736 Les nouvelles perspectives d’actions du salarié au plan individuel ne détruisent pas, loin s’en faut, l’expression de la volonté individuelle au plan collectif. On le sait, le salarié n’est pas seulement placé dans une situation contractuelle et individuelle, il fait partie également d’une collectivité, source d’un intérêt collectif distinct de l’intérêt individuel1869.
L’approche collective empruntée historiquement par le droit du travail s’est d’abord imposée pour assurer une protection et une sûreté physique1870des salariés qui auraient été fort improbables dans le cadre du rapport individuel de travail. La crédibilité du dispositif protecteur initié par l’Etat s’est ensuite affermie par une opération visant à équilibrer les forces en présence. D’où la nécessité de favoriser la reconnaissance d’acteurs sociaux aptes à opérer par leurs pressions les corrections indispensables, et titulaires de droits définis collectivement qui viennent conforter, voire fonder des droits individuels. Il s’agit de rendre au salarié au plan collectif l’autonomie dont celui-ci est privé au plan individuel1871.
De ce point de vue, le renforcement des droits permettant la représentation et l’action collective n’a pas eu pour corollaire un abandon par les salariés de leurs droits propres. Au contraire, les différentes institutions, les droits et libertés contribuant à la réalisation de la défense des intérêts collectifs des salariés ont toujours été conciliés avec une appréciation stricte de la liberté individuelle ; l’individu a toujours gardé la primauté 1872. Les mécanismes de représentation n’annihilent pas la possibilité d’agir individuellement. L’organisation de la défense des intérêts collectifs des salariés a pu même être présentée comme une voie vers l’accession à la parole de l’individu1873.
737 En outre, les salariés sont toujours restés libres de participer ou non aux actions collectives. Malgré leur rattachement aux modes d’expression et de représentation des intérêts collectifs des salariés, la liberté syndicale et le droit de grève sont reconnus individuellement à chaque travailleur. Ils relèvent ou participent d’une des catégories les plus originales du droit du travail, celle des droits individuels s’exerçant collectivement, des droits individuels s’exerçant dans l’action collective (Chapitre 1). Se posent alors non seulement la question du rôle de la volonté individuelle du salarié dans l’exercice de ces droits mais aussi celle de l’équilibre entre l’individuel et le collectif, entre la liberté individuelle et la solidarité collective.
Si la reconnaissance, déjà ancienne, de droits individuels s’exerçant dans l’action collective, fournit un premier cadre commun pouvant être investi par les salariés, dans le respect du libre arbitre de chacun, on observe également un renforcement contemporain des prérogatives du salarié, membre du groupe (Chapitre II). Le sens du collectif et les vertus de la représentation indirecte apparaissent ainsi de plus en plus concurrencées par l’aspiration à la démocratie directe1874. Cette évolution, qui encourage l’expression d’une volonté individuelle, risque aussi de transformer la nature des rapports collectifs de travail. Dès lors, la question est de cerner les enjeux et perspectives de conciliation entre la logique individuelle et la logique collective, pour tenter d’enrayer la crise parfois annoncée de la dimension collective du droit du travail1875.
Même s’il existe bien évidemment un lien de communauté entre eux
J. Le Goff , ouv.préc. « Du silence à la parole ».
A. Supiot, « Critique du droit du travail », PUF 1994, p 139.
C. Mathieu, C.Nicod , art. préc. « Lindividu confronté à l’organisation collective du travail ».
J.Le Goff “Du silence à la parole.Une histoire du droit du travail”, PU de Rennes, 2004.
J. Le Goff, « Les lois Aubry , 20 ans après », Dr. Soc. juillet-août 2003 p 703 et suiv.
V. notamment G. Spyropoulos, « Le droit du travail à la recherche de nouveaux objectifs », Dr. Soc. avril 2002 p 391 et suiv.