Conclusion de la partie I

469 L’objectif de cette première partie était de mesurer la place accordée aujourd’hui à la volonté du salarié dans la dimension contractuelle du rapport d’emploi et de mettre au jour certaines évolutions.

La reconnaissance de la volonté du salarié n’est pas nouvelle en droit du travail, ne serait-ce que parce que son consentement est nécessaire pour que le contrat de travail puisse être valablement formé entre les parties. Mais le droit du travail a toujours fait preuve d’une suspicion quant à la possibilité réelle pour la volonté du salarié de jouer un rôle équivalent à celui joué par la volonté de l’employeur. L’inégalité des parties au contrat de travail et la subordination du salarié à l’égard de son cocontractant ont contribué à une réaction du droit fondée essentiellement sur un rééquilibrage et sur la protection de la partie la plus faible. Cet état des lieux perdure-t-il ? Ou bien peut-on défendre l’idée que la place de la volonté du salarié est plus étendue aujourd’hui que naguère, dans la dimension contractuelle du rapport d’emploi ?

A bien y regarder, l’évolution, telle que mise à jour, apparait travaillée par un double mouvement de protection et de valorisation.

470 Le rôle de la volonté du salarié semble, en effet, bénéficier, depuis peu, d’un réel mouvement de faveur. Le mot « faveur » doit être entendu ici dans son sens classique de « ressource». La volonté du salarié est saisie comme une ressource que le droit prend désormais plus fermement en compte.

Il en est ainsi quand, grâce à la réactivation jurisprudentielle du principe de la force obligatoire du contrat, la volonté du salarié se trouve obligatoirement sollicitée en situation de modifications contractuelles à l’initiative de l’employeur mais aussi pour résister à de nouvelles normes collectives moins favorables que le contrat individuel. Par le biais d’une faculté de choix et d’un droit de refus, la volonté individuelle du salarié gagne alors en épaisseur, freinant la logique du pouvoir et le droit de résiliation unilatérale.

Autre manifestation perceptible de la valorisation de la volonté du salarié, bien que plus discrète que la précédente : l’extension de l’espace laissé aux volontés individuelles dans l’aménagement des rapports de travail. Ce phénomène paraît, toutefois, très inégalitaire, entre les travailleurs eux-mêmes. Seuls certains salariés, ceux dont le savoir-faire, la technicité ou le niveau de compétence sont les plus recherchés, peuvent s’approprier cette faculté d’aménager et de négocier individuellement des clauses contractuelles en leur faveur. Il ne faut donc pas se méprendre sur l’étendue et l’intensité du mouvement de contractualisation au profit des salariés.

C’est encore la volonté saisie comme une ressource véritable qui est privilégiée quand les conditions de manifestation de la volonté du salarié sont affermies par l’information et/ou le conseil, l’instauration de délais de réflexion,... Ces mécanismes rétablissent de l’égalité dans la conclusion du contrat et, plus largement, dans la formation de la décision du salarié. La même logique s’affirme lorsque le législateur ou le juge recherche un principe d’équilibre, notamment par l’exigence d’une contrepartie sérieuse à certaines obligations prévues dans le contrat de travail ou aux effets d’une convention de rupture.

471 Mais si la volonté du salarié, comme ressource contractuelle, peut se trouver renforcée, ce ne peut être que dans la mesure où elle demeure protégée par l’ordre juridique dans les différentes phases de la vie du contrat de travail, en particulier au moment de la formation du contrat comme lors de sa rupture par le salarié. Ces temps sont révélateurs de la vulnérabilité du salarié face au pouvoir de l’employeur. Le droit du travail ne se défait donc pas de sa finalité protectrice et il n’apparaît pas de recul notable des règles d’ordre public.

On peut même considérer que certaines évolutions vont à l’encontre d’une valorisation de la volonté du salarié. En effet, le recours accru à la figure du contrat de travail ne participe pas forcement au renforcement corrélatif du rôle de cette volonté. La détermination du contenu contractuel continue à échapper largement aux parties et singulièrement au salarié, au profit du législateur, du juge et même des partenaires sociaux, lesquels entendent déterminer conventionnellement, a priori et de manière limitative, les éléments qui doivent toujours être considérés comme contractuels.

En outre, la dynamique des droits et libertés de la personne et les règles de sauvegarde de l’article L.1121-1 du code du travail freinent largement la liberté contractuelle et le domaine d’exercice de la volonté du salarié. Celle-ci ne saurait s’affranchir de tout. N’est-ce pas, au fond, une condition de son respect ?

472 En définitive, l’impression d’ensemble demeure contrastée et tout en nuances. L’évolution contemporaine donne à voir une conciliation autant fragile qu’indispensable entre valorisation et protection de la volonté du salarié, faveur et suspicion. Ce double mouvement s’inscrit dans la perspective plus générale de compenser les inégalités et déséquilibres, voire d’atténuer les conflits d’intérêts qui dominent la relation juridique entre salarié et employeur. Mais, dans un même temps, se dessine une nouvelle physionomie de la volonté du salarié cocontractant. Le consentement, initial et global, à l’exécution du contrat de travail n’est plus la seule expression volontaire de ce dernier. Désormais, le salarié est apte à manifester du « futur contractuel », c'est-à-dire qu’il a la faculté de donner son accord sur les modifications touchant le contrat de travail auquel il a initialement consenti, ou de les refuser. Cette capacité de refus n’est pas insignifiante, puisqu’il s’agit d’un droit que le salarié peut ou non exercer mais qu’il possède en propre. Nonobstant les effets ultérieurs sur la survie du contrat, le refus constitue une manifestation forte de volonté. Il contient la puissance de l’opposition et de la résistance du sujet, face à la volonté de l’autre. Ce droit de refus signifie surtout ici que la qualité de contractant est pleinement reconnue au salarié. Dès lors, l’employeur ne peut s’abstraire de la volonté de son cocontractant, en cours d’exécution du contrat.

Qu’en est-il lorsque le salarié n’est plus saisi en sa qualité de contractant, mais de travailleur subordonné ? On sait, que soumis à une volonté qui n’est pas la sienne, le salarié se trouve assujetti aux pouvoirs que l’ordre juridique reconnaît à l’employeur. Cette donnée est essentielle pour comprendre la place particulière dévolue à la volonté du salarié dans le rapport de travail. Dès lors, convient-il de rechercher si l’évolution des règles de droit permet d’entrevoir une « émancipation » de la volonté du salarié au sein même du territoire des pouvoirs de l’employeur. Tel est l’objet de la seconde partie de cette recherche.