§2 La reconnaissance par le droit

482 Le lien de subordination engendré par le contrat de travail institue un rapport de pouvoir entre l’employeur, sujet actif détenteur de pouvoirs, et le salarié, sujet passif du seul fait de son consentement au contrat. Quelle que soit la considération de l’objet du contrat de travail, la subordination s’impose alors comme une nécessité quasi-mécanique1233. Mais, parce que toutpouvoir tend à créer de l’inégalité et de l’unilatéralisme, celui-ci doit être autorisé et strictement encadré par le droit. Tel est l’objectif assigné à la reconnaissance d’un pouvoir juridique de l’employeur dans le rapport d’emploi.

D’emblée, il faut souligner que la loi ne consacre pas formellement ce pouvoir. Le terme même de pouvoir est d’ailleurs très peu présent dans le code du travail. Il est souvent déduit de certaines dispositions légales. Toutefois, la loi le reconnaît et le garantit du fait même qu’elle l’encadre, lui impose des bornes1234 et fixe des contreparties en termes de droits reconnus à tout travailleur subordonné. On peut même soutenir que seule une véritable prérogative juridique, déléguée par le législateur1235, peut être apte à justifier la formulation d’ordres ayant valeur juridique et l’édiction d’actes juridiques s’imposant au salarié1236.

483 Qui plus est, le pouvoir juridique de l’employeur apparaît original, fondé sur une figure ternaire dont l’axe principal est constitué par le pouvoir dit de direction. Or, il faut bien constater qu’aucun dispositif légal spécifique ne définit le pouvoir de direction en tant que tel. Cependant, certaines dispositions légales établissent que l’employeur est bien investi par la loi d’un pouvoir général de direction1237. Au demeurant, la notion de pouvoir de direction apparaît essentiellement une œuvre d’origine jurisprudentielle. On songe aux décisions relatives aux licenciements économiques et aux changements des conditions de travail. De façon plus originale, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est même prononcée sur l’existence, à la charge de l’employeur, d’une obligation relative à la protection juridique de son salarié dans le cadre de ses fonctions, en déduisant des termes de l’article 1135 du code civil que « l’employeur, qui est investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu’ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail » 1238 . La Cour semble ne retenir ici que le seul pouvoir juridique de l’employeur, tel que reconnu par la loi. Elle suggère, du même coup, un certain nombre de droits et obligations à la charge de l’employeur.

Du pouvoir de direction sont classiquement issus deux autres types de pouvoirs, le pouvoir réglementaire et le pouvoir disciplinaire. Mais, ceux-ci ne sont que des éléments du premier et ne font l’objet d’aucune définition explicite dans le corps des règles que le droit du travail consacre respectivement au domaine du règlement intérieur et au droit disciplinaire1239.

C’est sur les principales caractéristiques de ce pouvoir patronal singulier à l’allure tricéphale qu’il convient maintenant de porter l’analyse. Le droit envisage-t-il le pouvoir de l’employeur de façon restrictive et uniforme ou, au contraire, extensive et hétérogène ?

Notes
1233.

V. l’influence sur ce constat d’un auteur tel que T. Revet, « L’objet du contrat de travail », Dr. Soc. 1992 p 859 . « La force de travail », Litec 1992. V.aussi, A. Supiot , « Le juge et le droit du travail – Compte – rendu d’une recherche », Dr. Soc. mai 1980 p 59 et suiv. V. pour une autre orientation quant à la catégorisation du contrat de travail, M. Fabre-Magnan, « Le contrat de travail défini par son objet », Droit et Société, Le travail en perspective sous la direction de A. Supiot , LGDJ 1998 p 101 et suiv.

1234.

A.Jeammaud, M. Le Friant, A.Lyon- Caen, art. préc. « L’ordonnancement des relations de travail », p 363-364.

1235.

Comme en matière disciplinaire et réglementaire (art. L.1311-1 et suiv. du code du travail, anciens art. L.122-33 et suiv.) .

1236.

Le contrat de travail pouvant également, sous certaines conditions, conférer la faculté d’imposer sa volonté à son cocontractant, par exemple, en insérant une clause de mobilité dans le contrat de travail .

1237.

Pour illustration, la «décision du chef d’entreprise » concernant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise doit être précédée de la consultation du comité d’entreprise. V. art. L.2323-2 du code du travail (ancien art.L.431-5 al. 1). De même, on peut déduire la reconnaissance du pouvoir de direction par la loi des termes de l’article L.8221-6 du code du travail (ancien art. L.120-3 alinéa 2) ou des diverses dispositions légales qui règlent certains actes ou imposent des procédures à respecter par l’employeur.

1238.

Cass.Soc. 18/10/2006, n° 04 48612 - 2301

1239.

Ces pouvoirs sont donc généralement déduits des règles qui imposent ou encadrent certains actes de l’employeur ou obligent au respect de certaines procédures précises.