1-3-2-3/ Perturbations au niveau visuel

Une conversation téléphonique distrait le conducteur, provoque un retrait d’attention de la scène visuelle créant une forme de cécité au changement. Deux explications sont proposées. Soit ce phénomène résulte d’un détournement de l’attention de l’environnement routier, soit l’attention est maintenue vers la scène routière avec une dégradation de l’attention visuelle. Cela suppose qu’un conducteur aura des difficultés à se rappeler et à identifier les informations fraîchement perçues même si son regard se porte vers ces éléments. En effet, même si les conducteurs regardent directement des objets de l’environnement routier, ils peuvent ne pas les voir car leur attention est allouée à la conversation téléphonique (Strayer & Drews, 2006). Cela rejoint le principe de regarder sans voir (« look but failed to see »).

En partant du principe que la majorité de l’information nécessaire à l’activité de conduite est acquise visuellement, tout changement dans le comportement visuel des conducteurs peut avoir des conséquences en termes de sécurité routière. Il s’agit en effet du canal le plus important pour l’activité de conduite. Les décisions qu’ils prennent dépendent également de la surveillance de la scène routière et de la collecte d’informations pertinentes. Dans ce contexte, le problème lié à l’utilisation du téléphone au volant est multiple.

McCarley et al. (2004) ont utilisé une tâche de cécité aux changements4 en prenant comme référence une scène visuelle de base et plusieurs scènes visuelles comportant des variantes. La consigne donnée était d’énumérer les changements de la scène en un minimum de temps, en considérant comme une erreur tout élément énoncé en un délai supérieur à soixante secondes. Ces auteurs ont ainsi pu mettre en évidence un nombre d’erreurs plus important durant la conversation téléphonique. En termes de conduite, cela pourrait se traduire par une mauvaise compréhension des situations et par des difficultés à juger la nature des éléments présents. La capacité de prise de décision en serait inévitablement affectée.

Que ce soit en environnement réel, sur simulateur de conduite ou encore en laboratoire, les études visant à comprendre le comportement visuel des conducteurs sont nombreuses. Recarte et Nunes (2000) ont observé les effets d’une tâche cognitive sur les stratégies visuelles des conducteurs en situation réelle de conduite. Durant l’expérimentation, des tâches verbales et des tâches d’imagerie spatiale leurs étaient proposées. Les résultats montrent que lorsque la demande de la tâche secondaire augmente, le champ visuel fonctionnel se réduit aussi bien horizontalement que verticalement avec une baisse de la fréquence de consultations des rétroviseurs et une réduction de la surveillance des instruments de commandes (Recarte & Nunes, 2000). Des résultats similaires ont été obtenus lors de recherches ultérieures (Harbluk et al. 2007; Recarte & Nunes, 2003; Victor et al. 2005). L’expérimentation de Recarte et Nunes (2000) illustre parfaitement les principaux effets liés à la réalisation d’une tâche cognitive et met ainsi en avant la manière dont une conversation modifie l’allocation des regards.

Recarte et Nunes (2003) ont montré par la suite qu’une tâche mentale provoquait une concentration spatiale des regards. Ce phénomène, appelé également « effet tunnel », se traduit par des regards essentiellement dirigés vers le centre de la route avec une baisse des variations horizontales et verticales de l’angle des regards (Harbluk & Noy, 2002; T. W. Victor, et al., 2005). Cette concentration des regards est accentuée par des regards plus rares en direction du marquage au sol à proximité du véhicule (Harbluk & Noy, 2007 ; Recarte & Nunes 2000). Pour Victor et al. (2005), ce phénomène pourrait être révélateur soit d’une priorité donnée à l’action de guidage au détriment des tâches de reconnaissance, soit d’une perturbation dans le traitement des tâches à effectuer ou tout simplement à une combinaison de ces deux causes. La conséquence principale des modifications des stratégies visuelles serait un affaiblissement des capacités de détection des changements dans la scène routière (Recarte & Nunes, 2003; Strayer & Johnston, 2001; Victor et al. 2005).

Par ailleurs, si l’on s’intéresse à l’impact des tâches ajoutées en fonction de l’expérience de conduite, l’étude de Wikman et al. (1998) s’avère particulièrement intéressante. Ils ont testé la durée des regards des conducteurs novices lors d’un changement de cassette, au moment de la recherche d’une station radio et lors d’une conversation téléphonique. Ils ont ainsi pu relever une variabilité dans la durée des regards plus importante chez les conducteurs novices que chez les conducteurs expérimentés. Pour McCarley et al. (2004), l’utilisation du téléphone portable détourne l’attention des jeunes conducteurs de la détection des changements dans des situations complexes de conduite. Il est aussi important de noter que certaines études suggèrent qu’en situation de simple tâche, les jeunes conducteurs ne sont pas aussi efficaces que les conducteurs expérimentés dans le traitement des informations visuelles nécessaires. Par exemple, McKnight et McKnight (2000) soulignent un déficit chez les conducteurs novices à identifier des risques potentiels dans la scène routière. Un effet d’expérience qui peut s’avérer utile en situation d’attention partagée puisque lorsque la demande de conduite augmente, les expérimentés peuvent réallouer leurs ressources cognitives et modifier leur inspection de la scène (Chapman & Underwood, 1999).

Notes
4.

On appelle « cécité au changement » l'incapacité commune à  remarquer des changements parfois considérables dans la scène visuelle.