§ 2- Un droit d’alerte dans l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise ?

649 De manière assez inusitée pour être remarquable, la Chambre sociale de la Cour de cassation a eu à répondre1620, il y a quelques années déjà et pour la première fois à notre connaissance1621, à la question de savoir si un salarié pouvait « dénoncer » des agissements de son employeur lui paraissant anormaux dans le cadre de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise.

En l’occurrence, l’affaire mettait en scène une salariée qui avait décidé d’alerter l’inspecteur du travail sur les malversations, manipulations de caisse et détournements de recettes commises par l’employeur. Informé de cette démarche, ce dernier la licencie pour faute grave. Dans un attendu explicite, la Cour énonce que « le fait pour un salarié de porter à la connaissance de l’inspecteur du travail des faits concernant l’entreprise et lui paraissant anormaux, qu’ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute ». Cette situation doit bien sûr être distinguée de l’hypothèse du refus du salarié d’accomplir un ordre illicite ou illégitime commandé par l’employeur. Dans ce cas, le refus du salarié est un droit, il est justifié et ne constitue pas une faute1622. Dans l’affaire qui nous occupe, au contraire, il s’agissait d’une dénonciation, à l’initiative du salarié et en dehors de tout système organisé d’alerte professionnelle, auprès de l’administration du travail, de pratiques illégales en usage dans l’entreprise, auxquelles le salarié n’était pas mêlé par ses fonctions. Alors que les juges de fond avaient estimé qu’il ne revenait pas à un salarié d’alerter différents services extérieurs des malversations de l’employeur, en raison notamment du caractère pénal de l’affaire, la Cour prend une position diamétralement opposée.

L’argumentation développée et complétée par la suite semble dessiner une ébauche de « droit d’alerte propre au salarié » 1623 , exercé sous certaines conditionset destiné à protégerles intérêts de l’entreprise, en dehors de tout dispositif d’alerte professionnelle (A). Si on retient cette interprétation, les capacités d’action individuelle du salarié s’en trouveraient renforcées puisqu’il pourrait ainsi intervenir, à sa seule initiative et selon sa propre appréciation des faits, en vue de défendre l’intérêt et le bon fonctionnement de l’entreprise qui l’emploie. Pour autant, sur quels fondements juridiques peut-on s’appuyer pour soutenir l’idée d’un droit d’alerte du salarié dans de telles circonstances (B) ?

Notes
1620.

Cass.Soc. 14/03/2000, Dr. soc. mais 2000 p 555 et suiv. obs. J. Savatier .

1621.

Depuis cette première décision, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser sa jurisprudence (notamment Cass.soc.08/11/2006 n° 05-41.504 ; 12/07/2006 n° 04-41.075 ).

1622.

V. supra Partie II, Titre I, Chapitre I, Section 1, §2B.

1623.

A l’exclusion de toute «délation» à l’encontre de l’employeur .