Nouvellement qualifiés et forts d’une formation complète, les jeunes conducteurs novices constituent une population à risque en termes de sécurité routière et sont surreprésentés dans les accidents. Un taux qui reste malheureusement élevé quel que soit le type d’accident et le moment de la journée. Selon Williams (1999), les jeunes conducteurs novices américains (âgés de dix neuf ans maximum) sont impliqués dans dix sept accidents par millions de miles effectués alors que l’implication des conducteurs expérimentés (âgés de quarante à quarante quatre ans) le sont dans seulement quatre à neuf accidents par millions de miles effectués.
Les premiers mois suivant l’obtention du permis de conduire sont particulièrement sujets aux collisions (Sagberg, 1998) car les jeunes conducteurs novices sont, non seulement inexpérimentés mais aussi et surtout car ils sont « jeunes ». Ce jeune âge est connoté négativement car il est associé à des « motivations » et à des styles de conduites particuliers qui incitent les jeunes conducteurs à prendre des risques inutiles (Laapotti et al. 2001). Selon la théorie du risk homeostasis(Wilde, 1982), un des principaux déterminants de leur taux d’accidents est le niveau de risque qu’ils choisissent. En effet, malgré leur manque de compétences (Matthews & Moran, 1986), les jeunes conducteurs novices n’hésitent pas à adopter des comportements de conduite risqués (Näätänen & Summala, 1976). La vitesse à laquelle ils roulent est souvent excessive et ils ne respectent pas toujours les distances de sécurité. Par ailleurs, l’attention que ces conducteurs portent à leur activité de conduite est facilement détournée, la moindre source d’information saillante attire leur regard. Ils sont rapidement distraits par des éléments non pertinents pour leur tâche de conduite. Un état d’esprit qui ne semble pas les contrarier étant donné leur tendance à surestimer leurs capacités de conduite. Quelle que soit l’erreur commise, les jeunes conducteurs novices se sentent en mesure de pouvoir la récupérer. Ils ont également tendance à adopter des comportements dits « de frime » en présence de passager. La conduite devient approximative et les erreurs de conduite de plus en plus fréquentes. En outre, en raison de leur style de vie et des mœurs qui lui sont associées, ils conduisent souvent sous l’influence de l’alcool et de nuit (Gregersen & Berg, 1994; Laapotti, Keskinen, Hatakka, & Katila, 1996).
Rumar (1985) souligne un taux d’accidents plus élevé de nuit qu’en journée chez les conducteurs novices. Une des raisons de ce taux est liée à la moindre qualité de la perception des informations présentes. La perception nocturne est dégradée et l’acquisition des informations n’est pas optimale. Malgré cela, les conducteurs novices ne prennent pas en compte les limites de leur système perceptif et ne cherchent pas à mettre en place des stratégies compensatoires (McDonald, 1994). Bien au contraire, les comportements de conduite sont inappropriés et l’on observe, par exemple, davantage de non respects des limitations de vitesse de nuit. Le risque d’accidents est ainsi non seulement lié à l’imprécision des informations perçues mais aussi à l’inexpérience de ces conducteurs qui ne savent pas encore gérer ce type de situations. Ainsi, si l’on se réfère au modèle de Rasmussen (1986), la conduite de nuit implique une capacité à évoluer d’un niveau de compétences vers un autre. Ce qui est effectué de manière automatique chez un conducteur expérimenté nécessite pour un conducteur novice un effort supplémentaire afin de basculer d’un niveau de compétence à l’autre. De nuit, le conducteur doit fournir un contrôle supplémentaire afin de rechercher les informations pertinentes. Il bascule ainsi vers un mode contrôlé. Un conducteur novice pourra ressentir des difficultés à effectuer ce basculement. Des stratégies d’allocation de l’attention et de recherche d’informations doivent être mises en place afin de repérer l’indice qui précise le déclenchement du changement nécessaire. La pauvreté des modèles mentaux des situations rend ce changement coûteux et par conséquent un conducteur novice aura plus de difficultés à anticiper les événements à venir.
La période consécutive à l’obtention du permis de conduite montre un taux élevé d’accidents (Mayhew, Simpson, & Pak, 2003) avec un risque d’avoir un premier accident plus important durant les premiers mois de permis que durant les mois suivant (McCartt, Shabanova, & Leaf, 2003). Durant les premières années de conduite, le taux d’accidents n’est pas proportionnellement réparti avec un taux nettement supérieur lors des premiers mois de pratique (Mayhew, et al., 2003). Ce n’est que progressivement que le risque d’accidents diminue avec le gain d’expérience (Drummond, 1989; Mayhew, et al., 2003; McCartt, et al., 2003). En effet, pour Mayhew et al. (2003), c’est à partir de sept mois d’expérience qu’une diminution du nombre des accidents est observée et cette baisse devient significative après neuf à dix mois d’expérience. Cela confirme l’hypothèse d’un taux d’accident plus élevé des jeunes conducteurs en raison de leur statut de novice.
Cependant, il est difficile d’attribuer ce risque d’accident à l’inexpérience plutôt qu’au jeune âge de ces conducteurs. Généralement un effet conjoint de ces deux facteurs est mis en avant. Il semblerait que l’acquisition des compétences couplée au gain de maturité (moins de comportements de « frime » inutiles) aient un impact positif en termes de sécurité routière (Mayhew, et al., 2003). Il est ainsi intéressant de distinguer la part du facteur âge de la part du manque de compétences. En prenant comme base une expérience égale à six mois, Clarke et al. (2006) ont cherché à déterminer si le risque d’accidents était identique pour les conducteurs de 17 ans que pour ceux de 24 ans. Ils ont conclu que les plus jeunes présentent un taux d’accidents plus élevé. Mayhew et al. (2003) ont également tenté de montrer la responsabilité du facteur âge dans les accidents. Ils ont comptabilisé et comparé le taux d’accidents de deux groupes de conducteurs novices : des conducteurs âgés de 16 à 19 ans et des conducteurs âgés de 20ans de même expérience de conduite. Les plus jeunes ont un taux d’accidents deux fois plus important que les conducteurs du second groupe (Mayhew, et al., 2003). Il semble que l’effet de l’âge soit davantage prononcé dès les premiers mois de pratique. Pour Maycock et al. (1991), le risque décroît de 59% avec l’expérience et de 31% avec l’âge.
Toutefois, ce gain d’expérience est inégalement réparti entre les différentes compétences de conduite à acquérir. Certaines sous-tâches de l’activité de conduite sont rapidement assimilées alors que d’autres nécessitent encore un apprentissage (Sagberg, 1998). Selon Sagberg (1998), le taux d’accident diminue, mais cette diminution est différente selon le type de collisions. Sagberg (1998) l’explique par le fait que l’acquisition des compétences est inégale. Par exemple, les accidents les plus rapidement évités sont ceux où seul le conducteur est impliqué tels que les accrochages en manœuvre de stationnement ou encore le frottement d’un trottoir. En effet, si le conducteur maitrise son véhicule, à savoir le contrôle de la trajectoire ou encore la régulation de la vitesse, il réduira considérablement ces types d’accidents. Les déviations de trajectoire sont ainsi réduites car les premières compétences acquises concernent le contrôle du véhicule et la régulation de la vitesse. En maitrisant mieux son véhicule, le conducteur divise par trois ses risques d’accident. Notons par ailleurs une diminution des accidents impliquant plusieurs véhicules dès les deux premiers mois d’expérience (Mayhew, et al., 2003).
Cela met en avant, une caractéristique propre aux conducteurs novices, à savoir le nombre élevé d’erreurs commises durant un trajet, que celles-ci soient récupérables ou non. Ces erreurs sont le résultat du manque de compétences (Matthews & Moran, 1986) aussi bien au niveau tactique9 qu’au niveau opérationnel (Laapotti et al. 2001). Cela sous entend que la structure cognitive « vitale » pour la conduite n’est pas développée. La gestion des processus cognitifs est encore au stade de développement. Par ailleurs, ces erreurs peuvent provenir soit de la non application des règles apprises soit de la méconnaissance de ces règles (Brown et al. 1987).
Les paragraphes suivants reviendront sur le développement des compétences et plus spécifiquement sur le développement des compétences attentionnelles et perceptives.
Le niveau tactique, au travers duquel la conscience de la situation tient un rôle important, permet d’adopter des comportements anticipatoires (Van Zomeren et al, 1988). A ce niveau, les prises de décision requièrent un contrôle cognitif pour la sélection des informations, pour la rapidité de traitement et pour adapter le comportement de conduite vers les buts choisis. Par exemple, lorsqu’un conducteur envisage un dépassement, il perçoit les informations relative au trafic, les intègre et adapte son comportement de conduite en conséquence. Il régulera sa vitesse et respectera les distances inter-véhiculaires.