Section 2 : Volonté et exercice du droit de grève

746 Moyen de défense et de revendication collectives, la grève fut longtemps prohibée1898 et sanctionnée pénalement1899, pour des raisons essentiellement politiques et économiques. La reconnaissance du droit de grève est finalement récente puisqu’elle n’est assurée que depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.1900 Le droit de grève, selon l’approche juridique française, est un droit individuel dont l’exercice est collectif1901. Cette conception traduit l’influence libérale et individualiste du droit français, opposé à un modèle organique, autoritaire de la grève, qui conférerait au syndicat la titularité du droit de grève. Principe de valeur constitutionnelle, « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent» 1902 . Eu égard à la nature particulière d’un tel droit, le législateur est donc seul habilité à tracer des limites à son exercice « en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut par nature porter atteinte… » 1903.

747 La titularité individuelle 1904du droit de grève reconnaît pleinement la liberté de chaque salarié de décider personnellement de participer ou non à la grève. L’exercice collectif de ce droit individuel se justifie au regard des critères constitutifs de la grève, voire par l’histoire sociale des conflits collectifs. Selon la construction jurisprudentielle, la grève est juridiquement définie comme « la cessation collective et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles »  1905 . Il en résulte une figure originale de la grève qui allie volonté individuelle de faire grève et concertation en vue d’une action collective commune. La mise en lumière de cette association exige d’abord de vérifier que la titularité individuelle du droit de grève conforte le rôle de la volonté individuelle, la cessation collective et concertée du travail procèdant toujours de la décision personnelle de chaque salarié de participer ou non à celle-ci (§1). Ensuite, il conviendra de s’interroger sur les effets de cette titularité individuelle, en s’attachant aux manifestations de volonté individuelle d’entrer ou non en grève ainsi qu’à l’articulation du collectif et de l’individuel dans le processus de la grève (§2).

Notes
1898.

V. notamment, la loi Le Chapelier des 14-17 juin 1791.

1899.

Le code pénal de 1810 prévoyait l’application de peines correctionnelles pour les coalitions ouvrières. La loi du 25 mai 1864 abrogea finalement le délit de coalition. Mais si la grève n’était plus en soi pénalement sanctionnable, elle ne constituait pas encore un droit. A noter que la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels ne réglait pas spécifiquement la question de la grève.

1900.

Alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel la Constitution du 4 octobre 1958 fait expressément référence.

1901.

Le droit est accordé à chacun et reconnu constitutionnellement (Conseil d’Etat 07/07/1970, D.1950, jurisprudence p 538, Dr. Soc. 1950 p 317 ; Cass.Soc. 25/04/1952, Bull.civ. IV n°341)

1902.

Jusqu’à ce jour, le législateur n’avait organisé ce droit que dans le secteur public. Récemment, celui-ci a franchi une autre étape en organisant le dialogue social et la continuité du service public des transports terrestres réguliers de voyageurs, voir Loi n°2007-1224 du 21 août 2007 ( JO du 22/08/2007).

1903.

V. notamment la décision n°2007-556DC du 16 août 2007 (JO du 22/08/2007) rendue par le Conseil constitutionnel. A cette occasion, le Conseil a déclaré les articles 2 à 6 et 9 de la loi du 21 août 2007 conformes à la Constitution.

1904.

A. Jeammaud,M. Le Friant,A.Lyon-Caen , art. préc. « L’ordonnancement des relations de travail ». p 359 et suiv.

1905.

Notamment Cass. Soc. 18/01/95, Dr. Soc. 1995 p 183. Cass. Soc. 18/06/96, RJS 8-9/1996 n° 970. On notera que certains auteurs ont parfois précisé (J. Frossard «  Les obstacles juridiques au déclenchement des grèves », Dr. Soc. 1988 p 630 et suiv. )« des revendications professionnelles déjà déterminées auxquelles l’employeur refuse de donner satisfaction »