1-1-3/ Processus automatiques vs processus contrôlés

Norman et Bobrow (1975) ont introduit la notion d’automatisme ou d’automatisation pour expliquer les effets de la pratique sur les performances d’un individu. Cette notion renvoie au phénomène selon lequel la pratique d’une activité favorise le développement des processus automatiques. Le système cognitif deviendrait plus performant avec l’apprentissage et cela se traduirait, entre autres, par un besoin moindre en ressources cognitives dû à l’automatisation de certains traitements (Chanquoy et al. 2007). Les travaux de Schneider et Schiffrin (1977), fondamentaux dans le domaine de l’attention, reprennent cette idée et postulent que la pratique prolongée d’une activité peut conduire au développement de processus automatisés qui vont considérablement alléger la demande attentionnelle.

Dans le domaine de la conduite automobile, cette théorie permet également d’expliquer l’acquisition des compétences. En effet, plus l’expérience de conduite augmente et plus la tâche de conduite est facile. La pratique confère les habiletés nécessaires à la réalisation automatique des sous-tâches sensori-motrices fondamentales à l’activité de conduite. L’automatisation de ces sous-tâches permet une rapidité de traitement en un minimum d’effort. Le conducteur peut gérer simultanément plusieurs sous-tâches avec un recours moindre à ses ressources attentionnelles. L’activité de conduite devient alors plus sûre et moins coûteuse en attention. Une aisance qui octroie au conducteur du temps pour faire correctement face aux situations rencontrées. Toutefois, lorsque les situations sont nouvelles et que les processus automatiques ne suffisent pas, c'est-à-dire que leur mise en jeu ne correspond pas à la situation ou que le sujet a des difficultés à les mettre en place, l’individu doit exercer un contrôle cognitif pour mener à bien la tâche envisagée. Schneider et Shiffrin (1977) ont ainsi mis en avant quatre principales différences entre processus automatiques et processus contrôlés (tableau 1).

Tableau 1: Principales caractéristiques des traitements automatiques et contrôlés
Tableau 1: Principales caractéristiques des traitements automatiques et contrôlés

Source : Production propre à partir de Chanquoy et al. (2007)

Les processus automatiques sont mis en place involontairement et une fois installé ils sont irrévocables. Il est difficile voire impossible de les supprimer. Ils restent inchangés quelle que soit la situation. Ils n’interfèrent avec aucune activité mentale et laissent intactes les capacités mentales (Schneider & Schiffrin, 1977). Un traitement contrôlé, quant à lui, se met en place lentement puis se déroule de manière sérielle. Ce type de processus exige un effort cognitif et est limité par la capacité centrale du système de traitement. Aussi, lorsque la tâche à réaliser se complexifie et/ou lorsqu’elle nécessite une rapidité d’exécution, les performances se détériorent et la précision diminue. Dans ce cas, l’automatisation peut apporter un avantage particulier lors de situations complexes (Schneider et al. 1984). En effet, les ressources libérées par l’automatisation peuvent entièrement être affectées aux processus contrôlés. De cette manière, il n’y aura moins de concurrence pour les informations à traiter. C’est ainsi que les processus contrôlés, nécessaires aux sous-tâches cognitives de l’activité de conduite, peuvent avoir une qualité de traitement optimale. Ainsi, plus les sous-tâches sont automatisées, plus la répartition des ressources attentionnelles est susceptible d’être adaptée aux situations rencontrées. Aussi, dans un environnement non familier, les automatismes seuls ne sont pas suffisants. La mise en place des processus contrôlés est importante puisque c’est par son intermédiaire qu’est comprise la situation et qu’une réaction adéquate à l’évolution de l’environnement peut avoir lieu.

Durant un trajet, le recours à ces processus évolue en fonction de la familiarité du conducteur avec les sous-tâches de conduite. Par exemple, l’action sur les commandes du véhicule sera effectuée le plus souvent de façon automatique et demandera peu de ressources attentionnelles à un conducteur expérimenté. A l’inverse un conducteur novice exercera un contrôle cognitif pour passer correctement ses rapports de vitesse. A ce sujet, Perruchet (1988) précisait que « l’activité de conduite est une habileté cognitive acquise avec l’expérience où l’on distingue à la fois une composante automatisée, telle que la gestion des commandes et une composante plus attentionnelle telle que l’analyse de la situation ».

La théorie des exemplaires « Instance theory » de Logan (1988) postule que le développement des automatismes provient de l’accumulation d’éléments spécifiques à une tâche / situation donnée au travers de l’apprentissage. L’automatisation serait « un phénomène construit comme l’acquisition d’une base de connaissances spécifiques à un domaine, dans laquelle des représentations séparées se formeraient à chaque nouvelle exposition à une même tâche. Un traitement serait automatique s’il est reliée à la récupération des représentations stockées, n’apparaissant qu’après un certain niveau de pratique » (Chanquoy et al. 2007). Selon la théorie de Logan (1988), il n’y a pas d’exemple de situations généralisées mais des exemplaires de chaque situation seraient stockés en mémoire. Les réponses répétées pour une même stimulation permettraient à l’individu de stocker un ensemble considérable de connaissances sur cette stimulation (façon de la traiter, réponse à apporter, etc). Cette connaissance, stockée en mémoire à long terme, permettrait la généralisation de certains automatismes. L’automatisation correspondrait à la récupération directe de données en mémoire. « Les performances deviennent automatiques quand elles se basent sur un accès direct aux solutions stockées pour résoudre un problème » (Chanquoy & Negro, 2004; Logan, 1988). Les performances liées à un processus automatique correspondent à des éléments spécifiques dans la mémoire, tandis que les performances non automatiques sont basées sur des règles procédurales. Quand on développe des processus automatiques, certaines règles explicites de traitement sont progressivement abandonnées et le conducteur fait de plus en plus référence à des exemples connus pour traiter les données. Les automatismes correspondent ainsi à des schémas d’activation précédemment mis en jeu lors du traitement d’une information semblable. Aussi, pour une tâche donnée, la mise en place de ces processus diffèrera selon le degré d’apprentissage du conducteur. La rapidité du traitement sera dépendante notamment du niveau de construction de ses modèles mentaux.

Après la pratique prolongée d’une tâche donnée, une réponse appropriée est conservée en mémoire et récupérée automatiquement lorsque la tâche se présente de nouveau. La rapidité de traitement, souvent mise en avant est, dans ce cas, expliquée par le fait que l’individu récupère une solution prête en mémoire. Ces traitements sont considérés comme étant inconscients car il n’y a pas de traitement entre le stimulus et la réponse appropriée. La pratique augmente la quantité et la vitesse de récupération des instances. L’automatisation réduit ainsi la charge de travail, car le traitement se ferait sans effort conscient (Chandler & Sweller, 1996).

Ainsi, pour un novice, chaque situation est nouvelle et demande davantage de ressources attentionnelles. Les conducteurs novices n’ont pas encore construit de représentations et d’images mentales en raison de la faible quantité de situations précédemment rencontrées. C’est au cours d’un processus complexe d’acquisition que se sont apprises les principales caractéristiques de la tâche. Il s’agit, entre autres de la prise et de l’encodage de l’information, de la sélection et de l’exécution de la réponse. Ainsi, la performance des experts diffère de celle des novices par une plus grande vitesse et une plus grande précision, un développement plus important d’automatismes.