Section 1 : Les fondements du pouvoir patronal

477 L’origine et le fondement du pouvoir de l’employeur ont été différemment appréhendés au cours de l’évolution du droit de travail1217.Une première approche part du présupposé que tout employeur est titulaire d’un pouvoir qui découle de sa qualité intrinsèque. On songe d’abord à l’analyse patrimoniale qui rattacha le pouvoir patronal à la logique de la propriété des biens de production. Ce serait en vertu du droit de propriété qui autorise son détenteur à régler l’accès à son bien et l’usage de ce dernier par autrui 1218 que les conditions d’une relation de pouvoir seraient nées. Toutefois, une telle vision patrimoniale du pouvoir patronal est apparue insuffisante pour fonder, à elle seule, le pouvoir patronal en tant que rapport social et prérogative juridique 1219. Il y eut ensuite le courant dit institutionnel pour lequel le pouvoir serait propre à la qualité d’employeur en tant qu’il est chargé de la «gouvernance» d’un ensemble social dont il doit assurer la cohérence et protéger l’intérêt1220. Bien que cette approche du pouvoir patronal ne manque pas de pertinence - toute institution de quelle que nature qu’elle soit, ayant besoin d’un «gouvernement» qui conduit et coordonne les actions de ses membres - elle relève cependant d’une vision idéalisée de l’entreprise et du rôle de l’employeur, plus que d’une réalité factuelle objective. Dès lors, l’intérêt de la communauté qu’est l’entreprise apparaît plus comme un objectif assigné aux manifestations du pouvoir que comme un fondement de l’existence du pouvoir de l’employeur sur le salarié1221.

478 Ainsi, expliquer le pouvoir à partir de la qualité de son détenteur, qu’il soit saisi en tant que propriétaire des biens de production ou responsable du bien commun, relève, semble-t-il, d’une lecture restrictive. Ces interprétations cherchent plus à faire valoir le bien-fondé du pouvoir patronal qu’à en analyser les ressorts. C’est donc à partir d’une autre approche que nous proposerons d’analyser le pouvoir, non sous l’angle de son détenteur, mais au regard du rapport d’emploi.

En effet, celui-ci apparaît avant tout comme une relation d’inégalité juridique, une relation de pouvoir légalement reconnue d’un sujet à l’égard d’un autre1222. Ce pouvoir prend sa source dans le contrat de travail, dont le critère principal repose sur la notion de subordination. Celle-ci implique que le travailleur se place sous l’autorité de l’employeur. La lecture contractuelle du pouvoir fait ainsi de ce dernier une conséquence de la subordination dans l’exécution du travail et contribue à rendre compte d’un pouvoir/rapport social (§1). Toutefois, la relation de pouvoir créée par le rapport d’emploi repose sur les prérogatives juridiques que l’ordre juridique reconnaît à l’employeur (§2). Celles-ci limitent et règlent les rapports de fait qui naissent du travail, en révélant un champ dédié spécifiquement à l’exercice des pouvoirs de l’employeur. L’ordre juridique dessine ainsi une sorte de configuration globale des rapports de force existants, afin d’assurer un certain niveau d’équilibre et de contrôle.

Notes
1217.

D’éminents auteurs se sont penchés sur cette question. Récemment encore, des travaux remarquables ont apporté des contributions essentielles à l’analyse du pouvoir que la présente thèse n’a ni l’objet ni la prétention d’égaler. On s’efforcera donc de citer ces auteurs et de rendre compte de leurs travaux, dans la progression de notre étude.

1218.

Art. 544 du code civil. C’est ainsi que certains courants ont pu se tourner vers le droit de propriété pour justifier les pouvoirs de l’employeur dans l’hypothèse d’une grève, d’une occupation ou d’un «  lock out »  .

1219.

V. en ce sens notamment J . Savatier, « Pouvoir patrimonial et direction des personnes », Dr. Soc. Janvier 1982 p 1 et suiv.

1220.

V. notamment P. Durand, traité préc., «  Traité du droit du travail ».

1221.

V. D.Loschak, « Le pouvoir hiérarchique dans l’entreprise privée et dans l’administration », Dr. soc. 1982 p 26.

1222.

A.Jeammaud, M.LeFriant, A.Lyon-Caen, art.préc. « L’ordonnancement des relations de travail », p 361 .