§ 2-Le temps de formation choisi par le salarié

681 Les besoins d’une économie mondialisée, le développement des nouvelles technologies et l’évolution de plus en plus rapide des techniques et des connaissances ont accru non seulement les exigences de productivité des salariés, mais aussi la nécessité d’une adaptation constante des compétences des travailleurs. Par ailleurs, la montée du chômage pose inévitablement la question de l’ajustement entre les qualifications des demandeurs d’emploi et celles qui sont recherchées par les entreprises.

Ainsi, depuis une vingtaine d’années, la formation professionnelle a été présentée comme un véritable outil de compétitivité de l’entreprise, un investissement humain et économique incontournable. Toutefois, le diagnostic n’a pas été à la hauteur des attentes et s’est révélé, en définitive, quelque peu alarmiste: pénurie de qualifications, hétérogénéité d’accès à la formation professionnelle notamment pour les salariés les moins qualifiés et les salariés des PME, inégale « appétence » des salariés à la formation… A tel point que la dernière réforme du droit de la formation professionnelle se donne pour objectif non seulement de renforcer l’intérêt stratégique de la formation professionnelle mais également de la porter en enjeu de société.

682 Reste que le caractère même de la formation professionnelle a aussi changé. Instrument à vocation collective, la prise en compte des intérêts des salariés en matière de formationprofessionnelle s’est essentiellement inscrite dans le cadre de la négociation collective1712, alliée aux normes étatiques 1713 et aux procédures de consultation des représentants élus du personnel. La vocation collective de la formation professionnelle sollicitait principalement et directement l’employeur, l’incitant à former son personnel. Désormais, la tendance semble sinon s’inverser, à tout le moins se déhiérarchiser. Depuis quelques années déjà, on admet par exemple que si l’employeur a l’obligation légale d’adapter ses salariés à l’évolution de leur emploi 1714 et doit leur donner les moyens de s’adapter, compte-tenu des nouvelles contraintes techniques et économiques, le salarié doit fournir également de son côté l’effort nécessaire pour s’adapter aux évolutions de son emploi1715. Certains auteurs ont souligné, à cet égard, qu’il est désormais de la responsabilité du salarié de se former afin de se maintenir dans son emploi1716.

683 Ainsi, le dernier dispositif de la formation professionnelle1717 qui fait l’objet d’une renégociation complémentaire1718, présente-t-il une physionomie nettement individuelle. Il s’agit d’inciter les salariés à utiliser leur droit à se former et à entrer dans une logique de formation intégrée dans la vie professionnelle et personnelle1719. Non seulement cette réforme modifie la formation professionnelle mais encore elle tend à réviser des pans entiers du droit du travail1720, autour de nouveaux concepts.

Pour les salariés, le nouveau dispositif cristallise en quelque sorte leur aptitude à l’emploi, c’est à dire leur capacité individuelle à le conserver ou à en changer. On a pu ainsi parler « d’employabilité »  du salarié1721, terme transformé ensuite en «  capacité d’insertion professionnelle » 1722 , pour aboutir enfin au dernier concept, celui de « professionnalisation » par la mise en œuvre de dispositifs d’accès des salariés à la formation « tout au long de leur vie professionnelle », afin de construire « leur parcours professionnel ». L’implication du salarié dans l’initiative et la mise en œuvre des actions de formation apparaît croissante. Celui-ci est de plus en plus considéré comme maître et responsable de sa formation1723. Dès lors, doit-il savoir s’adapter à son emploi 1724, être acteur de son propre changement, en devenant en quelque sorte gestionnaire de sa formation1725.

684 Qui plus est, ce mouvement d’individualisation du droit de la formation se double d’un accroissement des droits propres reconnus à chaque salarié. C’est cet aspect qui, seul, retiendra ici l’attention, dans la mesure où il peut suggérer une prise en compte de la volonté du salarié. Certes, l’individualisation du droit de la formation professionnelle traduit un élargissement des possibilités offertes par le droit objectif aux pratiques de gestion individualisée de la formation1726, de singularisation1727, voire de contractualisation1728. Mais constitue-t-elle aussi un facteur d’émancipation de la volonté du salarié dans l’exécution de son travail ?

On sait que le salarié peut être directement l’initiateur d’une action de formation et solliciter l’employeur afin d’intégrer sa demande individuelle dans le plan de formation de l’entreprise, l’employeur demeurant cependant libre d’accepter ou non cette proposition. Mais surtout, il a la possibilité, dans le cadre du congé individuel de formation (CIF), de suivre, au cours de sa vie professionnelle, « à son initiative et à titre individuel », des actions de formation (A), ce indépendamment des stages compris dans le plan de formation de l’entreprise où il exerce son activité1729. Par ailleurs, de nouveaux droits, tel que le droit individuel à la formation, sont apparus (B).

Notes
1712.

Notamment la négociation collective interprofessionnelle. V. l’accord interprofessionnel du 9 juillet 1970, l’accord interprofessionnel du 5 décembre 2003 modifié par avenants n° 1 et 2 du 8 juillet 2004 (à l’origine de la loi du 4 mai 2004 sur la formation tout au long de la vie professionnelle et le dialogue socia)l. Un nouvel accord national interprofessionnel sur le développement de la formation a été signé le 7 janvier 2009.

1713.

Ces normes se retrouvent dans le Préambule de la Constitution de 1946 repris par la Constitution de 1958, la loi du 3 décembre 1966, celle du 3 juillet 1971, enfin laloi du 4 mai 2004.

1714.

Au titre de l’article L.6321-1 du code du travail (ancien art. L.930-1 al.1) et plus spécifiquement, avant de procéder à tout licenciement économique (art L.1233-4 remplaçant l’ancien article L. 321-1 al.3 du code du travail).

1715.

Le refus du salarié de suivre une formation d’adaptation peut, en effet, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. Soc . 22/10/91). On retrouve ici l’idée de réciprocité de l’adaptation s’appuyant sur le principe de l’exécution de bonne foi du contrat de travail. Il y a une « bilatérisation » de l’article 1134 alinéa 3 du code civil ,selon l’expressiondu professeur A . Jeammaud. L’adaptation exige un effort mutuel( B. Lardy- Pelissier « Réflexions sur le reclassement », Colloque AFDT, 15/03/99 Vers un droit du reclassement, Liais. Soc. n°90/99du 19/10/99). Si l’employeur a un devoir d’adaptation à l’égard du salarié, il pèse sur le salarié la responsabilité de s’adapter aux évolutions de son emploi et de faire les efforts nécessaires à cet effet. A telle enseigne que l’incapacité avérée du salarié à s’adapter, malgré les efforts d’adaptation tentés par l’employeur, peut justifier un licenciement (Cass.Soc. 09/07/1997, Bull.civ. V n° 262) .

1716.

N. Maggi- Germain, « A propos de l’individualisation de la formation professionnelle continue », Dr.Soc.1999, p 692 et suiv. F. Meyer- C. Sachs- Durand, art. préc. « L’évolution du rapport salarial »,p 369.

1717.

V. Accord national interprofessionnel sur l’accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle, signé le 20 /09/2003 ( Liais. Soc. O9/10/2003 n° 8415 ) et la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 (JO du 05/05/2004 ).

1718.

Un accord national interprofessionnel sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels, a été signé le 7 janvier 2009 ( Liais.Soc. 03/03/2009, n°48/2009). Il a été suivi par la Loi n°2009-1437 du 24/11/2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie ( JO du 25/11/09).

1719.

En particulier par des actions de formation effectuées hors temps de travail.

1720.

On peut, en effet, se demander si une obligation contractuelle nouvelle d’ « employabilité » n’est pas mise à la charge du salarié.

1721.

V. M. Y Chassard et A.Bosco, «  L’émergence du concept d’employabilité », Dr. Soc. 1998 p 903 et suiv. Les auteurs rappellent l’origine controversée du mot employabilité, tiré d’un terme anglo-saxon, l’employabilité des salariés contenant intrinsèquement une connotation d’exclusion.

1722.

Ce terme est utilisé, notamment dans les conclusions du Conseil Européen de Cardiff (15 –16 juin 1996) . V. M.Y Chassard et A. Bosco, art.préc. «  L’émergence du concept d’employabilité », p 903 et suiv.

1723.

N. Maggi-Germain, art. préc. « A propos de l’individualisation de la formation professionnelle continue »,p 692 et suiv.

1724.

A. Lyon-Caen, « Le droit et la gestion des compétences », Dr. Soc. 1992 p 573 et suiv.

1725.

V. en ce sens, le rappel des partenaires sociaux dans l’article 7 de l’accord interprofessionnel du 8 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail : « Articulée avec la GPEC, [la formation] doit permettre à chaque salarié d’être en mesure de développer, de compléter ou de renouveler sa qualification, ses connaissances, ses compétences et ses aptitudes, en participant à des actions de formation réalisées dans les conditions définies par l’accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003 ».V.aussi l’accord interprofessionnel du 14 novembre 2008 sur la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), notamment l’article 1-2 qui énonce que « [le diagnostic individuel] doit permettre aux salariés d’être acteurs de leur déroulement de carrière, favoriser leur engagement dans le développement de leurs compétences et de leur qualification et leur donner des outils susceptibles de les aider dans la construction de leur parcours professionnel ».

1726.

P. Adam, thèse préc. « L’individualisation du droit du travail », p 302 et suiv.

1727.

C.Mathieu, C.Nicod, « L’individu confronté à l’organisation collective du travail », colloque préc. « Le singulier en droit du travail ».

1728.

N. Maggi- Germain art. préc. « A propos de l’individualisation de la formation professionnelle continue », p 692 et suiv.

1729.

V. art. L.6321-2 et suiv.du code du travail (ancien article L.932-1).