636 L’organisation de l’activité productive des salariés relève par principe du pouvoir de direction de l’employeur. Ainsi, l’instauration d’un droit d’alerte et de retrait propre à chaque salarié, en matière de sécurité, apparaît-elle comme une exception exemplaire. Exemplaire à plus d’un titre, car comme le soulignait le professeur A. Jeammaud, « cette consécration n’est pas sans signification du point de vue de la part respective des droits individuels et des droits collectifs, puisque les législateurs auraient pu préférer l’attribution, à des représentants du personnel, d’un pourvoir de stopper les machines » 1580 .Ils auraient pu mais ils ne l’ont pas fait. Ce choix n’est donc pas le fruit du hasard mais a un sens. La distribution du contre- pouvoir du haut vers le bas ne s’arrête plus au niveau des institutions représentatives du personnel mais s’étend désormais aux salariés eux-mêmes. Il importe donc de vérifier si ce dispositif juridique va effectivement dans le sens d’une émancipation de la volonté du salarié au sein de l’exercice du pouvoir de l’employeur, grâce à la neutralisation du lien de subordination (§1). On prolongera ensuite cet examen en cherchant à identifier dans le droit positif d’autres dispositifs d’alerte laissés à l’initiative du salarié, notamment concernant le fonctionnement de l’entreprise (§2). En effet, la Cour de Cassation semble avoir ouvert une telle faculté au salarié, sous certaines conditions. Plus largement, le phénomène anglo-saxon du whistleblowing fait une entrée remarquée sur la scène juridique française, développant des dispositifs d’alerte professionnelle. Une telle évolution ne va pas sans questionner les valeurs et fondements du droit du travail français. Aussi, serons-nous conduits à poser un regard critique sur l’essor des prérogatives individuelles du salarié dans l’organisation de l’activité productive. Doit-on envisager le risque « maîtrisé » d’un élargissement corrélatif de la responsabilité du salarié (§3) ?
A. Jeammaud, «La place du salarié individu dans le droit français du travail » in « le droit collectif du travail », Etudes en hommages à Madame le Professeur H. Sinay, éd. Peter Lang 1994, p 347 et suiv.