669 A l’évidence, la notion de temps de travail, telle que le droit positif la conçoit aujourd’hui, a fortement évolué depuis les prémices du droit de la durée du travail1684. Celui-ci a été longtemps marqué par le sceau de l’ordre public, de la protection de la santé et de la sécurité du travailleur et de la prédominance du temps de travail commandé et contrôlé. Le droit de la durée du travail a été conçu à l’origine sous l'influence de la civilisation de l’usine « L’horaire collectif et le module hebdomadaire y sont la règle parce qu’ils correspondent aux modes pyramidaux d’organisation vulgarisés par l’entreprise fordienne »1685.
Mais l’économie et les modes de production ont subi, en particulier depuis une trentaine d’années, une mutation profonde qui a provoqué une évolution des tâches à accomplir et de leurs conditions d’exécution. Ces changements économiques ont contribué à une « hausse de l’autonomie dans l’exécution du travail. Moins machinal, le travail comprend en moyenne plus d’initiatives de la part des salariés, plus d’auto- adaptation au contexte »1686. De surcroît, pour répondre aux besoins du marché de l’emploi, le législateur est largement intervenu, aux plans national1687 et communautaire1688, en faveur de la création de flexibilités nouvelles au profit de l’employeur, accompagnées ou non d’une réduction parallèle du temps de travail.
Or, c’est bien parce que le droit positif a développé une flexibilité du temps de travail favorable aux intérêts et aux besoins de l’entreprise, que sont apparues, comme un enchaînement nécessaire, des prérogatives individuelles permettant aux salariés de manifester un choix propre dans l’organisation et l’aménagement de leur temps de travail. Quelques évolutions normatives dans ce domaine semblent bien traduire un mouvement d’affermissement de l’idée d’autonomie individuelle du salarié. Désormais, ce dernier a de plus en plus fréquemment la capacité de décider de s’écarter volontairement du modèle collectif du temps de travail.
670 Néanmoins, un tel phénomène est loin d’être homogène et le terme de « temps choisi » 1689 ne recouvre pas une réalité juridique uniforme. Il semble désigner une faculté de choix personnel posé par le salarié, qui lui permettrait ainsi une certaine maîtrise de la durée ou de la répartition de son temps de travail. Ce choix traduit-il véritablement l’exercice d’une liberté ? Plus qu’une quête d’autonomie absolue, quasi utopique, il faudra plutôt rechercher si la volonté du salarié gagne en liberté, c’est à dire si cette volonté dépend plus nettement du sujet qui l’exerce. Ceci impliquera nécessairement de mesurer le pouvoir effectif de décision du salarié face à celui de l’employeur. S’agit-il d’une réelle émancipation de la volonté du salarié, une mise hors de la tutelle de l’employeur dans l’exécution individuelle du travail ? L’hésitation est permise.
Le pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur semble d’ailleurs s’accommoder, se servir de ces nouvelles prérogatives individuelles, plus que d’en souffrir. D’abord, parce qu’il y gagne en termes d’efficacité économique,1690 ensuite parce que la loi qui a créé ces prérogatives individuelles au profit du salarié, ne laisse pas le pouvoir patronal sans capacité de réaction ni sans moyen pour utiliser à son avantage les dispositifs concernés. Au demeurant, la notion de temps « choisi » recoupe deux finalités distinctes.
671 Dans sa première manifestation, le travail à temps choisi tient lieu de réponse aux « demandes de certains travailleurs » 1691 ou à « la demande des salariés » 1692 ou, selon d’autres formulations empruntées 1693 , d’occuper un poste «à temps partiel » ou « pratiquer des horaires individualisés »,… . Cette orientation traduit majoritairement la volonté du salarié de réserver du temps à ce qu’il est convenu d’appeler sa vie personnelle, hors de l’espace du travail subordonné.
Dans sa seconde manifestation, le travail « à temps choisi » consiste pour le salarié à majorer volontairement son temps de travail. Avant d’être abrogée par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail,1694 la faculté existait pour le salarié qui le souhaitait, « en accord avec son employeur », d’effectuer « des heures choisies au-delà du contingent d’heures supplémentaires » applicable dans l’entreprise ou l’établissement, sous réserve d’une convention ou d’un accord collectif en prévoyant la faculté1695. De tels accords collectifs, s’ils ont été conclus antérieurement à la loi du 20 août 2008, demeurent toujours en vigueur.
En outre, pérennisant les dispositions de la loi du 8 février 2008 sur le pouvoir d’achat 1696 concernant les salariés sous forfait annuel en jours, le nouvel article L.3121-45 issu de la loi du 20 août 2008 énonce que «le salarié, qui le souhaite, peut en accord avec l’employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos … », même en l’absence d’accord collectif prévoyant cette possibilité. L’objectif nouveau, tel que voulu d’ailleurs par le législateur, est de permettre au salarié d’exprimer une volonté de travailler plus, au-delà des règles mises en œuvre dans le cadre de la réduction du temps de travail, pour gagner plus. Le salarié choisit donc, dans ce cas, de souscrire volontairement à plus de travail subordonné.
En définitive, une distinction assez nette semble se dessiner, entre le choix du salarié de travailler moins ou différemment (A) et celui de travailler plus(B) 1697. Autrement dit, est en cause la recherche d’un temps plus ou moins gouverné par l’exécution d’un travail subordonné.
Loi du 21 juin 1936 ( JO du 26 juin 1936 )
J. Barthélémy, «La notion de temps de travail, son évolution et sa déclinaison », La Sem. Jur. 18/10/2005 n° 17 p 9 et suiv.
E. Dockès, art. préc. « Le pouvoir dans les rapports de travail », p 620 et suiv.
Loi n° 98-461 du 13 /06/98 ( Aubry I ) Loi n°2000-37 du 19/01/2000 ( Aubry II ), Loi n°2003-47 du 17/01/2003 ( Loi Fillon ), Loi n°2005-296 du 31 mars 2005.
En particulier la directive du 23/11/93 préc.
F.Favennec-Héry , « Le temps vraiment choisi » , Dr. Soc. mars 2000 p 295 et suiv.
V. notamment E.Dockès, art.préc.« Le pouvoir dans les rapports de travail », p 620 et suiv.
Art. L.3122-23 du code du travail (ancien art. L.212-4-1) concernant les horaires individualisés.
Telle que la formulation suivante :« salariés …qui souhaitent ». V.art.L.3123-2 du code du travail (ancien art. L.212-4-2 ) concernant le travail à temps partiel.
Art.L.3123-8 du code du travail (ancien art.L.212-4-9 al 1) s’agissant d’occuper ou reprendre un poste à temps complet ou à temps partiel.
Loi n°2008-789 du 20/08/2008 ( JO du 21/08/2008).
Art.L.3121-17 du code du travail (issu de la loi du 31 mars 2005, ancien art.L.212-6-1 )
Loi n°2008-111 du 08/02/2008 sur le pouvoir d’achat (JO du 09/02/2008). Au titre de ce dispositif légal, le salarié peut renoncer à tout ou partie de ses jours de repos au titre de la réduction du temps de travail (JRTT) acquis au 31 décembre 2009 en contrepartie d’une majoration de salaire au moins égale à celle de la première heure supplémentaire applicable dans l’entreprise
B.Gauriau, « Les heures choisies.Commentaires de l’article L.212-6-1 nouveau du code du travail », La Sem. Jur. 12/07/2005 n°3 p 9 et suiv.