§ 2- La liberté de ne pas ou ne plus adhérer à un syndicat

742 Le droit du travail français s’est efforcé, depuis la loi du 22 mars 1884, de garantir la liberté individuelle des salariés de ne pas adhérer à un syndicat. D’abord implicitement admise, la liberté de ne pas adhérer à un groupement syndical a été officiellement reconnue par le Conseil Constitutionnel et les instances européennes1888.

La liberté syndicale, à l’instar de toute autre liberté, repose essentiellement sur l’autonomie de détermination de son titulaire et l’appréciation de l’opportunité de son exercice : adhérer ou non à un syndicat, être libre de s’en retirer à tout moment. Mais, à la différence de la liberté syndicale positive (liberté d’adhérer au syndicat de son choix), la liberté syndicale négative n’est pas seulement une protection contre l’employeur, elle protège aussi contre le collectif. Préservant l’indépendance de chacun, elle met l’individu à l’abri des tendances hégémoniques et « impérialistes » du groupement1889. Elle est donc doublement protégée tant à l’égard du pouvoir de l’employeur que des syndicats eux-mêmes1890. Le salarié est appréhendé comme un sujet de droit libre. Cette conception donne sans doute plus à contempler un individualisme prononcé qu’un esprit de solidarité collective.

743 Pourtant, si on considère la liberté d’adhérer ou non à un syndicat comme l’expression d’une volonté ou d’un refus d’engagement individuel, force est d’admettre qu’elle ne peut procéder que d’un choix propre et non d’une stipulation impérative qui en altérerait la nature. Certes, il a été souligné1891 qu’à trop insister sur le respect de la liberté individuelle, on risque aussi parfois de contribuer à un syndicalisme faible, impuissant ou inefficace. Mais le même auteur précise fort justement qu’« à trop insister sur la nécessité d’un syndicalisme fort et la prééminence de l’intérêt collectif, on risque de sacrifier les individus et certaines de leurs libertés fondamentales ». En réalité, plutôt que de mettre l’accent sur la montée d’un individualisme, dévalorisant les engagements collectifs, peut-être serait-il plus pertinent de s’interroger sur les modes de fonctionnement du syndicalisme1892. Sans doute, faut-il aussi garder à l’esprit que la valeur d’une liberté individuelle ne peut pleinement s’exercer que dans la liberté du vouloir du sujet et dans les garanties qu’on lui accorde.

744 Libre de n’adhérer à aucun syndicat, le salarié est tout autant libre de s’en retirer à tout moment1893, voire d’en changer1894, aucune clause conventionnelle1895ne pouvant venir limiter cette faculté. Ainsi, toute clause soumettant la démission à des contraintes spécifiques 1896 ou à une acceptation préalable des instances dirigeantes, porterait une atteinte non justifiée à cette liberté et serait nulle de plein droit. En principe, le retrait d’adhésion n’est soumis à aucune formalité particulière, sauf précision prévue par les textes statutaires. Le salarié doit manifester clairement et librement sa volonté de rompre tous liens avec le syndicat1897.

745 On le voit, la liberté syndicale, dans son aspect individuel, recouvre plusieurs aspects qui sollicitent directement et nécessairement la volonté individuelle du salarié. Un choix est exprimé en propre par chaque salarié, celui d’adhérer à tel ou tel syndicat, de ne pas adhérer à un syndicat ou de s’en retirer quand il le souhaite. Acquise en dehors de toute condition, la liberté syndicale s’appuie largement sur la volonté individuelle du salarié de s’engager ou non dans les enjeux de l’action collective et de la défense des intérêts collectifs. Elle est une prérogative protégée par le droit, laissant toute initiative à l’intéressé d’accéder ou ne pas accéder à ce mode d’association volontaire qu’est le syndicat professionnel. En ce sens, la volonté du salarié trouve, dans l’exercice de la liberté syndicale, une place originale où se mêlent pouvoir de décision et capacité d’engagement dans l’action collective.

Vient-elle également se loger au cœur de la conception française du droit de grève ?

Notes
1888.

V. Conseil Constitutionnel 19 et 20 juillet 1983, 83-163 DC Rec. p 49. CEDH 25 avril 1996, D.1997, 363 note Marguénaud et Mouly. Sur le plan international, la liberté syndicale négative n’a pas été explicitement mentionnée dans les conventions de l’OIT.

1889.

J-M. Verdier, « Syndicats et droit syndical », Traité de droit du travail sous la direction de G-H.Camerlynck, D. 1987.

1890.

En ce sens, v. notamment les art. L.2141-6 et suiv. du code du travail. De même, l’article L.2142-6 du code du travail (issu de la loi du 4 mai 2004) prévoit notamment que la diffusion de tracts syndicaux via l’intranet de l’entreprise, organisée par accord collectif, doit préciser « les conditions d’accès des organisations syndicales et les règles techniques visant à préserver la liberté de choix des salariés d’accepter ou de refuser un message ».

1891.

P. Adam , thèse précitée.

1892.

V. D.Andolfatto  « Syndicalisme et individualisme », Ceras -revue Projet n°271, septembre 2002. L’auteur relève aussi d’autres facteurs du déclin, endogènes aux organisations : extinction du militantisme, principe industriel, politisation. Dans une étude commandée par la DARES en 2007, D.Andolfatto et D. Labbé soulignent le faible taux de syndicalisation en France (7,2%) même si un ralentissement du phénomène est enregistré. Cette étude confirme une étude précédente de la DARES (avril 2007, n°14-2 Premières synthèses Informations) qui titrait « Présence syndicale : des implantations en hausse, une confiance des salariés qui ne débouchent pas sur des adhésions ». La liberté syndicale stipule un mode d’association volontaire fondée sur la force de l’engagement individuel, ce qui implique la capacité du groupement à fédérer autour d’un objectif commun et collectif.

1893.

V. art L.2141-3 du code du travail (ancien L.411-8).

1894.

Selon l’étude précitée, les syndicats continueraient à perdre des adhérents et subiraient un « zapping syndical », c’est à dire des migrations de syndiqués et même de militants entre les organisations.

1895.

V. Cass. Soc . 23/06/88, Bull.civ.1988 V n° 394. Par ailleurs, l’article L.2141-3 précise expressément « tout membre d’un syndicat professionnel peut s’en retirer à tout moment, même en présence d’une clause contraire ».

1896.

Par exemple, la mise en œuvre d’une clause de non concurrence. V. Cass.Soc. 23/06/88 arrêt préc.

1897.

Sans préjudice du droit pour le syndicat de réclamer la cotisation afférente aux 6 mois qui suivent le retrait d’adhésion ( art.L.2141-3 al 2 du code du travail).