dr. Soc. 1996 p 741. En l’occurrence, l’employeur qui reprochait à un salarié une incompétence professionnelle ne pouvait prétendre, compte -tenu de la position de la jurisprudence en la matière, avoir fait des concessions en renonçant à invoquer une faute grave .
Toutefois, les juges ont la possibilité de redonner aux faits visés par les parties à la transaction leur exacte qualification juridique ( Cass.Soc. 06/04/99,RJS 5/1999n°662 ). N’est-ce pas l’admission indirecte de l’erreur de droit dans les causes d’annulation de la transaction, contrairement aux dispositions de l’article 2052 du code civil ? ( X. Lagarde « Les spécificités de la transaction consécutive à un licenciement » , JCP2001 G.1 337 p 1420 ).
Ainsi, la Cour de cassation a admis, il y a quelques années, l’annulation d’une transaction à raison de manœuvres dolosives de l’employeur, s’agissant d’information erronée donnée au salarié quant au caractère non imposable de la majoration de l’indemnité conventionnelle, sans laquelle le salarié n’aurait pas signé.
Cass. Soc 24/11/1998, Bull.civ. 1998 V n° 515.
Cass. Soc . 18/12/2001, Dr.soc. 2002 p 360, obs. B. Gauriau. La violence morale pour être une cause de nullité de la transaction doit être appréciée « in concreto » et établie .
M-L Vigouroux, « La transaction sous haute surveillance judiciaire », Cahier DRH 2008, n° 140, p 13 et suiv..