Chapitre préliminaire : L’employeur, détenteur d’un pouvoir

475 Lorsqu’on affirme que l’employeur est détenteur d’un pouvoir, que veut-on signifier exactement? En effet, les expressions qui recueillent le mot pouvoir peuvent prendre deux tournures différentes : «avoir le pouvoir de» et «avoir du pouvoir sur» . Juridiquement, «avoir le pouvoir de» signifie avoir le droit de faire quelque chose, si on le souhaite, avoir des prérogatives, dans un sens voisin de celui de droits subjectifs1212. «Avoir du pouvoir sur» (potestas) désigne une aptitude à agir sur autrui, à conduire sa volonté.

Mais comment peut-on faire agir une personne, en dehors de sa propre volonté? Plusieurs moyens existent1213. Le principal est la reconnaissance juridique du pouvoir, en ce qu’il est justifié au regard des principes de la Société, ou suffisamment justifié pour être digne d’être soutenu par la force du droit, pourvu qu’il ne sorte pas d’un cadre précis1214. C’est le pouvoir légal reconnu et accordé par les instances supérieures de la Société, souvent fondé sur la fonction, le grade ou le statut. C’est le pouvoir de commander et d’exiger l’obéissance dans un domaine donné en recourant le cas échéant à la contrainte. Très fréquemment, un tel pouvoir juridique institutionnalise une relation factuelle de pouvoir.

476 Tel est le cas du pouvoir dans les relations de travail. Celui-ci naît d’abord de la relation asymétrique se nouant entre l’employeur, qui fournit le travail, et le travailleur qui l’exécute selon la demande. Une telle relation se caractérise par la capacité d’agir du premier sur les actions du second. Ce pouvoir saisi comme rapport social peut être rapproché, sans être confondu toutefois, de l’idée d’autorité («l’autoritas») fondée sur la personne qui l’exerce par son influence, son ascendant, son crédit, sa puissance,…. Mais, pas plus qu’elle ne s’appuie sur la puissance légale, l’autorité ne cherche pas à persuader ni à convaincre, ce qui ne se rencontre qu’entre égaux en fait et en droit. «Face à l’ordre égalitaire de la persuasion se tient l’ordre autoritaire qui est toujours hiérarchique» 1215 .

Le pouvoir juridique dont est détenteur l’employeur, qui puise ses racines dans les conditions d’exécution du contrat de travail tel que conclu entre les parties, autorise l’action unilatérale de l’employeur dans un domaine déterminé, sans qu’il soit besoin de solliciter l’accord du salarié. Seule l’obéissance, voire l’adhésion, sont accueillies. L’employeur a ainsi «un pouvoir de», qui conforte «un pouvoir sur» les salariés. En bref, le droit s’intéresse aussi bien au pouvoir juridique qu’au pouvoir –rapport social1216.

Il n’en demeure pas moins que l’idée de pouvoir dans un rapport juridique de droit privé est suffisamment paradoxale au regard des volontés en présence, a priori égales, pour qu’on se sente tenu de dégager les fondements essentiels du pouvoir patronal ( Section 1), avant d’en cerner les principales caractéristiques, en s’appuyant essentiellement sur les normes positives qui le consacrent (Section 2).

Notes
1212.

A.Jeammaud, « Le rapport de pouvoir visé par le droit du travail », Colloque 11 et 12 mai 2007 sur le Pouvoir de l’employeur , IETL Lyon 2.

1213.

En dehors de la contrainte physique par la violence ou la peur que nous excluons de notre propos. V. F.Poché, « Penser avec Arendt et Lévinas : du mal politique au respect de l’autre » ;Chr. Soc.Lyon, septembre 2003.

1214.

E.Dockès, art. préc. « Le pouvoir –Valeurs de la démocratie. Huit valeurs fondamentales » p 63 et suiv.

1215.

H.Arendt ,« La crise de la culture », Paris, Gallimard Folio 1995.

1216.

A.Jeammaud, colloque préc.