1-3-1/ Cas du téléphone portable

La vie quotidienne regorge de situations au cours desquelles nous effectuons simultanément deux activités. C’est le cas d’un trajet à pieds entre amis où il n’est pas difficile de maintenir la cadence tout en discutant ; le débit verbal n’est pas diminué et la marche n’est pas ralentie. Dans ce cas, l’efficacité de l’une des activités ne détériore pas celle de l’autre. Toutefois, effectuer simultanément deux tâches n’est pas toujours aussi aisé et une altération des performances de l’une des tâches, voire des deux, est souvent perçue. Par exemple, faire du vélo et tenir un téléphone à la main. La tâche est périlleuse et souvent l’équilibre du vélo est fragilisé par la conversation téléphonique.

Aujourd’hui, avec le développement des nouvelles technologies, l’utilisation du téléphone portable est banalisée et on n’hésite pas à l’utiliser en conduisant quelle que soit la complexité de la situation de conduite. Aussi, avec un risque d’accidents multiplié par quatre (Redelmeier & Tibshirani, 1997), les décrets relatifs à la sécurité routière ont été revus. Dans un premier temps, seul un comportement susceptible de détourner l’attention du conducteur était répréhensible. Le code de la route ne mentionnait aucune référence à l’usage du téléphone portable au volant. « Tout conducteur doit se tenir constamment en état et en position d'exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent. Ses possibilités de mouvement et son champ de vision ne doivent pas être réduits par le nombre ou la position des passagers, par les objets transportés ou par l'apposition d'objets non transparents sur les vitres. Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions ci-dessus est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe » (Article R.412-6 du Code de la route). Ce n’est qu’avec le décret du 1er avril 2003 qu’une référence à l’usage du téléphone portable au volant est mentionnée : « L'usage d'un téléphone tenu en main par le conducteur d'un véhicule en circulation est interdit. Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe. Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de deux points du permis de conduire ».

Les données épidémiologiques relatives à l’impact d’une conversation téléphonique sur le risque d’accident sont relativement peu nombreuses. La méthodologie appliquée par Redelmeier et Tibshirani (1997) offre un aperçu du lien qui existe entre une conversation téléphonique et le fait d’être impliqué dans un accident. Ces auteurs ont analysé les factures téléphoniques détaillées de 699 conducteurs impliqués dans une collision. Sur ces factures figurait le détail des appels passés le jour de l’accident mais également pour les semaines précédentes. Ainsi, en combinant les informations des rapports de polices, les retours des sujets et les informations relevées grâce aux factures téléphoniques, ils ont pu estimer ce risque. Ils ont pu vérifier si le conducteur téléphonait ou non pendant la courte période qui précède l’accident et ont procédé de la même manière pour des périodes comparables les jours précédents. Les résultats montrent que le téléphone portable a été utilisé de manière plus « excessive » juste avant l’accident que durant une période similaire. De plus, la majorité des accidents survient quelques instants après la réception ou l’émission d’un appel. Que les appels soient émis ou reçus, le risque d’accident est important dès le démarrage de la conversation. Ils ont ainsi pu estimer un risque d’accident entre 3 et 6,5 fois plus élevé durant les dix premières minutes de conversation (Redelmeier & Tibshirani, 1997). Globalement, le risque d’accident est identique quel que soit le type de conducteur (Redelmeier & Tibshirani, 1997).

Avec le même objectif, Laberge-Nadeau et al. (2003) ont observé un important échantillon de conducteurs (36068 participants) répartis en deux groupes : utilisateurs et non utilisateurs du téléphone portable. La fréquence d’utilisation du téléphone a également été prise en compte afin de relever si elle était ou non corrélée avec le risque de collision. Pour cela, des questionnaires ont été envoyés aux sujets concernant leurs habitudes de conduite, leur exposition au risque, leur opinion concernant les activités effectuées au détriment de la sécurité, leurs éventuels accidents durant les 24 derniers mois et concernant des informations socio-démographiques. Des questions spécifiques aux habitudes d’utilisation du téléphone portable ont également été ajoutées. Leurs résultats révèlent un risque plus important pour les utilisateurs de téléphones portables comparé aux non utilisateurs (Laberge-Nadeau et al. 2003).

Avant de discuter dans le détail les effets de la distraction sur les performances de conduite, il est important de préciser que la perturbation induite par l’utilisation du téléphone portable est la même que le conducteur le tienne à la main ou qu’il dispose d’un dispositif de type kit mains libres ou kit piéton (Redelmeier & Tibshirani, 1997; Strayer, Drews, & Crouch, 2006). Strayer et Johnston (2001) ont conduit une expérimentation en laboratoire à l’aide d’un écran d’ordinateur. L’intérêt était d’observer comment le téléphone portable perturbe la gestion des situations d’urgences. L’échantillon était composé de deux catégories de sujets, un groupe tenant le téléphone à la main et un groupe qui disposait d’un kit mains libres. Muni d’un joystick, les sujets avaient pour consigne de suivre une cible mouvante. Un signal lumineux de couleur rouge ou verte apparaissait par intermittence sur l’écran. Les participants devaient appuyer aussi vite que possible sur le bouton si la lumière rouge apparaissait. Les résultats sont identiques que le téléphone soit tenu à la main où non. Il a été également mis en évidence que la conversation téléphonique allongeait les temps de réactions montrant que l’effet du téléphone se traduisait davantage par une limitation des capacités attentionnelles que par une limite de dextérité puisque l’impact de la conversation téléphonique est observé dans les deux conditions téléphoniques. Selon Stayer et al. (2006), le risque associé à l’utilisation du téléphone est équivalent au risque présent lorsque l’on atteint le taux d’alcoolémie limite autorisé dans le sang d’un conducteur.

Il est désormais évident que l’utilisation du téléphone portable au volant réduit la marge de sécurité (Haigney & Westerman, 2001) par le phénomène de distraction qu’elle génère. On définit la distraction comme le report des ressources attentionnelles nécessaires à l’activité de conduite sur un pôle attractif (discussion, tâche annexe) mais extérieur à cette activité. La gestion simultanée de ces deux tâches va potentiellement positionner le conducteur en situation de surcharge attentionnelle en augmentant le niveau des demandes physique et cognitive. L’interférence pourra se traduire par une division des ressources à un niveau visuel, auditif, moteur et cognitif selon la tâche secondaire effectuée (Ranney, Mazzae, Garrott, & Goodman, 2000).Concrètement, une distraction va diminuer les ressources attentionnelles à assigner si la tâche de conduite nécessite des ressources supplémentaires ou si une situation d’urgence survient (Haigney & Westerman, 2001; Haigney et al. 2000).