1-3-2-2/ Perturbations au niveau tactique

L’incompatibilité du téléphone portable avec l’activité de conduite est perçue davantage au niveau tactique en raison des difficultés de traitement des informations. En effet, la tenue d’une conversation téléphonique se fait non seulement au détriment de la capacité à effectuer en temps réel une surveillance dynamique de la scène routière mais également au détriment de la compréhension rapide des évolutions de l’environnement. Nous présenterons ainsi les résultats de différentes recherches afin d’illustrer la manière dont les situations d’attention partagée génèrent des perturbations au niveau du traitement de l’information.

Une conversation téléphonique rend complexe la recherche d’informations dans l’environnement routier ; qu’il s’agisse du prélèvement des informations utiles à la régulation de la vitesse, au maintien des distances inter-véhiculaires ou encore à l’estimation du temps et de l’espace nécessaire pour effectuer une manœuvre en sécurité. A titre d’exemple, Victor et al. (2005) analysent la capacité des conducteurs à différencier les indices utiles des indices inutiles pour l’activité de conduite lorsqu’ils sont en situation d’attention partagée. Ils constatent que les conducteurs ne réallouent pas stratégiquement leur attention. Ils ne transfèrent pas les ressources attentionnelles destinées aux informations non pertinentes de la scène routière vers le traitement des informations relatives à la conversation téléphonique pour maintenir une priorité de traitement aux informations pertinentes de la scène routière.

Les difficultés à traiter les informations se révèlent lors de manœuvres particulières. A cet effet, Brown et al. (1969) ont observé les effets d’une conversation téléphonique sur les capacités de jugement. Ils ont demandé aux conducteurs d’effectuer une tâche de suivi tout en maintenant la conversation proposée. La consigne donnée aux sujets était de déterminer s’il était possible de passer au travers d’espaces (gap) plus ou moins grand. Ces auteurs ont conclu que l’utilisation du téléphone affecte la perception et les capacités de prises de décision. Le jugement des espaces considérés comme « impossibles » (les plus petits) par les auteurs est particulièrement dégradé par la conversation téléphonique. Rosenbloom (2006) a également tenté d’identifier l’impact de la conversation téléphonique sur le jugement d’un gap. Il s’agissait plus spécifiquement de vérifier la nature de la dégradation du maintien de la distance séparant la voiture du sujet de la voiture précédente, en environnement réel de conduite. Le conducteur devait répondre à des appels téléphoniques via un système mains libres. Les résultats démontrent que la distance inter-véhiculaire tend à diminuer dès que le conducteur téléphone, que la conversation soit de courte durée (moins de 11 minutes) ou de longue durée (égale ou supérieure à 16 minutes) (Rosenbloom, 2006).

Lorsque le conducteur est en situation d’attention partagée, les temps de réactions (TR) augmentent. L’expérimentation sur simulateur de conduite menée par Alm et Nilsson (1995) le montre auprès de quatre groupes de conducteurs différenciés selon leur âge et leur fréquence d’utilisation du téléphone portable (utilisateurs vs non utilisateurs). La consigne était de suivre un véhicule et de freiner dès que celui-ci freinait. Les auteurs ont mis en avant des TR plus longs lors de la conversation téléphonique. Ces résultats sont confirmés par Consiglio et al. (2003) pour qui cette augmentation des temps de réaction est source de collisions et par Strayer et Drews (2004). Cette augmentation des TR peut non seulement résulter de difficultés à traiter et à comprendre les informations perçues mais également du fait qu’un conducteur distrait a une probabilité plus élevée de ne pas voir des informations de la signalisation routière (panneau « stop », freinage du véhicule précédent) et de réagir plus lentement aux signaux perçus (Strayer & Johnston, 2001). Ce phénomène est amplifié en situation de fort trafic (Strayer et al. 2003). 

Pour pallier l’augmentation des temps de réaction et compenser les effets des tâches secondaires, certains conducteurs adoptent des stratégies compensatrices (Haigney et al. 2000; Strayer, et al., 2003). Ces stratégies peuvent se traduire par une diminution de la vitesse (Fairclough, 1991; Liu & Lee, 2006). Selon Alm et Nilsson (1994) cela ne serait possible que lorsque les situations de conduite sont « simples ». Une recherche ultérieure menée par Alm et Nilsson (1995) ne retrouve pas le phénomène de la baisse de vitesse. Il semblerait que le maintien de l’allure soit différent selon la durée de l’appel. Lorsque l’appel est de courte durée, les conducteurs réduisent leur vitesse. En revanche, lorsque l’appel est de longue durée les conducteurs tendent à rouler plus vite (Rosenbloom, 2006). Notons, par ailleurs, que Strayer & Drews (2004) ont observé qu’en situation de double tâche, les distances inter-véhiculaires augmentent pour pallier ces temps de réaction à rallonge. Une distance inter-véhiculaire plus grande qui laisserait aux conducteurs le temps de répondre à un événement imprévu.