479 Outre l’existence d’éléments «catégoriques» et objectifs1223, la qualification et la spécificité du contrat de travail reposent essentiellement sur la subordination du salarié à l’égard de l’employeur. Celle-ci est devenue le critère principal du contrat de travail et forme l’élément qui le différencie des autres contrats1224. La subordination du salarié est dite «juridique»1225 car elle résulte du contrat conclu entre les parties. On le sait, la jurisprudence la définit généralement comme «l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné» 1226 .
Le pouvoir entretient donc une relation symétrique avec la subordination engendrée par le contrat de travail. L’un n’existe pas sans l’autre. C’est parce que le pouvoir est la faculté d’imposer sa volonté à autrui que celui qui le subit doit mettre à l’écart sa propre volonté. Ce mécanisme de retrait de la volonté du salarié s’opère par la subordination. Pour autant, il ne s’agit pas ici d’un pouvoir juridique, mais d’une «autorité» exercée sur les conditions d’exécution de travail d’autrui.
480 Telle que définie par le juge, la subordination relève essentiellement d’une situation de fait caractérisant un rapport social inégalitaire, c’est à dire formée par des éléments constitutifs du pouvoir (ordres et directives, contrôle de l’exécution du travail,…). C’est de cet ancrage factuel que découle la qualification juridique du contrat de travail, comme le rappelle régulièrement le juge social1227. En ce sens, c’est parce qu’il y a exercice du pouvoir, qu’il peut y avoir identification de la subordination et donc contrat de travail comportant l’engagement tacite ou express du salarié d’être un travailleur subordonné. Par le contrat de travail, le salarié s’engage par avance à se soumettre à l’autorité de l’employeur et à exécuter ses ordres et directives. Par l’exercice effectif du pouvoir, la subordination se réalise et se place dans l’ensemble organisé et structurel qu’est l’entreprise1228.
481 Dès lors, le pouvoir de l’employeur apparaît comme issu du contrat de travail en tant que source juridique de la subordination du salarié. Ainsi, dans le rapport d’emploi, le salarié n’est pas seulement débiteur d’obligations contractuelles, il consent aussi, par contrat, à placer sa personne sous l’autorité de l’employeur « qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». De sorte que le salarié est à la fois cocontractant de son employeur et travailleur subordonné placé sous sa direction, sa surveillance et son autorité.; l’employeur étant d’ailleurs défini comme «celui au profit duquel le travail est accompli et sous la direction de qui le salarié exécute son activité » 1229.
Pourtant, la notion de subordination juridique, entendue comme une subordination tirant sa source du contrat, peut ne pas satisfaire1230.En effet,l’argument conduit à désigner de la sorte la volontéimplicite des parties comme l’instigatrice du pouvoir patronal1231, au même titre que d’autres règles contractuelles. Or, le contrat de travail ne peut être qu’un acte-condition qui, une fois régulièrement formé, habilite l’employeur à exercer un pouvoir constitué des prérogatives juridiques reconnues par le droit.
Ainsi, le consentement par contrat à une «servitude volontaire» 1232ne peut avoir de valeur juridique que parce que l’ordre juridique autorise l’employeur à exercer ce pouvoir, soit en lui déléguant explicitement certaines prérogatives juridiques, comme en matière disciplinaire ou réglementaire, soit en lui accordant, sous contrôle judiciaire, un domaine d’exercice distinct de celui qui relève du contractuel.
Tels que notamment, le travail et la rémunération (v. supra Partie 1).
Tels les contrats de mandat, d’entreprise, de prestations de services, de location-gérance ,…
Abandonnée par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass.civ.6 juillet 1931. DP 1931.1.121, note P.Pic), la subordination économique fondée sur l’idée de faiblesse ou de dépendance économique , a laissé la place à l’idée de subordination juridique. « La condition juridique d’un travailleur à l’égard de la personne pour laquelle elle travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur et ne peut résulter que du contrat conclu entre les parties…La qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie ».
Cass. Soc . 13/11/96, Dr. Soc.1996 p 1067.
L’existence d’une relation de travail salariée «ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs» .
D’éminents auteurs, tels que T.Revet (v.notamment art .préc. « L’objet du contrat de travail », p 859 et s.), et A. Supiot (v. art.préc. « Le juge et le droit du travail »,p 59 et s.) soutiennent dans leurs travaux que le contrat de travail étant qualifié de contrat de louage de services, le preneur à bail, l’employeur, doit pouvoir entrer en possession de la chose louée. Le chose louée est la « force de travail » du salarié, la rémunération est l’équivalent du loyer. Dans ces conditions, le droit du travail s’efforce de faire en sorte que la « patrimonialisation du travail n’ait pas pour effet la patrimonialisation du salarié lui-même », ce que le droit interdit(v. aussi X.Lagarde « La relation de travail est un quasi-louage », RTD civ. Juill-sept 2002 p 435 et suiv.). La subordination du salarié à la volonté de l’employeur vient compenser en quelque sorte l’impossibilité pour ce dernier de rentrer en possession de la force de travail dont il a, par voie contractuelle, acquis la jouissance : « La subordination apparaît alors comme le substitut de la dépossession » .
Cass. Soc 23/02/77 – Bull.civ. V n° 136.
A. Supiot, « La réglementation patronale de l’entreprise », Dr. soc. 1992 p 215 et suiv. P. Lokiec, Thèse préc. « Contrat et pouvoir » .
Dans un système démocratique, le pouvoir entre personnes privées est un fait en principe illicite. Car nul ne peut obliger autrui sans son consentement (E.Dockès, « De la supériorité du contrat de travail sur le pouvoir de l’employeur » in Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à J. Pelissier, Dalloz 2004, p 203 et suiv.). Ainsi, à l’inverse du contrat qui repose sur le registre de la volonté, le pouvoir ne peut par définition être justifié par un accord de volontés.
Pour réprendre l’expression d’E. de la Boetie dans son opuscule « Le Discours de la servitude volontaire ou le contr’un », Les classiques des Sciences sociales.