1-2-3-2/ Modèle de conscience de la situation de Mica Endsley

Le modèle de conscience de la situation (Endsley, 1988, 1991, 1995) est représenté comme un modèle mental interne basé sur la représentation de l’environnement. Ce modèle a tout d’abord été introduit et développé lors de recherches portant sur des pilotes d’avion. Par la suite, ce modèle a été étendu à différents domaines tels que l’éducation, les prévisions météorologiques ou encore l’activité de conduite (Endsley, 2000). A cet effet, Endsley (1988) décrit la conscience de la situation comme « la perception d’éléments dans l’environnement avec un volume de temps et d’espace, la compréhension de leur signification et la projection de leur états dans un futurs proches » (Endsley, 1988). La conscience de la situation fait ainsi référence aux connaissances dont le sujet dispose sur l’environnement, qu’il soit dynamique ou non. En d’autres termes, la conscience de la situation, c’est savoir ce qu’il se passe et ce qu’il se passera autour de nous (Endsley, 1991, 2000).

Ainsi, quelle est spécifiquement l’action de la conscience de la situation lors de la gestion d’une situation ? Tout d’abord, la manière dont les informations sont présentées détermine la manière dont la situation sera traitée. C’est en fonction de la situation rencontrée, que l’adoption d’un modèle mental approprié sera effectuée afin de sélectionner des stratégies adéquates (Endsley, 1995). Il n’y a pas de modèle mental standard auquel on peut se référer quelle que soit la situation. C’est pour cette raison que des problèmes différents induiront une intégration différente de l’information. En effet, la manière dont un individu caractérise une situation et regroupe les informations influence l’orientation de son attention ainsi que le déclenchement de ses décisions. En l’absence de modèle mental adapté, les individus connaitront des échecs lors de la résolution de nouveaux problèmes, et ce même si une logique similaire a été utilisée précédemment avec succès.

Aussi, pour une même entrée d’informations, la conscience de la situation pourra varier et sera tributaire des différences individuelles. Ce qui conduit Endsley (1995) à faire l’hypothèse selon laquelle la conscience de la situation est une fonction d’un mécanisme individuel de traitement de l’information influencée par l’expérience et par l’entraînement. En effet, une même image peut être vue différemment selon l’individu. Selon Ochanine (1978), « l’image est un certain complexe informationnel rapporté à un objet. Il existe des possibilités de voir un même objet de différentes manières. Celui qui agit ne reflète pas pendant l’action un objet dans toute la complexité de ses propriétés, de ses attributions. Il actualise de son acquis informationnel les seules informations qui sont pertinentes, qui correspondent à l’objectif de l’action donnée ». La construction d’un modèle mental pour une situation donnée montre les différences entre un individu expérimenté et un novice.

Le modèle de conscience de la situation proposé par Endsley (1988, 1995) suggère trois étapes (figure 5).

Figure 5: Conscience de la situation et prise de décision en situation dynamique
Figure 5: Conscience de la situation et prise de décision en situation dynamique

Source : Schéma tiré de Endsley (2000)

La première phase correspond à l’étape de perception. Il s’agit d’une étape importante car la formation d’une image mentale correcte dépend de la perception des éléments pertinents. Si l’on se réfère à l’activité de conduite, les éléments perçus à ce stade ne font l’objet d’aucune interprétation. Les conducteurs sont simplement conscients de la présence d’autres usagers et sont incapables de déterminer leur trajectoire future ou les risques potentiellement présents. Ici encore des différences entre conducteurs sont relevées : un conducteur expérimenté perçoit la situation de manière plus organisée qu’un conducteur novice. Le conducteur novice perçoit les indices indépendamment les uns des autres et n’effectue pas de lien entre eux.

Le second niveau correspond à l’étape de la compréhension durant laquelle les individus interprètent et maintiennent l’information. Lors de cette phase, l’individu s’appuie sur ses objectifs pour intégrer les multiples sources d’informations perçues à l’étape précédente. A la suite de cela, les différentes informations sont traitées en fonction de leur pertinence. Dans le cadre de la conduite automobile, le conducteur pourra ainsi développer une compréhension des actions des autres usagers. A ce niveau les différences entre conducteurs se répercutent au niveau des capacités de la mémoire. Le conducteur expérimenté gère mieux sa mémoire (qu’il s’agisse de la mémoire à court terme ou à long terme) en filtrant ce qui est non pertinent et se concentre sur l’analyse qualitative de la situation.

Le dernier niveau est lié à la projection ou à l’anticipation. A partir des éléments traités il s’agit de pouvoir anticiper les événements futurs pour prendre les décisions opportunes. Ce niveau est supposé permettre au conducteur de prévoir une séquence d’actions. Face aux nombreuses possibilités, le conducteur peut identifier le chemin le plus sûr, en se basant sur ce que seront les actions des autres conducteurs dans les prochaines secondes. On observe ainsi une différence entre les conducteurs novices et les conducteurs expérimentés lorsqu’ils sont confrontés à une situation complexe de conduite (telle qu’une insertion sur autoroute). Seul le conducteur expérimenté procèdera à des projections des situations futures (Endsley, 2000). Contrairement aux conducteurs novices, les conducteurs expérimentés sauront où regarder afin de recueillir le maximum d’informations pertinentes concernant les autres usagers. De mauvaises représentations pourront se traduire par une moindre qualité des balayages de la scène routière. Si nous savons quoi attendre, nous savons sur quoi anticiper et comment s’y préparer. La construction d’un modèle mental de la situation indique où et comment regarder, ce que les conducteurs novices n’ont pas encore appris. Grâce aux situations déjà rencontrées, il devient plus aisé de savoir quelle information est pertinente et laquelle ne l’est pas (Näätänen & Summala, 1974). Les conducteurs novices délaissent, entre autre, la surveillance des véhicules adjacents. Les conducteurs expérimentés anticipent mieux le fait qu’ils sont susceptibles de commettre des erreurs, ce qui leur permet de mieux les rattraper.

Pour Endsley (1991, 1995), la conscience de la situation est le principal précurseur des processus de prise de décision. Cependant, le développement de la conscience de la situation n’induit pas forcément une prise de décision correcte. Il est possible que de mauvaises décisions soient prises avec une bonne conscience de la situation. Selon Endsley (1991), la conscience de la situation doit être considérée comme un état indépendant à la fois de la prise de décision et des performances. Un ensemble de facteurs joue un rôle essentiel dans le passage d’une bonne conscience de la situation vers de bonnes performances. Toutefois, compte tenu des contraintes techniques ou organisationnelles, les possibilités de prises de décision sont parfois limitées en raison du manque d’expérience. En effet, par l’intermédiaire de l’expérience acquise, des plans d’action sont développés pour faire face aux situations. Les facteurs individuels sont également souvent mis en causes, tel que l’impulsivité ou l’indécision car ils amènent à prendre de mauvaises décisions. A contrario, des décisions correctes peuvent être prises malgré une conscience de la situation peu développée (Endsley, 1991, 1995).

La prise de décision est ainsi l’une des étapes clé de la chaîne de traitement de l’information. Elle est essentielle car c’est en fonction d’elle que l’individu adoptera ou non un comportement adapté à la situation. Nous reviendrons au paragraphe suivant sur deux modèles expliquant les étapes de traitements menant à une prise de décision.