632 La démarche impose maintenant de rechercher, à travers les évolutions récentes du droit du travail, des indices d’assouplissements ou d’atténuations de la subordination qui caractérise le rapport d’emploi. Ne peut-on même déceler un mouvement d’émancipation de la volonté du salarié face au pouvoir, une capacité accrue d’autodétermination du salarié dans le champ même d’exercice du pouvoir patronal ?
Le terme « émancipation» n’est sans doute pas dénué d’ambiguïtés. Il évoque en effet une action, « celle d’affranchir ( quelqu’un ) ou de s’affranchir de la tutelle d’une autorité supérieure» 1572 . Pourtant, c’est précisément cette idée d’action -libérer ou se libérer d’une domination, d’un état de dépendance- qu’il est apparu intéressant de détecter au travers des évolutions du droit du travail. En bref, ne peut-on pas identifier, au sein de l’ordre juridique, des règles de droit contenant des dispositions œuvrant en faveur d’une volonté du salarié mise hors tutelle de l’employeur, dans l’exécution du travail ?
Traditionnellement, le droit du travail a recherché, non l’émancipation de la volonté des salariés, mais sa protection par des voies collectives. De plus, les règles d’ordre public devaient agir pour «établir les structures intangibles des rapports entre les employeurs et les salariés» 1573 ou garantir aux salariés «des normes planchers» considérées comme un minimum incompressible, sous réserve du principe dit «de faveur» d’affirmation certes incertaine 1574 et auquel la loi elle-même apporte désormais de sérieuses entorses1575. Mais, peu à peu, les dispositifs juridiques à finalité collective et protectrice n’ont plus été les seuls à être privilégiés par le droit du travail. D’autres dispositifs à vocation purement individuellefurent mis en place, même si persiste, naturellement, une coexistence inévitable et souhaitable entre les deux catégories.
633 C’est ainsi que des droits propres sont accordés aux salariés eux-mêmes qui leur permettent une certaine maîtrise dans la conduite de leur vie professionnelle et personnelle. Exercés sur initiative du salarié, en tant que travailleur subordonné, ces droits produisent des effets juridiques opposables à l’employeur. L’essor contemporain de ces prérogatives instituées en faveur du salarié mérite d’être analysé, en ce qu’il peut contribuer au mouvement d’émancipation progressive de la volonté du salarié face au pouvoir (Chapitre 1).Mais, plus sûrement sans doute, c’est l’affirmation parallèle dans le droit positif des droits fondamentaux liés à la personne du salarié qui semble accroire l’idée d’émancipation et de respect de l’homme dans le travail (Chapitre 2).
Les deux courants qui seront ici examinés offrent indubitablement aux salariés, mais de manière différenciée, de nouvelles capacités d’action volontaire au plan individuel sur le terrain d’exercice du pouvoir.
V. Définition du dictionnaire « Le Petit Robert « .
L. Rozes, « Remarques sur l’ordre public en droit du travail », Dr. Soc. 1977 p 311 et suiv.
V. à ce sujet l’article du professeur A. Jeammaud, «Le principe de faveur. Enquête sur une règle émergente » Dr. soc.1999 p 115 et suiv.
V. la loi du 4 mai 2004 relative au dialogue social et la loi du 20 aôut 2008 sur la réforme de la démocratie sociale. Cette question a fait l’objet de développements dans la première partie. Rappelons, sans y attarder toutefois, qu’il existe une dérogation « in pejus » de l’ordre public relatif ou social, sur autorisation de la loi, dans les matières expressément désignées par elle, notamment, en matière d’aménagement du temps de travail, mais désormais aussi, lorsqu’un accord collectif de niveau supérieur ne s’oppose pas de façon expresse à une dérogation par accord de niveau inférieur. Il faut souligner que la loi du 20/08/2008 a accentué ce mouvement, en particulier, en prévoyant des capacités élargies de dérogations par accord d’entreprise.