3-2/ Développement des compétences

Comme cela a été évoqué précédemment, les compétences des conducteurs résultent de la mise en place de schémas qui orientent l’activité de conduite. Selon Neisser (1976), un schéma est « un pattern d’actions aussi bien qu’un pattern pour l’action ». Cela signifie qu’un ensemble d’éléments de ce schéma, facilite la gestion des situations complexes. Il s’agit des composantes perceptives, des processus attentionnels, du traitement de l’information, des capacités de prise de décision. L’expérience de conduite peut être vue comme facilitant la progression « d’un mode stimuli-réponse vers un mode préprogrammé qui rend les performances relativement stable » (Riemersma, 1979). Ainsi, l’inexpérience des jeunes conducteurs novices est essentiellement liée à la non construction ou à la construction non aboutie de modèles mentaux adéquats. Les données habituellement issues de ces modèles fournissent des informations précises et détaillées sur les différentes situations susceptibles de se produire dans l’environnement routier. Cela permet au conducteur d’anticiper les événements futurs et d’avoir des attentes plus justes sur « ce qui peut arriver prochainement ». Le stock de connaissances a ainsi une influence directe sur le comportement et les compétences de conduite. Il y a ainsi indéniablement une relation entre le manque de connaissances des jeunes conducteurs novices et les comportements erronés qu’ils adoptent. Leurs stratégies de conduite sont encore dépendantes des règles formelles apprises durant leur formation. Cela sous-entend un faible développement des modèles mentaux des situations sur lesquels on se base habituellement pour orienter notre perception. En effet, c’est au travers de ces modèles que dépendent nos attentes. Par conséquent les conducteurs inexpérimentés ont une plus mauvaise conscience de la réalité actuelle, de l’évolution du système routier et des actions des autres usagers.

Les différences de compétences se retrouvent dans la perception du risque. La perception du risque est définie comme le processus de détection, d’identification et de réaction face à des situations potentiellement dangereuses. Chez les conducteurs novices, les éléments risqués sont non seulement perçus tardivement mais ne sont pas considérés comme dangereux. Ils sont moins capables de percevoir et d’évaluer une situation risquée et sous estiment le risque (I. D. Brown & Groeger, 1988). S’ils se trouvent face à une situation d’urgence, ils auront peu de possibilité d’anticipation pour adapter leur comportement de conduite. Cette sous-estimation du risque peut avoir plusieurs sources. Elle peut être attribuée à une sous-estimation du danger potentiel, au fait qu’ils n’ont pas vu le danger ou encore à la surestimation de leurs capacités de conduite. L’identification du risque dépend à la fois de l’acquisition générale des compétences de contrôle du véhicule et de l’acquisition de compétences plus spécifiques (perception et compétences cognitives), lesquelles sont basées sur des représentations internes, ou des schémas cognitifs de la nature du système routier et du risque. Comme nous l’avons précisé, une augmentation de l’automatisation des compétences de conduite réduit la demande attentionnelle totale de la conduite et libère les capacités mentales pour le traitement des informations de l’environnement routier. En conséquence, les compétences de perception du risque des novices peuvent être altérées car les ressources attentionnelles sont en général allouées au véhicule. Le style de conduite risqué n’est pas forcément délibéré chez les jeunes conducteurs novices mais peut être le résultat de leur inexpérience et du faible développement de leurs compétences. Par exemple, lors d’une situation d’urgence (un piéton qui surgit), le jeune conducteur novice aura des difficultés à modérer sa vitesse en raison des faibles compétences de perception du risque ou car il ne sait pas où positionner son véhicule afin de minimiser l’accident. La perception du risque implique non seulement l’évaluation du risque potentiel dans l’environnement routier mais aussi l’évaluation des habiletés du conducteur à prévenir les risques potentiels pour éviter qu’ils ne se transforment en accident (Brown & Groeger, 1988). Même si toutes les situations ne sont pas potentiellement dangereuses, seul un conducteur plus expérimenté sera capable de quantifier le degré du danger et de lui fournir une réponse appropriée s’il y a un réel danger (Ferguson, 2003).

Quimby et Watts (1981), en utilisant un support vidéographique, ont montré que les jeunes conducteurs novices avaient des temps de réaction plus longs que les conducteurs expérimentés si une situation potentiellement dangereuse se présente. Pour ces auteurs, l’augmentation des temps de réponse est une conséquence du faible développement de leurs « représentations internes » qui engendre des difficultés à reconnaître les situations potentiellement dangereuses. Les projections des situations à venir correspondent davantage à la réalité, à ce qui se produit réellement. L’acquisition des connaissances permet ainsi de mieux savoir où regarder et pourquoi, et surtout elles permettent de mieux interpréter et plus vite les éléments perçus. Le temps de détection des risques routiers, considéré en termes de latence de perception du risque, est un aspect des compétences de conduite (Deery & Love, 1996). La perception du risque implique des éléments à la fois des compétences de conduite (latence de perception) et d’expérience subjective (savoir quantifier le danger potentiel).