I/ Activité cognitive du conducteur automobile

L’objet de ce chapitre est de mieux comprendre l’activité cognitive du conducteur ainsi que les interactions qui existent entre les divers processus cognitifs mis en jeux. Il s’agit de déterminer comment, lors d’un trajet, un conducteur gère l’ensemble des informations qui se présentent à lui. Comment il effectue une sélection parmi toutes ces informations. Le traitement d’une information est-il effectué de la même manière par un conducteur novice et par un conducteur expérimenté ? Les différences observées au niveau opératoire entre les conducteurs novices et les conducteurs expérimentés influencent-elles la gestion des changements de l’environnement ?

Ces interrogations nous amèneront à expliciter l’action des principaux mécanismes cognitifs et à développer la manière dont ils sont mis en jeu dans le domaine de la conduite automobile. Il s’agira plus spécifiquement de comprendre comment l’attention est mobilisée et comment le niveau de familiarité avec une tâche influence l’efficacité des processus attentionnels. Nous nous interrogerons sur les processus mis en place en fonction des situations et surtout comment ils évoluent en fonction de l’expérience du conducteur. Nous verrons pourquoi la construction d’un modèle mental de la situation de conduite est importante pour le conducteur. Nous ferons ainsi référence au modèle de Mica Endsley (1991, 1995) et nous mettrons en évidence le fait qu’un défaut d’attention peut engendrer un défaut dans les mécanismes d’anticipation. Ce chapitre s’achèvera en montrant de quelle manière les informations sont traitées. Nous expliciterons les étapes du traitement de l’information ainsi que l’influence qu’exercent les processus attentionnels sur chacune d’entre elles. Comment s’effectue le passage d’une étape à l’autre et comment la familiarité d’une tâche à effectuer et/ou de l’environnement favorise la rapidité du traitement des informations pour aboutir à une prise de décision adéquate.

En premier lieu, il convient d’évoquer le modèle de Michon (1985) qui décrit l’activité de conduite et en donne une analyse globale caractérisée par trois niveaux hiérarchiques de prises de décision. La navigation et la planification de l’itinéraire correspondent au premier niveau, le niveau stratégique. L’itinéraire sera choisi en prenant en compte l’ensemble des fluctuations de l’environnement : les situations potentiellement dangereuses, les chemins les plus rapides, les conditions climatiques, les éventuels embouteillages, les déviations et travaux ainsi que le temps disponible pour effectuer le trajet. Les tâches annexes, telle que le remplissage du réservoir d’essence, sont également incluses dans ce niveau. Le second niveau correspond aux actions effectuées à des instants précis du trajet (Bellet, et al., 2003). C’est le niveau tactique au travers duquel la conscience de la situation tient un rôle important afin de pouvoir adopter des comportements anticipatoires (Van Zomeren et al. 1988). A ce niveau, les prises de décision requièrent un contrôle cognitif permettant la sélection des informations, la rapidité du traitement et l’adaptation du comportement de conduite vers les buts choisis. Par exemple, lorsqu’un conducteur envisage un dépassement, il perçoit les informations relatives au trafic, les intègre et adapte son comportement de conduite en conséquence. Il régulera sa vitesse et respectera les distances inter-véhiculaires. Le dernier niveau, le niveau opérationnel, réfère à l’application directe des décisions prises précédemment. Il correspond à la réalisation des sous-tâches de l’activité de conduite ainsi qu’aux réactions aux événements imprévus susceptibles d’occasionner un accident. Les tâches élémentaires telles que les actions sur les pédales ou la tenue du volant doivent pouvoir être exécutées de façon automatique. L’efficacité de ce niveau dépend de l’expérience des conducteurs.

L’efficacité et la fluidité de l’enchaînement d’un niveau à l’autre dépendent de la répartition des ressources attentionnelles. Plus le degré d’automatisation au niveau opérationnel sera élevé, plus la quantité de ressources attentionnelles libérée sera importante et disponible pour le niveau tactique qui requiert notamment une recherche d’informations active et des prises de décisions.