2-1/ Spécificités de l’erreur

L’erreur humaine est reconnue comme étant à l’origine de la majorité des accidents (importants ou sans gravité) dans la plupart des domaines qu’ils soient médical, industriel ou encore celui de la conduite automobile. Sa responsabilité dans les accidents a ainsi conduit à considérer l’erreur comme un indicateur incontournable d’évaluation des performances, la production d’une erreur n’étant généralement pas liée au simple hasard ou à des conditions extérieures défavorables. Un accident n’est pas le résultat d’une simple erreur mais est plutôt celui d’un enchaînement de causes, qui fait que l’erreur n’est pas détectée (ou trop tard) ou encore que sa gravité est mal évaluée. C’est ainsi que l’erreur est devenue, dès les années 70, un objet de recherche au travers de l’analyse des dysfonctionnements cognitifs (échecs au niveau des raisonnements). Par la suite, la prise en compte de l’erreur a évolué et les recherches s’orientent désormais sur les situations de gestion du risque. En effet, en se basant sur les défauts de raisonnement lors de ce type de situation, il est plus facile d’appréhender les processus cognitifs au travers des erreurs que dans des situations classiques et banales où les processus sont difficilement observables.

Tout ceci nous conduit à nous interroger sur le statut et la définition de l’erreur. Selon les disciplines, la notion d’erreur diffère. Pour un psychologue, l’erreur correspond au fait de ne pas avoir atteint l’objectif initialement fixé. Si l’on s’oriente vers le domaine de l’industrie, l’erreur fait référence à un écart par rapport à une norme ou encore à un accident mesurable par la gravité de ses conséquences.L’erreur humaine n’est jamais isolée. Elle résulte d’interactions issues du système « homme - activité - environnement » dans lequel l’homme évolue constamment. L’erreur est une caractéristique de l’action en cours, elle se produit toujours lors de l’exécution d’une tâche (Leplat, 1999). Plus l’homme gère efficacement ces interactions plus la probabilité d’erreurs est faible.

Lorsque l’on étudie l’erreur, il est avant tout nécessaire de savoir la déceler. On repère généralement une erreur lorsque les performances, à un instant donné, sont moins satisfaisantes que les performances habituellement atteintes (Rasmussen, 1986). D’après Reason (1993), Leplat (1999) et Van Elslande et al. (1997), une erreur peut être identifiée de deux manières : en prenant comme référence le résultat final de l’action ou en observant les moyens mis en œuvre pour accomplir l’action. Dans les deux cas, on vérifie la concordance entre ce qui a été réalisé et ce qui était attendu. En d’autres termes, l’erreur correspond à l’écart entre ce que le sujet projetait de faire et ce qu’il a fait réellement. Cela sous-entend l’idée de « déviation par rapport à une norme standard » (Leplat, 1999). Rasmussen (1986) précise également l’importance du jugement humain dans la détection d’une erreur. Elle est reconnue selon les attentes et les intentions de l’homme (Reason, 1993). Autrement dit, si le résultat final ne correspond pas aux attentes, il sera considéré comme un échec. L’intention sous-entendue ici comporte deux éléments : une expression de l’état final à atteindre et une indication des moyens par lesquels cet état doit être atteint. Dans la majorité des actions quotidiennes, les intentions préalables ou les plans sont tout au plus des images mentales. A mesure qu’une action se répète et devient routinière, la quantité de repères intentionnels se réduit.

Il est important de noter que les données relevées fournissent une indication sur les origines des erreurs. Ainsi, la distinction entre « type d’erreur » et « forme d’erreur » proposée par Reason (1995) est essentielle. La notion de « forme d’erreur » correspond aux formes récurrentes de défaillances, quelle que soit l’activité cognitive. Les formes d’erreurs se reflètent dans les fautes, les lapsus ou encore les ratés. Ensuite, les « types d’erreurs » sont définis selon leur origine. Les erreurs sont ainsi situées parmi trois étapes. La première étape, l’étape de planification, met en jeu divers processus permettant d’identifier le but à atteindre et les moyens pour y parvenir. Ces plans ne sont pas immédiatement mis en œuvre et sont stockés pendant une durée variable. La seconde étape, l’étape de stockage se situe entre la formulation des actions souhaitées et leur exécution. La dernière étape, l’étape d’exécution recouvre les processus impliqués dans la mise en œuvre effective du plan mémorisé. Une erreur produite dans ce cheminement correspond à deux types d’événements : (1) une défaillance d’expertise lorsque les plans préétablis sont appliqués de façon inappropriée ; (2) un manque d’expertise lorsque le sujet ne dispose pas de mécanismes « routiniers » pour répondre aux exigences de la situation. Dans ce dernier cas, le sujet est contraint de développer un nouveau plan d’action à partir de ses connaissances, que celles-ci soient pertinentes ou non (cf. Rasmussen). En lien avec nos objectifs, nous porterons un intérêt particulier au « type d’erreur » afin d’avoir une explication des mécanismes cognitifs mis en jeu lors de la réalisation d’activités particulières.