1-2-4/ Rôle de la prise de décision dans le traitement de l’information

1-2-4-1/ Modèle de prise de décision de « l’échelle double »

Les travaux de Rasmussen portent, à l’origine, sur la fiabilité des systèmes complexes. L’accident nucléaire de 1979 à Three Miles Island aux USA l’avait amené à s’orienter vers la gestion du risque et les modalités de contrôle des processus dynamiques3 dans un contexte industriel. Rasmussen (1976) tenta alors d’identifier les modalités de contrôle d’un système physique et les étapes nécessaires pour aboutir à une prise de décision. A partir d’observations via une chambre de contrôle, l’accent fut ainsi mis sur les stratégies adoptées par les opérateurs lors de la réalisation d’une activité propre au domaine industriel. Rasmussen (1976) visait ainsi une description des différentes étapes de traitement de l’information avant d’arriver à une prise de décision.

Les observations effectuées à partir de cette chambre de contrôle, sur les protocoles verbaux des opérateurs, ont permis à Rasmussen (1976) de conclure que ces protocoles ne reflétaient pas les opérations de traitement de l’information mais plutôt une série d’états de connaissances dont dispose l’individu sur la tâche à effectuer. Ces connaissances correspondent à des nœuds standardisés entre les différentes étapes du traitement de l’information. Rasmussen (1983, 1986) décrit ainsi la tâche de contrôle comme une séquence d’activités alternant entre des représentations, des traitements et l’exécution d’une action. Le passage d’une étape à l’autre diffère selon le niveau de familiarité avec la tâche. Dans le cadre d’une situation familière, chacune des étapes perd de son autonomie en raison de l’existence des raccourcis. En effet, dans ce cas, l’action de l’individu s’apparente à un simple rappel de l’ensemble des connaissances générant un trajet direct de la phase d’observation à la phase d’exécution. Ainsi, pour aboutir à une prise de décision, le système de traitement de l’information se basera sur des solutions issues des expériences précédentes. Cette capacité crée un répertoire important de raccourcis chez un opérateur pourvu de compétences (Rasmussen, 1986). Avec l’expertise, ces raccourcis s’introduisent dans l’agencement séquentiel d’états et de traitements (Bellet, 1998) et procurent une rapidité de traitement et une bonne probabilité de réussite. L’étape intermédiaire de diagnostic deviendra implicite lors du déclenchement de la procédure (Keyser (De), 1989). En revanche, lors de situations non familières, le traitement de l’information sera plus long car il nécessitera le recours à l’ensemble des étapes pour la prise de décision.

Les pertes de contrôle de la part des opérateurs ont amené Rasmussen (1986) à compléter son modèle initial Skills-Rules-Knowledge (SRK) avec la formalisation de l’aspect dynamique dans son « modèle de l’échelle » (step ladder) (figure 6). Ce modèle représente ainsi les cheminements possibles des processus cognitifs entre les trois niveaux de comportement à savoir le niveau basé sur les habiletés, le niveau basé sur les règles et le niveau basé sur les connaissances (cf. I-2-3). Aussi, un défaut de contrôle ne résulta pas forcément d’une « défaillance locale » mais plutôt d’une défaillance du système de gestion cognitive du passage d’un mode de fonctionnement à l’autre. Le modèle formalisé par Rasmussen (1983) comprend ainsi des phases successives de traitement avant d’aboutir à une prise de décision. Schématiquement, l’individu commence par une phase d’analyse de la situation durant laquelle quatre processus interviennent. L’activation place l’opérateur en position de recevoir des informations. Cette phase favorise la détection des situations nécessitant une action régulatrice. L’observation vise à recueillir des informations afin de surveiller l’état courant de la situation, du processus observé. L’identification durant laquelle les informations recueillies sont classées en vue d’une représentation de l’état de la situation permettant d’identifier les besoins de la tâche à effectuer. L’interprétation ou le diagnostic qui détermine l’origine et les conséquences des symptômes repérés (Bellet, 1998).

La seconde phase consiste à planifier l’action. Il est ainsi question d’une évaluation. En prenant compte du contexte situationnel et des contraintes, l’individu examine les possibilités d’intervention et identifie les objectifs à atteindre. L’évaluation permet de cibler l’état vers lequel doit tendre le système et de sélectionner la tâche à effectuer à partir des ressources disponibles. Les indices sont analysés afin d’évaluer la situation actuelle et les conséquences possibles.La définition de la tâche définit l’action à entreprendre et les conditions d’exécution pour atteindre le but visé. L’individu recherche les indices importants qui lui permettront de définir une direction à suivre pour effectuer les tâches suivantes. La formulation d’une procédure, correspond à la mise au point d’une séquence d’actions à effectuer. Si l’individu connait déjà une démarche à suivre pour résoudre le problème, il s’y référera prioritairement. Le cas inverse conduira à l’élaboration, à la planification et à l’exécution d’une nouvelle procédure.

La dernière phase consiste simplement à exécuter l’action choisie.

Dans un champ de contrôle, il y a un champ d’activités « légitimes » pour l’opérateur qui correspondent à l’ensemble des procédures et qui lui paraissent acceptables. Parmi ces procédures, l’opérateur fait des choix (décide de la stratégie d’action) selon des critères subjectifs liés à son analyse de la situation. La chaîne de traitement évolue « normalement » lorsque l’opérateur a un sentiment d’adéquation entre la situation actuelle et les exigences de la situation. Aussi, la perte de contrôle, dans un système dynamique, serait le résultat d’une mauvaise adaptation de l’individu aux contraintes de l’environnement dans lequel il évolue (Rasmussen, 1986).

Ces étapes sont tributaires du contexte dans lequel la prise de décision sera effectuée. Ainsi, en s’appuyant sur le modèle de Rasmussen (1983, 1986), nous pourrons comprendre comment un échec lors de l’une de ces étapes peut se transformer en erreur sur le terrain.

Figure 6: Le modèle de prise de décision, dit de "l'échelle double"
Figure 6: Le modèle de prise de décision, dit de "l'échelle double"

Source : Figure tirée de Reason (1993)

Au cours des paragraphes précédents consacrés au traitement de l’information, nous avons montré le rôle de la perception, de la mémoire et des connaissances sur le traitement de l’information. Le modèle de la Cognition-Conation développé par Martin (2005) montre comment ces processus sont liés et comment ils interagissent.

Notes
3.

Un processus dynamique suppose une évolution continuelle même en l’absence d’action émanant de l’opérateur et impose ainsi un besoin permanent d’adaptation de la part de l’individu. L’action de l’individu se résume ainsi à surveiller le déroulement naturel du processus, à détecter et diagnostiquer un éventuel dysfonctionnement et le cas échéant, à mettre en place des actions régulatrices afin de corriger les dysfonctionnements observés (Bellet 1998)